«Khti [ma soeur], tu peux t’installer au bord de la piscine avec ton hijab, mais mets ce chapeau de paille, pour descendre jusqu’à la piscine, pour éviter les caméras.» La réponse donnée à notre rédactrice en chef marocaine voilée, Khadija Tighanimine, lorsqu’elle a demandé à accéder à la piscine du Tahiti Beach Club est pour le moins surprenante. Hier, le quotidien Le Soir a révélé qu’un homme, M. Ajouhi, était prêt à porter plainte contre le club, situé en bord de mer, sur la Corniche, à Casablanca, parce que sa femme s’en était vue refusée l’entrée à cause de son voile, selon lui. Aujourd’hui, vendredi 7 août, nous nous sommes rendus au Tahiti Beach pour reproduire l’expérience par nous même. Les employés se sont montrés plus conciliants, mais le voile, manifestement, dérange encore beaucoup la direction du club.
Le port de la casquette autorisé
Notre journaliste s’est rendue au Tahiti Beach Club, vers 11h, ce matin. Après avoir descendu les quelques marches qui mènent du boulevard de la corniche à l’intérieur du club, elle est arrêtée par un employé à qui elle explique qu’elle veut accéder à la piscine. «Non, khti, vous ne pouvez pas aller nager avec votre hijab, vous pouvez mettre un autre couvre chef, une casquette … pas de problème», explique discrètement l’employé, manifestement désolé. La casquette est-elle moins dangereuse, plus hygiénique qu’un voile ? Ou simplement moins choquante ? «Il m’a ensuite expliqué qu’une tenue de sport était exigée et nous sommes remontés pour que je puisse lire le règlement intérieur du club : effectivement, c’était bien écrit, il faut une tenue de sport», raconte Khadija.
Le recours à l’obligation de porter une telle tenue est le principal argument de la direction, dans son droit de réponse, au Soir, le lendemain de la publication du premier article litigieux : «La dame en question [celle dont le mari menace de porter plainte, ndlr] a effectivement pénétré dans le club et ce n’est qu’au moment où elle a pris la direction de la piscine qu’il lui a été rappelé la règlementation interne en vigueur, à savoir l’obligation du port d’une tenue de sport, obligation qui s’impose à toutes les personnes sans discriminations», explique la direction. Pourtant les témoignages ne manquent pas où des femmes se sont vues refuser l'accès au club, dès l'entrée. En mai dernier d'ailleurs, le club avait prétexté à Khadija l'absence d'abonnement pour pénétrer à l'intérieur. Aujourd'hui, suite à la polémique, le discours se veut plus diplomate et conciliant avec comme unique exigence le port d'une tenue de sport.
Un point du règlement qui n’est pourtant appliqué qu’à certaines personnes. Une autre de nos journalistes, Hanane Jazouani, non voilée celle-ci, s’était rendue au Tahiti Beach Club quelques jours auparavant, sans qu’on lui demande à l’entrée si elle avait cette fameuse tenue (ni même un maillot de bain). A quelle fin, d’ailleurs, quand son seul objectif était, comme pour Khadija, d’aller farniente sur un transat au bord de la piscine ?
Oui au chapeau de paille mais non au hijab !
L’obstacle de la tenue de sport est vite contourné par notre enquêtrice. «Je lui ai dit que j’avais une tenue de sport et que je voulais simplement m’installer au bord de la piscine», continue Khadija. Là, la réponse, d’un autre employé, vers lequel elle est redirigée par le premier, laisse perplexe. «Il m’a tendu un chapeau de paille et il m’a dit de le mettre pour aller jusqu’à la piscine, pour les caméras ; et une fois que j’y serai je pourrais l’enlever et faire ce que je veux [sauf se baigner avec son hijab, ndlr]», explique-t-elle. Ainsi renseignée Khadija a quitté les lieux. Qui est derrière les caméras ? Pourquoi camoufler un voile par un chapeau de paille ? Pourquoi la vue d’une jeune femme voilée dérange-t-elle au Maroc ? Certaines femmes voilées ont déjà été observées aux abords de la piscine du club. Ont-elles dû se plier à la même mascarade ou ont-elles bénéficié d'un passe-droit ?
Jointe cet après-midi, la direction n’a pas été en mesure de nous répondre. Nous sommes tout à fait disposés à entendre ses éventuelles explications. Surtout que ce n'est pas la première fois qu’elle est confrontée à des problèmes de discrimination, au sein du club, contre les femmes voilées. En 2005, déjà, Saïdia B., une jeune femme voilée, avait fait les frais des mêmes obstacles. Après lui avoir opposé le règlement exigeant une tenue de sport ou un maillot de bain, les agents d’accueil, avait eu recours à l’obligation pour entrer dans le club d’être abonné. En parallèle, la jeune femme avait compris que cela lui serait quasiment impossible.