Par une convention de partenariat, signée le 18 mai 2009, qui nous est parvenue, le Conseil de Communauté Marocaine à l’étranger (CCME), dont Driss El Yazami est président, subventionne l’association française, Génériques pour son exposition «Générations : un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France», alors que Driss El Yazami en est encore le délégué général. Montant de la convention : 100 000 euros, soit 1,1 million de dirhams.
Nous avons présenté cette situation sous la forme d’un cas théorique, sans indiquer les noms des protagonistes ni des organisations, à Kaoutar Boussria, cadre juridique au pôle affaires juridiques, de l'Instance Centrale marocaine de la Prévention et de la Corruption. Son jugement est sans appel : «Si ces informations sont sûres, c’est une situation qui est anormale et qui relève bien d’un conflit d’intérêt. La personne dont vous me parlez ne peut pas utiliser son pouvoir pour donner des subventions à l’association qu'elle dirige.»
L'exposition majeure de Génériques
La subvention de 1,1 million de dirhams, signée en 2009 par Abdellah Boussouf, secrétaire général du CCME, et Farouk Belkeddar, secrétaire général de Génériques, était dédiée à l’exposition, «Générations : un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France», présentée, pour la première fois à Lyon, à l'été 2009. (Voir la copie de la convention ICI) A cette époque là, Driss El Yazami est non seulement le co-fondateur et délégué général de l’association Génériques, depuis 1987, président du CCME, depuis 2007, mais il est aussi le commissaire de l’exposition. Avec Naïma Yahi, il est celui qui présente et explique l’exposition aux médias et au public.
Très ambitieuse, «Générations» connaît, par son ampleur et sa qualité, un grand succès. Elle peut être aujourd’hui considérée comme la réalisation majeure de l’association. Selon une source directe très proche du dossier, l’équipe de l’association travaillait dessus depuis 2007 voire, si l’on considère la totalité des ressources nécessaires à son élaboration, depuis 10 ou 15 ans, à savoir depuis la création de l’association en 1987.
Pour cette œuvre, l’association Génériques a réussi à réunir près de 1 million d’euros de subventions diverses, selon notre source. Total, Accor, le ministère français de la Culture, la Direction de l'accueil, de l'intégration et de la citoyenneté du ministère français de l’Intérieur… ont donné chacun des milliers d’euros voire des dizaines de milliers d’euros. Avec 100 000 euros, le CCME aurait ainsi, à lui seul, fourni 10% du budget total.
Fausse excuse du CCME
Interpelé par Yabiladi pour confirmer le montant de la subvention et répondre aux questions qui s’imposaient après une telle découverte, Driss El Yazami a opposé une fin de non recevoir. La responsable de la communication du CCME, nous a expliqué qu’il était disponible pour une interview à condition que nous présentions une carte de presse. Manœuvre grossière pour refuser l'interview sans en avoir l’air puisqu’aucun éditeur de journaux électroniques n’est encore aujourd’hui considéré par l’Etat marocain comme un éditeur de presse. Adopter cette défense, c’était oublier un peu vite que Driss El Yazami avait accordé une interview, à Mohamed Ezzouak, directeur de publication de Yabiladi.com, le 19 décembre 2009, à Marrakech, pour la deuxième rencontre de «Marocaines d’ici et d’ailleurs», en tant que président du CCME, sans lui avoir demandé la moindre carte de presse.
A défaut de réponse et de confirmation, nous avons épluché les comptes publiés officiellement par l’association en France, au Journal officiel pour trouver trace de cette subvention. Dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels de l’association Génériques dont l’exercice était clos le 31 décembre 2010, figurent encore, sous forme de créances, 30 000 euros à payer de subvention par le CCME, à échéance du 31 décembre 2009. Soit très exactement, la denière partie de la dotation du CCME, selon l'échéancier indiqué dans la convention de partenariat : 50 000 euros devaient être versés en juin 2009, 20 000 euros en novembre et 30 000 euros, donc, en décembre 2009.
Non-respect de la convention
Dans la convention de partenariat que nous avons entre les mains, il est également spécifié que cette subvention est conditionnée à la venue au Maroc de l’exposition Génération. "L'association Génériques s'engage en collaboration avec les institutions marocaines à organiser le déplacement de ladite exposition au Maroc", indique-t-elle or cette clause n’a pas été respectée. L’exposition a été produite, en tout et pour tout, trois fois : une première fois à Lyon aux archives municipales, du 11 juin au 28 août 2009, une deuxième à la Cité nationale d’histoire de l’immigration, à Paris, pendant 8 mois, du 17 novembre 2009 au 18 avril 2010 et la dernière du 11 mars au 29 avril 2011, à la Collégiale du Saint Sépulcre à Caen.
En Algérie et au Maroc, seule une exposition minimale, composée exclusivement d’affiches, a été déplacée, indique notre source. Selon un membre d’une autre association dont l’activité est proche de celle de Génériques, les présentations au public ont été rares en proportion de l’investissement en raison de son coût très élevé à la location.
A l'heure où nous publions, Driss El Yazami n'a toujours pas répondu à nos interrogations. En cas de conflit d’intérêts deux formes de sanctions sont possibles, en dehors de celles prévues strictement par la loi, selon les circonstances : «- au niveau de l’administration, il peut y avoir une sanction disciplinaire – Si l’affaire relève de la mauvaise gestion, il appartient à la Cour des comptes d'intervenir», détaille Kaoutar Boussria.