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Interview

«Les élections du 8 septembre ont ramené la scène politique marocaine à l’avant 1998» [Interview]

Après dix ans à la tête du gouvernement, le Parti de la justice et du développement (PJD) a essuyé un douloureux revers, avec à sa tête l’ancien Chef du gouvenement qui a même perdu son siège de député. Pour sa part, le Rassemblement national des indépendants (RNI) est sorti renforcé des élections générales du 8 septembre. Le politologue Abderrahim El Allam livre à Yabiladi sa lecture de la nouvelle cartographie politique.

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Abderrahim El Allam, professeur de sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech / DR.
Temps de lecture: 3'

Les résultats des élections générales du 8 septembre 2021 ont révélé des changements majeurs dans la carte politique au Maroc. Largement premier au scrutin législatif de 2016, le Parti de la justice et du développement (PJD) est tombé à la huitième place, cédant la tête du classement au Rassemblement national des indépendants (RNI).

Professeur de sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, Abderrahim El Allam livre sa lecture des changements dans la scène politique marocaine, ainsi que sa vision des futures alliances et de l’avenir du parti islamiste en souffrance.

Quelle est votre lecture de la scène politique après les élections du 8 septembre ?

Nous sommes dans une situation similaire à la situation d’avant 1998, où les partis proches du pouvoir dirigeaient les gouvernements et contrôlaient le Parlement. Aujourd’hui, les partis issus du mouvement national, comme le Parti de la justice et du développement et les partis de gauche, se sont affaiblis et ont essuyé un recul. Il y a un contrôle des partis proches de l’administration qui ont une majorité écrasante au Parlement et qui constitueront une très large majorité à la Chambre des conseillers.

En outre, ces partis, qui se composent du Rassemblement national des indépendants, du Parti authenticité et modernité (PAM), du Mouvement populaire (MP) et de l’Union constitutionnelle (UC), ont une majorité dans la plupart des conseils élus.

De l’autre côté, il y a le PJD qui n’a pas seulement essuyé un recul, mais il est tombé en bas du classement. Pour leur part, les partis de la Koutla ont soit maintenu leur position déjà en recul, soit ils sont légèrement avancé, comme le Parti de l’Istiqlal.

Ces élections ont aussi permis le retour d’anciens visages à la vie politique. Parmi eux, des élus condamné par la justice auparavant, ou ont pris leur retraite politique avant ce retour, ou alors empêchés d’être en lice par des instructions, en réponse à la dynamique du Mouvement du 20 février ou en prévision de la victoire du PJD, précédemment.

Qu’en est-il de la carte des futures alliances ?

Par logique politique, les partis aux orientations similaires sont censés s’allier pour former le gouvernement, tandis que les partis de la Koutla, de gauche et le PJD se placeront dans l’opposition. Cette logique prévalait dans les années d’avant 1998, lorsque les partis de la Koutla et l’Organisation d’action démocratique populaire (OADP) étaient dans l’opposition. Les formations proches du pouvoir étaient dans la majorité.

Mais avec les transformations intervenues par la suite, les partis politiques se sont moins appuyés sur des idéologies et les alliances sont devenues des confédérations au sein desquelles on met de tout. Nous avons vu des islamistes aux côté de progressistes, ou des partis administratifs... De ce fait, il n’existe plus de logique aux alliances politiques au Maroc. On peut s’attendre à tout, à l'exception d'une participation gouvernementale du PJD, de l’Alliance de la fédération de gauche (AFG) et du Parti socialiste unifié (PSU).

Je pense que le PAM ne pourra pas se maintenir encore dans l’opposition, depuis sa création. Aussi, les dirigeants de certains partis politiques sont intéressés à faire partie du gouvernement à tout prix, comme l’UC et le MP. Les parlementaires présentés par ces deux derniers n’ont pas de position sur le fait d’avoir un pied dans l’exécutif ou non. Ce qui compte pour eux, c’est d’être présents au Parlement pour défendre leurs intérêts et pour apporter certains privilèges à la circonscription dans laquelle ils sont élus. Ces deux formations peuvent même ne pas assister aux commissions et se soucier moins de politique nationale que de leur circonscription. Elles sont constituées de notables qui ne souhaitent pas être dans la majorité ou dans l’opposition.

Comment voyez-vous l’avenir du PJD ?

Le PJD n’est pas un parti ordinaire. On ne peut pas dire que les dernières élections lui ont porté un coup fatal. Le parti est affaibli, certes, mais il a une pépinière religieuse et des gens qui lui font confiance, d’autant qu’il évolue dans un environnement conservateur. Toute problématique liée à la religion et les réponses qu’il y apportera sont susceptibles de raviver la flamme.

Le PJD a bien saisi le message. Ceux qui ont voté pour le parti lors de ces élections sont sa base solide. Ils sont allés voter pour lui malgré toute l’atmosphère qui laissait présager sa défaite et malgré les tentations et les pressions. Ce nombre est suffisant pour que la formation maintienne une bon noyau pour repartir. Et si le parti lit bien entre les lignes et revient sur les erreurs qu’il a commises, il retrouvera de l’éclat, surtout si certains de ses dirigeants comme Mustafa Ramid reviennent.

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