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Grand Angle

Maroc : Les affaires passent mais la justice trépasse [Billet d'humeur]

Reddition des comptes, transparence, lutte contre la corruption et bonne gouvernance, nous chantaient les défenseurs de la constitution de 2011. Aux grands mots, les plus beaux stratagèmes pour étouffer les affaires avant même d'atterrir entre les mains de la justice. Belkhayat, Mezouar, Baddou, Maroclear, CCME, et bien d'autres encore, ont été mis en cause dans des supposés abus d'argent public sans que la machine judiciaire ne s'en empare.

Publié
Yasmina Baddou sur le plateau de l'émission "Mais encore ?"
Temps de lecture: 4'

Mon but n'est pas de jeter l'anathème sur ces responsables politiques ou dirigeants d’institutions publiques ou d’entreprises aux capitaux publics. La présomption d'innocence est un principe qui doit être respecté, tout autant que celui de la reddition des comptes. Néanmoins, lorsque des pièces mettant en cause l'utilisation de l'argent public sont révélées par les médias et que la machine judiciaire, si prompt à s'emballer pour un rappeur ou un baiser d'ado sur Facebook, ne bronche pas, on est en droit de s'inquiéter. Seule la justice, aussi imparfaite soit-elle, peut permettre de laver ces personnes de tout soupçon, ou les condamner si les faits sont avérés. 

Une situation pire que 2011

Aujourd'hui, toutes les espérances nées -peu être naïvement- de la nouvelle constitution et de l'arrivée aux affaires du parti à la réputation immaculée, sont en train de s'envoler. Les attaques ad hominem entre majorité et opposition sont devenues la norme, des documents pour beaucoup accablants sont publiés, et la justice préfère regarder ailleurs. Cette situation crée, sans nul doute, un climat de défiance des citoyens qui n'ont plus besoin d'être convaincus de la célèbre sentence "Tous pourris". Si un mouvement du 20 février (version 2014) devait de nouveau battre le pavé, le nombre de militants ne suffirait pas pour porter les pancartes avec chaque nom de responsable qui devrait selon l'opinion publique, être jugé. 

Le marécage de suspicions dans lequel nous baignions depuis plusieurs mois ne sert pas la construction de ce nouveau Maroc, aux institutions démocratiques dignes d'un Etat de droit, qui rétablirait enfin la confiance entre le citoyen et le politique. L'abstention n'est plus le seul révélateur de cette défiance. Les manifestations pacifistes ne sont plus le seul moyen d'exprimer sa colère. Aujourd'hui, certaines franges de la population passent directement aux insultes ou à une violence physique directement dirigées vers les responsables politiques. Ni le prestige du poste de chef de gouvernement, ni le bagou de Benkirane, et encore moins ses promesses électorales ne suffisent à calmer la colère des citoyens laissés pour compte. 

Benkirane, quel bilan ?

Le bilan des 2 années du gouvernement Benkirane, inscrit pourtant dans une perspective de reddition des comptes et de lutte contre la corruption, est des plus décevants. Malgré les promesses de départ, très peu d'affaires révélées par la presse n'ont été suivies d'actions concrètes. Des éructions verbales légendaires de Abdelilah Benkirane, nous avons surtout retenu l'inquisition à géométrie variable du chef du PJD. Telle une girouette, la violence verbale est portée tantôt sur le RNI, tantôt sur l'Istiqlal en fonction des alliances gouvernementales. Quelle crédibilité donner aux prochaines accusations émises par Benkirane au parlement ou dans un meeting du parti islamiste, alors qu'il vient lui même de se déclarer impuissant face à la réalité de la corruption

Même les responsables mis en cause dans des affaires n'ont plus peur des coups d'esbroufe du chef du gouvernement. Ainsi, les responsables de l'Istiqlal ont annoncé intenter une action en justice contre Abdelilah Benkirane pour les propos diffamants a l'encontre de Yasmina Badou. Ainsi, le Premier ministre goûtera peut-être aux joies des tribunaux au même titre que les journalistes qui ont révélé des documents sur la mauvaise gestion de l'argent public de certains responsables. 

Journalisme, un métier dangereux

Si le pouvoir politique (parlement) et le pouvoir judiciaire n'ouvrent que très rarement des enquêtes sur les affaires révélées par les médias, les mis en cause n'hésitent pas à attaquer les journalistes (El Guerrouj contre Al Akhbar, Ajbali du CCME contre Yabiladi.com, Amara contre Al An) ou le Ministère Public contre les lanceurs d'alertes (Abdelmajid Louiz dans l'affaire des primes de Mezouar). D'autres plus discrets optent pour le silence en laissant tranquillement l'affaire se tasser (Driss El Yazami du CCME dans le conflit d'intérêt avec l'association Génériques ou Fathia Bennis de Maroclear dans l'affaire des chocolats). 

Nous avons donc d'un côté une absence de réaction de la justice face à des affaires relativement graves impliquant des responsables, et de l'autre des risques assez conséquents pour les médias et les lanceurs d'alertes. Il faut tout de même être suicidaire pour continuer à révéler ce type d'affaire alors même qu'aucune suite n'est donnée dans de trop nombreux cas. L'esprit de la nouvelle constitution, à en croire ses concepteurs, voudrait pourtant que les responsables politiques soient au dessus de tout soupçon. Le discours des ténors du PJD nous laissait espérer la systématisation des enquêtes et poursuites judiciaires pour chaque affaire grave révélée. 

Des politiques au dessus de tout soupçon

Un homme ou une femme qui accède au pouvoir, qui a la responsabilité de l'argent public, doit s'engager à une totale transparence vis à vis des citoyens. Or on assiste à des tentatives d'intimidation des rares titres de presse encore assez fou pour révéler un document délicat, un verrouillage toujours aussi ferme du fameux droit d'accès à l'information, et une opposition farouche à l'obligation de déclaration de patrimoine des députés et autres responsables politiques. Comment voulez-vous dans ces conditions, entendre les explications très parcellaires de Abdelâdim El Guerrouj sur l'affaire des chocolats, ou les affirmations de Yasmina Baddou sur son (ou ses) appartement qui aurait été acheté à Paris sans être passé par l'Office des changes. Cette dernière a profité de l'émission "Mais encore", pour "tordre le cou" aux rumeurs en répondant aux questions très consensuelles de Hamid Berrada. 

Le citoyen n'y croit plus et a l'impression d'assister à une belle opération de communication visant à redorer le blason d'une potentielle future ministrable de l'Istiqlal. Malgré les vociférations d'un Benkirane, il est persuadé que l'impunité dont jouissent certains intouchables demeurera la règle. C'est donc tout naturellement qu'il préfère lire le titre de l'émission "Mais encore" en le traduisant en darija, comme un message envoyé par la fatalité : O men ba3d ?

:)
Auteur : CHAPAIE
Date : le 31 janvier 2014 à 13h54
C'est toujours les même
Predator
Auteur : Khalid...
Date : le 31 janvier 2014 à 09h10
Bonjour,
Excellent article, les familles "sémites" au Maroc que tout le monde connait sont intouchables, jusqu'à quand ? pas pour le moment, le sinistre de la justice préfère s'exhiber devant des mini-affaires...
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