Menu

Interview

Spoliation immobilière : «La mafia est tellement puissante qu’elle arrive à contourner les directives royales»

Plus de cinq ans après la Lettre royale du 30 décembre 2016 appelant les autorités à mettre en place une stratégie urgente pour faire face à la spoliation immobilière et ses mafias au Maroc, les dossiers sont au point mort, et les plaignants déséspérés. Pour Maître Messaoud Leghlimi, les victimes n’ont plus d’autre choix que de saisir à nouveau le roi Mohammed VI contre une mafia «très puissante». Après avoir donné la parole aux familles de victimes, nous abordons l'aspect judicaire dans cet entretien avec Me Leghlimi.

Publié
Maître Messaoud Leghlimi. / DR
Temps de lecture: 3'

Pourquoi les juges statuant sur les affaires de spoliation ne rendent-ils pas des verdicts permettant aux victimes de récupérer leurs biens ?

Lorsqu’il statue, le juge du pénal décide s’il y a un crime ou pas. Pour la radiation des faux actes au niveau de la conservation foncière, il se déclare incompétent. Il faut ainsi passer par la voie civile pour demander la radiation et l’inscription des actes et tout ce qui prouve que la victime soit le propriétaire du bien objet de spoliation.

Au pénal, le juge peut reconnaître une bande de malfaiteurs ayant commis un crime en faisant des faux et décider de condamner ces personnes à des peines d’emprisonnement. Mais lorsque nous arrivons à la phase de restitution des biens, il nous dit qu’il n’est pas compétent et que la loi ne lui donne pas ce pouvoir. Il y a donc un problème au niveau de la loi. C’est la procédure pénale qu’il faut changer et il faut qu’il y ait un amendement en ce sens.

Est-ce normal que ces affaires prennent plusieurs années pour être traitées ?

Au niveau de la procédure au civil, il faut passer par la première instance, ce qui dure des mois voire des années, pour convoquer les spoliateurs eux-mêmes. Leurs avocats demandent des reports pour gagner du temps. Lorsqu’on a finalement un jugement en première instance, nous devons le signifier à ces personnes, qui interjettent appel. Mais même après un jugement de la Cour d’appel, le conservateur foncier peut estimer que cela ne suffit pas et peut demander un certificat de non-pourvoi en cassation, soit un arrêt de celle-ci qui indique qu’il s’agit bien d’un jugement définitif.

Les victimes n'ont toujours pas obtenu gain de cause malgré la Lettre royale le 30 décembre 2016. A un certain moment, les dossiers de spoliation étaient traités par la Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ), mais actuellement, ils sont du ressort des arrondissements, preuve que l’intérêt a diminué. La procédure prend beaucoup plus de temps.

Il y a ainsi des dossiers qui datent de 2016 et sur lesquels l'enquête n'avance plus...

En effet. Nous avons déposé des plaintes en 2016 qui sont toujours traitées par la police judiciaire contre des personnes qui sont connues, riches et puissantes et qui ont spolié des biens.

Le cas cas de Madame Fatima Ben Rahal Chouraki, à lui seul, doit nous interpeller. Il s’agit une veuve qui a 80 ans et qui travaillait chez un colonel de l’armée française dans les années 1950 à Casablanca, qui lui a signé un testament devant un notaire français à Casablanca, pour lui céder des titres fonciers dans le quartier Oasis. Un spoliateur a alors ramené de faux héritiers pour spolier le bien et mettre Fatima à la rue. Nous avons réclamé justice et porté plainte, mais le dossier est bloqué, alors que nous disposons du testament et de toutes les preuves. Aujourd’hui, les biens de cette dame sont inscrits au nom d’une société appartenant à une personnalité connue de la ville blanche. A l’époque, nous avons interpelé le procureur général, le parquet et le conseil supérieur de la magistrature, par des plaintes et des écrits.

Il y a un autre dossier avec un assassinat suivi d’une spoliation, qui végète depuis 2016, avec une dizaine de biens appartenant à un célèbre cardiologue à Casablanca. Il a laissé derrière lui deux orphelines qui n’arrivent pas à bénéficier de leur héritage, car le spoliateur bénéficie d'un réseau structuré avec la complicité notamment de fonctionnaires de la justice et de l’administration. La seule réponse à laquelle nous avons droit est : dossier en cours. Nous n'avons plus qu'à attendre le sort de l’enquête. Le plus inquiétant, c'est que dans le dossier de l’assassinat, la personne coupable n'a pris que 8 mois de prison avec sursis bien que l’autopsie prouve qu’elle a tué le cardiologue.

Qu'est-ce qui empêche de résoudre ces dossiers selon vous ?

Je pense qu'il n'y a pas de volonté de résoudre ces dossiers. Force est de constater qu’il y un blocage au niveau des tribunaux. C’est voulu et il n’y a rien qui marche, surtout au niveau de la Cour d’appel de Casablanca. Même au niveau de la presse, on ne voit plus de victimes venir témoigner. 

Dans ces affaires, tout est fait contre les directives royales et la lettre de 2016. Les spoliateurs et les bandes de mafieux semblent être puissants et parviennent à contourner les directives royales. Ce qui se passe est très grave. Les victimes ne savent plus vers qui se tourner. Nous n’avons plus que Sa Majesté le Roi et nous comptons à nouveau frapper à la porte du Cabinet royal pour sonner l’alarme.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com