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Grand Angle

Ouarzazate, enclavée à jamais ! [Reportage]

En l’absence d’une stratégie globale de désenclavement, Ouarzazate a presque une seule issue, la route de Tichka. Axe majeur donnant accès à Marrakech et aux autres régions, elle est en travaux depuis 2015.

Publié
Ph.Hicham Ait Almouh
Temps de lecture: 4'

Cela fait plus de sept ans que la route nationale n°9, reliant Marrakech et Ouarzazate, est en travaux. Même les quelques lots qui ont été achevés, comme celui qui sépare le village de Taddarte et le haut du col de Tichka, versant nord, commencent à montrer des fissures, alors qu’ils viennent d’être livrés.

Le seul lot qui tient le coup est celui qui relie Marrakech et Ait Ourir, dédoublé, plat et long d’une trentaine de kilomètres. Pour les lots qui sont en chantier entre Tichka et Ouarzazate, les terrassements réalisés doivent être refaits après les dernières pluies. Mais cela est censé être pris en compte par les études préalables au lancement du projet.

L’importance de cette route, longue de plus de 200 kilomètres, est indéniable. À elle seule, elle devrait atténuer, légèrement faut-il le préciser, l’enclavement dont souffre une grande partie de la région de Drâa-Tafilalet, la ville est la province d’Ouarzazate en premier. Mais, depuis le début des travaux en 2015, et même avant cela, elle contribue en fait à suffoquer une région dont la superficie est de 128 500 km², ce qui correspond à 12,8% du territoire national, avec une population de 1,6 million d’habitants (2014). Pour ce qui est d’Errachidia, chef-lieu de la région, elle est mieux lotie. Elle dispose de deux grands axes routiers, la n°13 la reliant à Meknès au nord, et la n°10 pour rejoindre Ouarzazate à l’ouest.

L’accès des personnes et des marchandises vers et en provenance de plusieurs localités, comme M’hamid El-Ghizlane, Zagora et Agdez, et même des localités situées à l’est d’Ouarzazate, comme Kalâat-M’gouna, se fait essentiellement par le col de Tizi n’Tichka, haut de 2200 mètres. En temps normal, la circulation est presque fluide entre ses lacets, mais quand la température baisse en dessous de zéro degré ou quand il neige, le col est simplement fermé. C’est ce qui explique les longues files d’attente quand la neige et le verglas obligent les autorités à faire descendre la barrière de neige, comme ce qui est passé après les chutes tardives ce mardi 15 mars. Les camionneurs ont été obligés d’y passer la nuit jusqu’à mercredi matin. Mais chaque chauffeur qui entreprend la traversée de ce col doit s’y attendre.

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Cela dit, Ouarzazate, Agdez et Zagora disposent d’axes routiers qui les relient à Agadir et à Guelmim, notamment les routes nationales n°10 et n°12. Ces deux axes n’atténuent que relativement l’enclavement qui accable la province d’Ouarzazate, dont le lien économique avec Marrakech demeure la plus vital. Enfin, une autre route, la R307, relie Ouarzazate à Demnate via les deux cols de Tizi n’Fedghate et Tizi n’Tnoutfi. Impraticable pour les poids-lourds, elle est aussi en travaux depuis environ quatre ans, et ses deux cols dépassent aussi 2 100m d’altitude. Seuls les touristes motards l’apprécient, grâce aux vues pittoresques de la vallée de Tassaout, mais leur passage n’a pratiquement aucun impact économique sur les populations qui y résident.

L’aérien, solution sérieuse

L’aéroport d’Ouarzazate tarde à reprendre son activité normale, à l’opposé de la plupart des aéroports du royaume. En 2021, cet aéroport a réalisé une légère baisse de son trafic commercial de 3,44%, par rapport à l’année précédente, ce qui le place à la 13e position, un classement pas tout à fait honorable. Tous les aéroports du royaume ont réalisé en 2021 une hausse qui varie, par exemple, entre 1% pour Marrakech, 38% pour l’aéroport Mohamed V, le premier du royaume, et 155% pour l’aéroport d’Oujda. Comparée à 2019, la baisse d’activité de l’aéroport d’Ouarzazate a atteint 74,4%, le trafic étant passé de 136 000 personnes à 34 800. Nul besoin de le répéter, l’année du déclenchement de la Covid-19 a été dévastatrice pour tous les aéroports marocains.

Les deux autres aéroports de la région, ceux d’Errachidia et Zagora sont classés derniers au Maroc, ayant transporté respectivement 23 000 et 9 400 personnes en 2021, en hausse de 42% et 180% en une année. Par rapport à 2019, leur activité a chuté de 57% et 45% respectivement. Ces nombres de passagers sont évidemment infimes et n’influent ni sur la mobilité des personnes ni sur le transport de marchandises entre le Drâa-Tafilalet et les autres régions.

La solution aérienne pour désenclaver la province d’Ouarzazate demeure pour autant très sérieuse. Cela est d’autant plus encourageant que le Maroc a déjà expérimenté, avec un certain succès, l’option de subvention des vols intérieurs. Assistées par les ministères de Tourisme et d’Intérieur, plusieurs régions du royaume ont en effet pris en charge une partie du prix des billets, quand le remplissage des avions de RAM ne lui est pas rentable. En 2017, le Drâa-Tafilalet a signé une convention de partenariat avec RAM d’un coût global d’environ 46 millions de dirhams, dont un montant de 35 millions incombait au Conseil régional. Mais on n’en connait pas l’issue.

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Si certaines destinations qui en ont bénéficié sont prisées, comme Dakhla où les vols atteignent parfois un taux de remplissage record de 90%, d’autres le sont moins. Aussi, avec 1,58 millions de passagers en 2021, en hausse d’environ 40% par rapport à 2020, et en baisse de 47% par rapport à 2019, le trafic aérien intérieur ne représente qu’environ 16% du total général des passagers aériens en 2021. De plus, l’avion demeure dans l’imaginaire des Marocains un mode de transport onéreux. Même si certaines promotions atteignent des niveaux presque semblables aux prix des autres moyens de transport, les tarifs annoncés par RAM descendant par moments jusqu’à 300 et 400 dirhams, la population concernée n’est jamais touchée.

Ouarzazate n’est pas la seule enclavée

La région de Drâa-Tafilalet n’est pas la seule qui vit un enclavement géographique au Maroc. Pour des raisons différentes, les régions de l’Oriental, de Dakhla-Oued-Eddahab, de Guelmim-Oued-Noun et, partiellement, de Souss-Massa, pâtissent des frontières terrestres fermées. Ces régions ont cependant une précieuse ouverture maritime, beaucoup plus de ressources et d’actifs et ne sont pas affligées par un accès routier difficile, comme le col de Tichka.

Ces disparités structurelles se traduisent par une performance économique qui montre l’écart avec les autres régions. Le Drâa-Tafilalet a contribué, en 2017, à hauteur de 4,1% au PIB national seulement. Ses parts dans l’investissement du budget global (BG) et dans celui des Établissements et des Entreprises Privées (EEP) sont de l’ordre de 7,8% et de 2% respectivement (2019). Pour ce qui du taux de pauvreté, il a avoisiné 14,6% en 2014.

La région de l’Oriental, acculée à un mur de barbelés, contribue de 6,5% au PIB (2017). Pour ce qui de ses parts dans les investissements du BG et des EEP, elles sont de 8,3% et de 8% (2019). Le taux de pauvreté dans cette région, quant à lui, dépasse à peine 5%. Toutes les autres régions enclavées font mieux, sauf Guelmim-Oued-Noun, avec une contribution infime au PIB de 1,1% et un taux de chômage de 19%, le plus haut du royaume.

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