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Interview

«Fiction of reality», un diptyque intimiste de M’hammed Kilito sur le confinement sanitaire [Interview]

Habitué à la photographie en couleurs depuis son retour au Maroc, M’hammed Kilito a photographié en noir et blanc pour la première fois dans le pays, dans le cadre de son diptyque «Fiction of reality». Produit par la National Geographic Society, ce projet documente 96 jours de confinement, où il met en avant ses parents dans un cadre intimiste et poétique.

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«Fiction of reality» / Ph. M’hammed Kilito
Temps de lecture: 4'

Dans quel contexte avez-vous eu l’idée de réaliser cette série ?

Au départ, je n’ai pas voulu photographier le confinement proprement dit, car beaucoup de travaux photographiques allaient se faire sur ce sujet et j’ai préféré trouver un biais plus original. En mars dernier, j’étais en déplacement à Amsterdam mais j’ai eu la chance de prendre le dernier avion avant la fermeture des frontières. A mon arrivée, j’ai été contacté par le Washington Post à travers un iconographe, qui m’a demandé de documenter ce que j’étais en train de vivre. J’ai fait donc un travail personnel ; j’ai été en quarantaine et j’allais revoir mes parents bientôt. J’ai pensé à photographier comment ils passaient leur confinement dans un petit espace, leur quotidien, leurs sorties avec le chien dans le parc.

Ce projet a été financé par National Geographic et il m’a été important aussi de le visibiliser dans des supports marocains. J’ai décidé de présenter la série sous forme de diptyque. J’ai beaucoup apprécié prendre ces photos car cela m’a rappelé mes débuts en photographie. L’idée aussi était de présenter autre chose que le confinement en lui-même. Je m’intéressais à la manière dont les gens réagissaient à l’allègement des mesures sanitaires donc il y a également des photos du déconfinement.

«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito

Nous remarquons justement qu’il n’y a pas que des photos d’intérieurs dans cette série. Etait-ce un défi pour vous de «briser les murs» pendant le confinement ?

Le premier challenge était d’abord celui de photographier mes parents, surtout qu’ils refusaient cela, par le passé. J’avais toujours l’habitude de me déplacer pour mes projets photographiques mais avec l’urgence sanitaire, beaucoup de mes expositions ont été annulées ou reportées, donc mes parents ont souhaité me soutenir et ont décidé de se prêter au jeu.

Au début, je n’ai pas photographié d’extérieurs, si ce n’est le périmètre près du domicile de mes parents lorsqu’ils sortaient leur chien. Les autres photos à l’extérieur n’ont été réalisées qu’à la levée du confinement strict. J’en ai profité pour photographier ma mère quand elle allait faire ses courses ou ses balades en bord de mer. Mes parents sont par ailleurs dentistes, ma mère est à la retraite mais mon père exerce toujours. Donc je l’ai aussi accompagné au cabinet pour prendre quelques images.

Cette série suit la chronologie des étapes du confinement sanitaire que nous avons traversées depuis mars 2020. Quelle était la particularité de ce projet, d’un point de vue artistique ?

Je suis rentré au Maroc il y a cinq ans. Quand j’habitais au Canada, je faisais de la photographie en noir et blanc. Mais depuis mon retour ici, j’ai photographié exclusivement en couleurs car j’ai considéré que cela faisait partie de la culture du pays. Avec la crise liée à la pandémie du nouveau coronavirus, j’ai senti que la situation était proche de la fiction, d’où la série intitulée «Fiction of reality». En général, la fiction est photographiée en noir et blanc et le réel, comme on le voit dans notre vie quotidienne, en couleurs. C’est donc pour la première fois au Maroc que j’ai décidé de travailler en noir et blanc pour ce projet-là.

«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito

Ce qui est interpellant pour moi, sur le plan créatif, c’est que je photographie souvent des thématique sociopolitiques, la sociologie du travail, des questions liées aux jeunes. Pour la première fois aussi, je travaille sur un sujet lié à une crise qui a paralysé le monde entier. Au lieu de photographier des hôpitaux, j’ai décidé de faire un travail très intime et de me concentrer pour la première fois sur mes parents. J’ai essayé de vivre cette pandémie différemment en la percevant à travers eux, comme je les ai côtoyés tout au long du confinement.

En photographiant vos parents, vous avec documenté aussi des thématiques qui leur sont rattachées, leur métier, leurs loisirs où l’on voit une forte présence de l’art. Cela a-t-il fait partie de ce quotidien en confinement ?

Pendant cette période, j’ai vraiment voulu m’intéresser à comment mes parents, qui sont d’un certain âge, pouvaient vivre ce moment qui était relativement pénible. Il y a une photo que j’aime particulièrement, où mon père est en train de composer et d’écrire des partitions. C’était son échappatoire quotidienne. Il prenait tous les jours son luth, répétait Oum Kalthoum ou Mohamed Abdelwahab et je trouvais cela très agréable. Ma mère m’appelait souvent aussi pour la prendre en photo à la maison pendant ses activités.

«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito

Vous êtes revenu aux bases de la photographie dans plusieurs aspects, avec le noir et blanc, des sujets qui vous concernent directement… Beaucoup ont considéré que cette période, certes difficile, permettait de revenir à l’essentiel. Etait-ce le cas pour vous ?

Je pense que nous avons tous vécu un moment d’introspection. Nous avons remis en question beaucoup de choses. Certaines personnes ont profité du confinement pour avoir plus de temps pour lire des livres ou voir des films, mais aussi pour réfléchir à ce qui est important finalement. Du jour au lendemain, on peut tout perdre et se retrouver enfermé chez soi, sans avoir cette possibilité de se déplacer comme on veut. D’une certaine manière, on est en train de vivre un moment en suspens.

Pour moi, cela a été à la fois une période difficile et une période où j’ai beaucoup travaillé. Mais ce qui compte pour moi aujourd’hui c'est de réaliser que la pandémie continue d’exister et que grâce aux habitudes qu’on peut avoir, il y a une phase d’acclimatation qu’il n’y avait pas au début. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on peut s’habituer à quelque chose de nouveau assez rapidement, ce qui est un trait de l’humanité très important.

«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito

Ce confinement a duré 96 jours comme vous l’avez mentionné dans votre série. Quels étaient les moments difficiles pour vous ?

Dans le cadre de ce projet, je n’ai pas réellement éprouvé de moments difficiles. Mais par rapport à mon métier de manière globale, ce qui a été difficile est l’impossibilité de voyager à l’étranger alors que j’avais une année chargée en expositions. L’un des plus importants aspects de notre travail de photographes est le voyage car lors de nos rencontres artistiques, nous faisons connaissance de curateurs, de responsables de médias, d’autres professionnels… Tout cet aspect-là n’a pas existé en 2020 et c’était le plus difficile à vivre.

Une fois la levée du confinement strict, comment avez-vous vécu cet allègement en tant que photographe ?

Cela m’a permis de voyager de nouveau ; c’était la première chose que j’ai faite en prenant la voiture pour aller jusqu’à M’hamid, dans le sud du Maroc, dans le cadre d’un repérage. Je suis en train de travailler sur un nouveau projet et pendant le confinement, j’ai profité du fait de rester à la maison pour trouver des financements justement. Il y a eu beaucoup de formations et de discussions professionnelles à distance aussi.

«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito«Fiction of reality» / Copyright M’hammed Kilito

Article modifié le 16/03/2021 à 16h37

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