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Grand Angle  

Cinéma : Dalila Ennadre, documentariste des sans voix entre le Maroc et la France

A l’occasion d’un hommage posthume à la réalisatrice franco-marocaine Dalila Ennadre, dans le cadre du Festival du réel à Paris, sa fille Lilya Ennadre a été l’invitée de l’émission Faites entrer l’invité – spéciale Marocains du monde sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi. La jeune actrice a partagé son témoignage intimiste sur une maman et une documentariste aux films intemporels.

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Dalila Ennadre et sa fille Lilya / DR.
Temps de lecture: 4'

Réalisatrice entre deux rives, globe-trotteuse passionnée de découverte et Marocaine du monde passionnée par les petites gens, Dalila Ennadre sera mise à l’honneur dans un hommage posthume le 17 mars prochain à Paris, dans le cadre du Festival du réel. A cette occasion, deux de ses films notables seront projetés : son dernier «Jean Genet, notre père des fleurs», et l’un de ses premiers documentaires à succès, «El Batalett, femmes de la Médina».

Dalila Ennadre s’est éteinte le 14 mai 2020 à l’âge de 53 ans, des suites d’une longue maladie, mais ses films restent, mettant en images le Maroc, les Marocains et les Marocaines qu’elle chérissait tant. Titré en allusion au roman «Notre-Dame des Fleurs» paru en 1943, son dernier opus sur l’écrivain français amoureux du pays, Jean Genet, a été primé en novembre 2021 au Festival international du film d’Histoire de Pessac. La réalisatrice franco-marocaine s’est envolée vers d’autres cieux avant la finalisation de ce documentaire, mais ce dernier verra le jour à titre posthume grâce aux efforts de sa monteuse Catherine Mantion et de la fille de la défunte, Lilya Ennadre, avec un groupe d’amis cinéastes proches.

Un film sur le leg de Jean Genet à Larache

Future bachelière et jeune actrice, Lilya Ennadre a été l’invitée de l’émission Faites entrer l’invité – spéciale Marocains du monde sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi. Dans son témoignage intimiste à propos de sa maman, elle est notamment revenue sur la finalisation de ce dernier documentaire posthume. «Ma mère avait laissé une première version de montage, mais le film était sur deux heures et il fallait enlever une heure à peu près ; c’était un travail délicat, qu’on a fait avec la monteuse qui était très à l’écoute et qui avait bien compris ce que ma mère attendait, ainsi que des réalisateurs», a-t-elle indiqué.

Dalila Ennadre auprès de la tombe de Jean GenetDalila Ennadre auprès de la tombe de Jean Genet

Issue d’une grande famille artistique où son père Samir Abdallah évolue aussi dans le septième art comme acteur, réalisateur, directeur de la photographie et scénariste, Lilya a mis la main à la pâte pour finaliser le montage d’un film d’une grande importance pour sa maman. La jeune actrice a accompagné très tôt Dalila Ennadre dans les tournages de ses documentaires, notamment ce dernier tourné à Larache. Entre engagement et sentiment de responsabilité sur l’aboutissement de ce processus, son immersion précoce lui a permis d’être très proche du projet, aidée par l’équipe du film. Elle estime que le résultat final est fidèle à ce que sa mère voulait.

Par ailleurs, Lilya précise qu’il ne s’agit par d’une biographie de Jean Genet mais d’une construction documentaire, dans ce que Dalila Ennadre appelle «le cinéma vérité». «C’est plus sur l’héritage qu’il a laissé aux gens de la ville de Larache (…) Jean Genet était écrivain et poète. On voit dans le film que le rapport à la nature est très important, d’où le titre "notre père des fleurs" qui rappelle ses écrits», a expliqué Lilya.

En novembre 2021, ce documentaire a décroché le Prix du Jury professionnel dans la compétition des documentaires inédits, dans le cadre du Festival International du Film d’Histoire de Pessac. Lilya Ennadre se rappelle que «le jury a été conquis». «C’était très émouvant et j’ai été très reconnaissante pour ce moment où la présidente du jury avait les larmes aux yeux quand elle m’a donné le prix», a confié la jeune actrice.

Lilya Ennadre recevant le prix pour le documentaire de sa maman au Festival international du film d'Histoire de PessacLilya Ennadre recevant le prix pour le documentaire de sa maman au Festival international du film d'Histoire de Pessac

«C’était d’autant plus émouvant de voir que des gens qui ne connaissaient pas ma mère personnellement ont aimé le film. Il a fait sens chez beaucoup de personnes et nous avons eu beaucoup de retours positifs. Je suis très fière du documentaire de ma mère et pour moi c’est son plus beau film, qui est l’accomplissement de toutes ces années de travail.»

Lilya Ennadre

Lilya se souvient aussi de l’hommage rendu à sa maman à la Cinémathèque française : «Il y avait beaucoup de membres de la famille ainsi que des réalisateurs qui connaissaient ma mère, ils ont tous dit avoir senti la présence de ma mère dans le film et c’est ce qui nous a tous beaucoup touchés, car le film est fait dans son style et nous l’avons terminé de la même façon.»

Un cinéma pour ceux que l’on n’entend pas

Dans son témoignage, Lilya Ennadre se souvient avoir vu et apprécié toute la filmographie de sa maman. Mais le documentaire qui l’a marquée le plus reste «Des murs et des hommes» (2004).

«Ce film m’a émue ; j’ai déménagé avec elle pendant six mois au Maroc pour le tourner. J’ai discuté avec les gens pendant le tournage et j’ai trouvé que ma maman avait toujours une manière très poétique d'aborder les personnes, qui se mettaient facilement à nu et se confiaient à elle, ce qui apporte beaucoup de singularité et de richesse aux témoignages dans ce film», se souvient Lilya Ennadre.

«Ma mère aimait donner la parole à ceux qui n’en ont pas. Ses films portent donc toujours sur une question humaine, avec un langage cinématographique universel dans le but d’amener le spectateur à se sentir concerné et de prendre part à la réflexion que propose le documentaire (…) J’ai toujours été admirative de la personne qu’elle était.»

Lilya Ennadre

Dalila Ennadre a donné également une place importante aux femmes marocaines dans tous leurs états, à travers plusieurs œuvres de sa filmographie. Dans «El Batalett» (2000), disponible en accès libre sur les réseaux sociaux de l’Institut français du Maroc, Dalila a portraitisé un groupe de femmes qui vivent dans l’ancienne médina de Casablanca depuis leur enfance. A travers des témoignages intergénérationnels, la réalisatrice a transmis l’image complexe des femmes issues des milieux populaires dans son pays et son quartier de naissance. Ses héroïnes sont conscientes de leurs droits qu’elles défendent, en interaction avec leur voisinage et leurs époux au sujet du droit successoral, du vote, de l’autonomie financière, de l’émancipation de leurs filles et de leur éducation. La réalisatrice a suivie ses protagonistes jusqu’au cœur de la Marche des femmes, qui a marqué en mars 2000 un tournant sur le débat public relatif à la situation des citoyennes au Maroc.

Native de Casablanca avant de grandir en région parisienne, Dalila Ennadre a gardé le Maroc comme fil rouge dans ses films. «Pour elle, c’était comme un devoir de donner la parole aux gens de cette façon et cela la rendait malade de ne pas le faire (…) pendant de nombreux mois, son travail lui permettait de tenir car c’est ce qui l’animait et ça lui faisait du bien», a confié sa fille Lilya. «Elle pensait que chacun avait une mission sur Terre et la sienne était d’aider comme elle le pouvait les gens à qui on ne donnait pas la parole et elle m’a transmis son attachement au Maroc», a-t-elle ajouté. «Tout ce qu’elle m’a inculqué est un héritage et je me dois maintenant de faire vivre ses films pour tous les gens qui y sont et qui attendent d’être entendus», affirme la jeune actrice.

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