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Interview

Mohammed Errafi, son Gravipack, et ses projets au Maroc [Interview]

Ferronnier d’art marocain, la vie a mené Mohammed Errafi jusqu’en France, où il voyageait régulièrement de Montpellier à Paris, un sac à dos rempli de matériel. Les épaules meurtries par le poids de son paquetage, habitué des séances de kiné, il a inventé un sac à dos unique au monde pour soulager sa charge. Le créateur de Gravipack, le sac à dos en apesanteur, dont les bretelles soulèvent le sac au-dessus des épaules, s’est entretenu avec Yabiladi pour revenir sur son parcours et échanger sur son avenir, qui pourrait s’écrire au Maroc.

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Mohammed Errafi portant un Gravipack. / DR
Temps de lecture: 4'

Comment vous est venue l’idée d’alléger la charge d’un sac et de l’exosquelette ? 

Comme toutes les inventions, il s’agit avant tout d’une solution à un problème technique. Je ne le savais pas et je l’ai appris bien après. J’ai créé quelque chose qui n’existait pas et qui est utile pour tous les porteurs de sac à dos. L’invention est venue par hasard et j’ai continué de l'exploiter. Je ne connaissais pas du tout l’exosquelette, que ça allait se nommer comme cela. Je ne savais même pas à l’époque que c’était une innovation pour tous les porteurs de sac à dos, que les grands fabricants n’avaient jamais réussi à faire quelque chose de semblable, que c’était unique au monde.

Les fondamentaux de l’histoire sont que mon sac était très lourd, j’étais un grand voyageur malgré moi et toute ma vie était dans ce sac à dos. Je devais faire Montpellier-Paris deux fois par semaine pour acquérir du matériel et le revendre sur les marchés. Les lanières du sac me bloquaient les ligaments et les épaules, mon dos et mes épaules étaient meurtris, même mon champ visuel était réduit.

Comme je suis ferronnier d’art, j’ai travaillé 10 ans à Casablanca, j’ai torsadé des inserts que j’ai mis dans les bretelles et j’ai créé l’effet d’inversion du centre de gravité du sac sur les flancs. Le réflexe avec un sac lourd est de tirer avec les pouces vers l’avant et ces exosquelettes servaient justement à me libérer les mains.

Comment êtes-vous passés de cette invention plutôt personnelle à un produit aussi universel que Gravipack ?

Un jour, un ami ingénieur en mécanique et résistance des matériaux a emprunté mon sac pour faire un road trip et à son retour, il voulait acheter le même. En discutant, je lui ai expliqué que je l’avais fabriqué moi-même et il m’a dit que je devais absolument déposer un brevet.

Il nous a encore fallu plusieurs années pour développer le système, après les 3 ans que j'ai passé à l’utiliser seul. Le premier brevet a été déposé en 2016 avec les encouragements de mon ami. Six mois plus tard, les premières recherches d’antériorités ont été faites. En 2017, le brevet s’est révélé créatif, innovant et industriel. Il s’est avéré qu’il n’y avait pas de recherche sur les bretelles des sacs à dos depuis 39 ans.

La même année, quand le premier brevet est sorti, un avocat d’affaire m’a conseillé de proposer mon produit à l’armée de terre. Des légionnaires ont testé des sacs à dos, notamment en Syrie, pendant plus de 8 mois et sont revenus avec l’envie d’utiliser l’innovation au quotidien. Ils m’ont alors proposé une aide financière et de participer au concours de l'innovation du ministère des Armées. J’ai été accompagné et j’ai remporté la médaille d’argent Invention 2018 décernée par le ministère de la Défense, la médaille d’argent innovation du ministère des Armées et au concours Lépine, et enfin la médaille d’argent de l’innovation au Concours international des inventeurs.

Face à l’exposition médiatique, j’ai pris du recul pour continuer à développer le produit. Un médecin et un scientifique m’ont proposé leur aide pour faire gratuitement une thèse et une soutenance biomécanique à Lyon 1. Gravipack finalement est avant tout un dispositif contre les troubles et les maux de dos, c’est un soin qui soulage de 92% le poids sur les épaules et n’appuie pas sur les cervicales.

Pour le nom «exosquelette», il nous est venu après un contact avec la SNCF, où on nous a dit que «c’est simple et ingénieux, c’est un exosquelette que nous allons adapter sur nos concepts» ; nous, on appelait ça des inserts. La SNCF et la RATP achètent maintenant tous les jours nos sacs pour leurs employés pour soulager leurs charges. Nous avons même mis le produit à disposition de la NASA qui en voulait un en aluminium pour mettre des capteurs, des micros, etc.

L'exosquelette d'un sac Gravipack.L'exosquelette d'un sac Gravipack.

Avec un produit aussi innovant et universel, comment envisagez-vous le développement de la marque Gravipack, notamment à l’international ?

Au concours Lépine, Fabien Brosse, le directeur innovation de Décathlon, souhaitait racheter les brevets pour faire du co-branding, ce que j’ai refusé. J’ai demandé à ce qu’ils utilisent ma marque Gravipack. Décathlon est finalement revenu à la table des négociations et nous mettons en vente nos sacs sur la plate-forme e-market de Décathlon puis nous leur reversons une commission. Nous sommes aussi dans les rayons des 7 magasins spécialisés en France comme les enseignes Au Vieux Campeur.

Tout le monde a un sac à dos, tout le monde aimerait que son sac à dos soit léger. Gravipack c’est pour tous ceux qui privilégient le bien-être de leur dos et leurs épaules lors d’un portage. Dans un premier temps, on cherche surtout à répondre aux marchés français et allemand. Gravipack, c’est déjà plus de 16 000 utilisateurs dans le monde en seulement un an et demi, avec des sacs vendus à Tokyo, New York, Montréal, Dubaï, tout ça en partant d'un sac que j'ai créé avec 139 euros.

Aujourd’hui, il y a 9 brevets pour 5 modèles d’exosquelettes et nos produits sont protégés partout dans le monde, même en Afrique. Faire protéger Gravipack a été facile, grâce aux équipes en Chine. La Chine fait du très haut de gamme, mais en Europe on ne leur achète que la mauvaise qualité. Nos sacs sont très haut de gamme et personne en Chine ne pourrait le copier, les lois sur les contrefaçons nationales sont très dures.

Notre marché fait plusieurs millions d’euros. Aujourd’hui nous réalisons 200 à 300 000 euros de chiffre d’affaires mensuel avec à peine 5% de notre prévisionnel, sans marketing ou publicité. Nous laissons les clients eux-mêmes vendre notre produit. Il suffit de regarder sur Google avis, où nous sommes très bien notés avec de très bons commentaires. Un bon produit se vend tout seul.

Comment voyez-vous aujourd’hui le Maroc, plutôt comme un marché ou comme une opportunité pour fabriquer vos produits et participer à son développement économique ?

Le Maroc est mon pays et j’en suis fier, la qualité du Maroc c’est l’humain. J’ai créé à Tanger la société Suricate Holding et nous cherchons à la développer, mais c’est parfois difficile avec toutes les demandes internationales. Nous ne sommes que 60 dans le monde, avec 10 investisseurs dont 2 Marocains.

Pour le Maroc, nous avons le projet de nous installer avec une usine de production et de faire tout ce qui est packaging, étiquetage, impression. Nous souhaitons l’ouvrir pour 2024 ou 2025 afin de pouvoir créer 200 emplois, dont la moitié de salariés en situation de handicap. Nous avons fait une vente participative bouclée le 8 avril à 962%, dans une situation mondiale économique pourtant compliquée. Tous les bénéfices vont permettre de créer des emplois et 3 euros par produits vendus, environ 20 000 euros, vont être reversés à une association d’insertion des enfants handicapés dans le sport à Marseille.

Suricate Holding sera à terme la maison mère de tous les brevets et les inventions. Nous allons continuer notre propagation et venir au Maroc développer notre entreprise Suricate, actuellement en sommeille. Quoi qu’il en soit, la priorité pour nous est de créer nos propres emplois.

Article modifié le 15/04/2022 à 21h34

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