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Interview  

FICAM 2022 : Ayumu Watanabe «cherche à synchroniser nos préoccupations communes» [Interview]

«La chance/la fortune sourit aux audacieux», du proverbe latin fortes fortuna juvat, a inspiré la littérature japonaise à travers un roman, adapté par le réalisateur d’animation japonais Ayumu Watanabe. Son dernier film, «La chance sourit à madame Nikuko», est montré dans le cadre du 20e Festival international du film d’animation de Meknès (FICAM). L’histoire est celle d’une mère célibataire, dont la fille découvrira un secret de famille, questionnant des thématiques communes à tous, où que l’on soit.

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«La chance sourit à madame Nikuko», un film du réaisateur japonais Ayumu Watanabe
Temps de lecture: 4'

Dans ce film, il y a beaucoup d’éléments inspirés du réel et du fantastique à la fois. Comment avez-vous construit cette histoire ?

«La chance sourit à madame Nikuko» est l’histoire d’une jeune fille qui va avoir l’occasion de redécouvrir son lien avec sa mère, un parent un peu spécial. Les faits représentent l’adaptation d’un roman éponyme, de l’écrivaine japonaise Kanako Nishi. Beaucoup d’éléments du film figurent dans le texte de cet ouvrage. Mais le fait de les adapter en animation ne peut pas consister simplement à les relier linéairement, les uns avec les autres. C’est pour cela que de nombreux éléments intercalaires ont dû être conçus et ajoutés.

Contrairement à la littérature, l’écriture pour le cinéma ne nous permet pas de faire des sauts sur certains événements ou sur des séquences, lesquelles se sont avérées nécessaires à créer pour les introduire au film, notamment pour mettre en avant des intervalles du récit tel qu’écrit par l’auteure du livre. Pour la construction des événements en elle-même, je laisserai les spectateurs la découvrir, mais ce qui permettra de saisir réellement cette différence est de pouvoir consulter le roman et voir son adaptation à la fois.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce roman pour l’adapter en film d’animation ?

Le roman de Kanako Nishi, traduit de manière non littérale «La chance sourit à madame Nikuko», a reçu le Prix Naoki, l’un des grands prix littéraires au Japon pour la littérature grand public. En japonais, c’est un nom qui n’est pas très utilisé, il fait allusion à une personne en chair, avec l’association à une image qui n’est pas très positive. Il fallait partir de ce personnage particulier, en le rendant sympathique et attachant.

Dans le film, on découvre le monde de Nikuko et sa fille, Kikuko, qui vivent en bord de mer. On apprend plus sur les soucis d’adolescents, par rapport à l’amitié, ou encore ce lien avec la figure parentale. J’ai trouvé tous ces éléments importants à raconter dans un film d’animation.

Voyez-vous un rapport entre l’écriture romanesque et l’écriture cinématographique en animation ? Ces deux approches s’enrichissent mutuellement ou s’agit-il, pour vous, de deux procédés à différencier strictement ?

Je fais partie des créateurs qui espèrent effectivement que lorsque le spectateur arrive à la fin d’un de mes films, il garde le ressenti de quelque chose d’assez similaire à la fin d’une expérience de lecture. En d’autres termes, l’une des plus grandes caractéristiques du personnage de Nikuko est qu’elle s’exprime de manière très réfléchie. Dans mon écriture, j’ai souhaité respecter au maximum ses paroles telles qu'écrites par l’auteure dans le roman de base et de les retranscrire dans le film d’animation. Ses caractéristiques ici m’ont donc été amenées par le personnage du roman, que j’ai essayé de conserver précieusement.

Comment faire en sorte qu’un film s’adresse aux publics ayant des références culturelles et linguistiques variées à travers le monde ?

Ce qui est important pour moi n’est pas tellement d’essayer d’élargir le public auquel on peut s’adresser. Ce qui compte pour moi est de trouver un lien entre ce qui est important, à mes yeux en tant que réalisateur, et ce que j’imagine être une préoccupation commune auprès de beaucoup de personnes qui regarderont mon film, où qu’elles soient. Le souci n’est pas de tailler une histoire à la mesure de chacun et de chacune, mais plutôt de trouver le moyen de synchroniser nos préoccupations, de chercher le niveau d’attachement adéquat à cela et, à partir de là, développer une expérience, un langage et une pensée commune.

Pour vous donner un exemple tiré de ce film, il s’agit du lien parental et de la relation parent-enfant. Dans la diversité de nos références, d’où qu’on soit et à tout âge, le fait d’être né de quelqu’un d’autre nous accompagne toujours. Ce sont des éléments qui ne changent pas au gré des personnes, car nous avons tous un parent quelque part dans le monde. Ce thème est donc universel. L’autre aspect est la question de l’adolescence, une période où l’on est ultrasensible à tout. On est travaillé par des préoccupations sur l’avenir, sur ce qui forme notre personnalité et constitue notre existence. On se questionne davantage sur nos identités. Ces doutes-là s’adressent à nous tous aussi, d’où que nous soyons, car nous passons tous par cet âge-là.

Le fait de s’attacher à décrire, de façon juste et attentionnée, ces deux éléments-là, fait que le film s’adresse aussi bien aux enfants d’aujourd’hui qu’à ceux que nous avons été, quel que soit notre vécu. Plutôt que de caresser le public dans le sens du poil, en cherchant à aller vers lui à chaque fois à travers des clins d’œil, j’ai voulu m’attacher à deux aspects comme éléments centraux, qui me permettent de m’adresser à ce public et de converger nos préoccupations à nous tous.

C’est pour la première fois que vous êtes au FICAM. Vous présentez ce film pour la première fois au Maroc aussi. Que signifie pour vous de le montrer à un public nouveau, mais déjà féru de production d’animation japonaise ?

Je viens du Japon et je suis arrivé à Meknès après un très long voyage. Tout au long de cette traversée, j’ai été dans une forme d’anticipation. J’ai été curieux de savoir ce que j’allais découvrir à l’arrivée. Depuis que je suis au FICAM, je suis dans un étonnement permanent. Je suis très heureux d’être dans ce grand moment de découverte continue. C’est à la fois une chance et un bonheur pour moi d’être à cette vingtième édition qui constitue un tournant et un moment-clé de ce rendez-vous annuel. Je suis d’autant plus heureux et reconnaissant à l’égard des organisateurs qui m’ont invité à un moment aussi crucial.

Je n’arrive pas encore à imaginer quelle sera la réaction du public marocain quand il verra mon film, mais je ressens tellement une attention passionnée pour l’animation ici que je me demande à quel degré ce film sera en mesure d’y répondre. Je suis en même temps entre l’impatience, l’inquiétude et la curiosité de le découvrir. Mais il y a une beauté dans la ville de Meknès comme dans les rencontres avec les gens ici que je me dis que toutes les belles personnes que j’ai vues ici vont sûrement faire bon accueil au personnage de Nikuko, qui sera portée par cette chaleur humaine.

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