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Poèmes-textes....
o
12 mars 2010 10:24
La terre nous est étroite



Désert !
J'ai vu le jour il y a mille ans.
Ils ont ouvert la porte de ma cellule et je me suis écroulé sur le jour.
Ma foulée est courte, blanches blanches sont les distances et la porte est un fleuve.
Pourquoi élève-t-on les prisons au bord du fleuve dans un pays qui se languit de l'eau ?
Ils ont ouvert la porte de ma cellule et je suis sorti.
J'ai trouvé un chemin et je l'ai pris.
Où aller ?

J'ai commencé par dire :
J'enseignerai la marche à ma liberté.
Elle s'est penchée vers moi,
je me suis adossé à elle et je l'ai étayée.
Nous sommes alors tombés sur le vieux marchand d'oranges,
je me suis relevé et j'ai entassé ma liberté sur mon dos,
ainsi que l'on charge les pays sur les chameaux ou les camions,
et j'ai marché.

Sur la place des orangers,
la fatigue m'a gagné et j'ai crié :
Hé la police militaire ! Je n'arrive pas à partir pour Cordoue.
Et au seuil d'une porte, je me suis courbé,
J'ai déposé ma liberté comme un sac de charbon et j'ai couru vers le souterrain.
Le souterrain ressemble-t-il à ma mère et à la tienne ?
Désert Désert.

Quelle heure est-il ?
Pas le temps pour le souterrain.
Quelle heure est-il ?
Pas le temps...
Sur la place des orangers, les marchandes de vieilles épées font foi à nos propos,
et ceux qui partent à leur journée entendent le chant et ne mentent pas au pain,
désert au cœur,
Déchire les veines de mon vieux cœur avec la chanson des gitans en route pour l'Andalousie.
Chante ma séparation du sable et des poètes anciens et d'arbres qui n'étaient pas femme.
Mais ne meurs pas maintenant, je t'en conjure !

Ne te brise pas comme les miroirs, ne t'éclipse pas comme
la patrie
Et ne répands pas comme les toits et les vallées.
Tu pourrais, comme moi, leur servir de martyr.

Ils pourraient deviner les liens entre la colombe et les souterrains.
Pressentir que les oiseaux sont, sur terre, le prolongement du matin,
Et le fleuve, l'épingle à cheveux d'une dame qui se suicide.
Et attends-moi attends-moi, que j'entende la voix de mon sang
Traversant la rue véhémente.
- Je m'en sortais ...
- Mais tu n'étais pas victorieux !
- Et je m'en irai.
-Où l'ami ?
- Où les colombes se sont envolées, où les blés les ont acclamées
Pour étayer cet espace avec un épi qui attend.
En mon nom, poursuis ton chant
Et ne pleure pas, l'ami, un air perdu dans les souterrains.

C'est une chanson,
Une chanson !

Mahmoud Darwich
o
12 mars 2010 10:43
Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;
...
o
12 mars 2010 10:44
...
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Arthur Rimbaud

[www.dailymotion.com]
o
12 mars 2010 10:53
Chanson d'automne

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Paul Verlaine
o
12 mars 2010 10:59
A une malabaraise

Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche;
A l'artiste pensif ton corps est doux et cher;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître,
Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D'acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus,
Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus;
Et quand descend le soir au manteau d'écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.

Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L'oeil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars!

Charles baudelaire

[www.youtube.com]
o
12 mars 2010 11:39
Hier est passé, n’y pensons plus
Demain n’est pas là, n’y pensons plus
Pensons aux doux moments de la vie
Ce qui n’est plus, n’y pensons plus



Ce vase était le pauvre amant d’une bien-aimée
Il fut piégé par les cheveux d’une bien-aimée
L’anse que tu vois, au cou de ce vase
Fut le bras autour du cou d’une bien-aimée!


Chagrin et désespoir
(VIII)

En ce monde, contente-toi d'avoir peu d'amis.
Ne cherche pas à rendre durable
la sympathie que tu peux éprouver pour quelqu'un.
Avant de prendre la main d'un homme,
demande-toi si elle ne te frappera pas, un jour.
(CXX)

Tu peux sonder la nuit qui nous entoure.
Tu peux foncer sur cette nuit... Tu n'en sortiras pas.
Adam et Ève, qu'il a dû être atroce, votre premier baiser,
puisque vous nous avez créés désespérés !
Lucidité et scepticisme
(CXLI)

Contente-toi de savoir que tout est mystère :
la création du monde et la tienne,
la destinée du monde et la tienne.
Souris à ces mystères comme à un danger que tu mépriserais.
Ne crois pas que tu sauras quelque chose
quand tu auras franchi la porte de la Mort.
Paix à l'homme dans le noir silence de l'Au-Delà !
Sagesse et épicurisme
(XXV)

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien.
(CLXX)

Luths, parfums et coupes,
lèvres, chevelures et longs yeux,
jouets que le Temps détruit, jouets !
Austérité, solitude et labeur,
méditation, prière et renoncement,
cendres que le Temps écrase, cendres !

Omar Khayyam
Quatrains (extraits)
o
12 mars 2010 12:08
CI
Que sont devenus tous nos amis ?
La Mort les a-t-elle renversés et piétinés ?
Que sont devenus tous nos amis ? J'entends encore leurs chansons dans la taverne...
Sont-ils morts, ou sont-ils ivres d'avoir vécu?


CII
Quand je ne serai plus,
Il n'y aura plus de roses, de cyprès, de lèvres rouges et de vin parfumé.
Il n'y aura plus d'aubes et de crépuscules, de joies et de peines.
L'univers n'existera plus, puisque sa réalité dépend de notre pensée.


CIII
Voici la seule vérité.
Nous sommes les pions de la mystérieuse partie d'échecs jouée par Allah.
Il nous déplace, nous arrête, nous pousse encore,
Puis nous lance, un à un, dans la boîte du néant.


CIV
La voûte du ciel ressemble à une tasse renversée
Sous laquelle errent en vain les sages.
Que ton amour pour ta bien-aimée soit pareil à celui de l'urne pour la coupe.
Vois... Lèvre à lèvre, elles se donnent leur sang.


CV
Les savants ne t'apprendront rien,
Mais la caresse des longs cils d'une femme te révélera le bonheur.
N'oublie pas que tes jours sont comptés et que tu seras bientôt la proie de la terre.
Achète du vin, emporte-le à l'écart, puis laisse-le te consoler.


CVI
Il te versera sa chaleur.
Il te délivrera des neiges du passé et des brumes de l'avenir.
Il t'inondera de lumière.
Il brisera tes chaînes de prisonnier.


CVII
Autrefois, quand je fréquentais les mosquées,
Je n'y prononçais aucune prière, mais j'en revenais riche d'espoir.
Je vais toujours m'asseoir dans les mosquées,
Où l'ombre est propice au sommeil.


CVIII
Sur la Terre, bariolée, chemine quelqu'un qui n'est ni musulman, ni infidèle, ni riche, ni pauvre.
Il ne révère ni Allah, ni les lois. Il ne croit pas à la vérité.
Il n'affirme jamais rien.
Sur la Terre bariolée, quel est cet homme brave et triste?


CIX
Avant de pouvoir caresser un visage pareil à une rose,
Que d'épines tu as à retirer de ta chair! Vois ce peigne.
C'était un morceau de bois. Quand on l'a découpé, quel supplice il a subi !
Mais, il a plongé dans la chevelure parfumée d'un adolescent.


CX
Quand la brise du matin entr'ouvre les roses
Et leur chuchote que les violettes ont déjà déplié leurs robes,
Seul est digne de vivre celui qui regarde dormir une souple jeune,
Elle saisit sa coupe, la vide, puis la jette.

Omar Khayyam
Quatrains (extraits)
N
12 mars 2010 22:50
LEDA AND THE SWAN (Yeats)


A sudden blow: the great wings beating still
Above the staggering girl, her thighs caressed
By the dark webs, her nape caught in his bill,
He holds her helpless breast upon his breast.

How can those terrified vague fingers push
The feathered glory from her loosening thighs?
And how can body, laid in that white rush,
But feel the strange heart beating where it lies?

A shudder in the loins engenders there
The broken wall, the burning roof and tower
And Agamemnon dead.

Being so caught up,

So mastered by the brute blood of the air,
Did she put on his knowledge with his power
Before the indifferent beak could let her drop?

---

desolee pour les non-anglophones, je n'ai pas trouve de traduction ...
♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫
N
12 mars 2010 22:53
THE PITY OF LOVE
A pity beyond all telling
Is hid in the heart of love:
The folk who are buying and selling,
The clouds on their journey above,
The cold wet winds ever blowing,
And the shadowy hazel grove
Where moves-grey waters are flowing,
Threaten the head that I love.

---

LA DOULEUR D’AIMER
Une douleur au-delà des mots
Se cache dans le coeur d’amour :
Les peuples qui vendent et achètent
Les nuages de leurs voyages passés,
Les vents froids et humides qui toujours ont soufflé,
Et l’ombrageuse coudraie
Où s’écoulent les eaux opaques,
Ils menacent l’être que j’aime.

(yeats)
♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫
N
12 mars 2010 23:14
ANDROMEDE (Hopkins)

Sans pareille pour les outrages et pour le corps,
Là, sur ce rocher rude, l'Andromède du Temps,
Eperdue, entre les deux cornes du bord,
Se voit fleur, pré d'être, proie du dragon dément.

Elle, déjà si atteinte et abreuvée
De heurts, d'horreurs, entend faire route
A l'ouest une bête plus bruyante que toutes,
Plus florissante, plus cruelle, plus dépravée.

Et son Persée l'ambine et l'abandonne ? --
Il foule un peu l'air duveteux, puis l'environne
De ses pensées, -- est-il trop tard ? --,

Pendant que la patience, en miettes navrées,
Monte d'elle ; et la libère, on croit rêver,
Avec l'Arsenal de Méduse -- dents, lacs, dards.
♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫ ♪ ♥ ♫
o
13 mars 2010 19:29
En hommage à Jean Ferrat qui vient de nous quitter. Il avait mis en musique quelques beaux poèmes d'Aragon.

UN JOUR UN JOUR


Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu
Emplissant tout à coup l'univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais, je voyais l'avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porte sur nos rivages

Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Quoi toujours ce serait la guerre, la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l'enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifie d'idoles
Aux cadavres jetés ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Aragon

[www.youtube.com]
o
13 mars 2010 19:33
COMPLAINTE DE PABLO NERUDA



Je vais dire la légende
De celui qui s'est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au coeur de la nuit

Le ciel était de velours
Incompréhensiblement
Le soir tombe et les beaux jours
Meurent on ne sait comment

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Lorsque la musique est belle
Tous les hommes sont égaux
Et l'injustice rebelle
Paris ou Santiago

Nous parlons même langage
Et le même chant nous lie
Une cage est une cage
En France comme au Chili

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Sous le fouet de la famine
Terre terre des volcans
Le gendarme te domine
Mon vieux pays araucan

Pays double où peuvent vivre
Des lièvres et des pumas
Triste et beau comme le cuivre
Au désert d'Atacama

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Avec tes forêts de hêtres
Tes myrtes méridionaux
Ô mon pays de salpêtre
D'arsenic et de guano

Mon pays contradictoire
Jamais libre ni conquis
Verras-tu sur ton histoire
Planer l'aigle des Yankees

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Absent et présent ensemble
Invisible mais trahi
Neruda que tu ressembles
À ton malheureux pays

Ta résidence est la terre
Et le ciel en même temps
Silencieux solitaire
Et dans la foule chantant

Comment croire comment croire
Au pas pesant des soldats
Quand j'entends la chanson noire
De Don Pablo Neruda

Aragon
[www.youtube.com]
o
13 mars 2010 19:35
J'ARRIVE OÙ JE SUIS ÉTRANGER


Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon

Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux

Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus

Peu à peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps

C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie

C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux

O mer amère, ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées

Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Aragon

[www.youtube.com]
o
13 mars 2010 19:38
LA FEMME EST L'AVENIR DE L'HOMME


Le poète a toujours raison
Qui voit plus haut que l'horizon
Et le futur est son royaume
Face à notre génération
Je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Entre l'ancien et le nouveau
Votre lutte à tous les niveaux
De la nôtre est indivisible
Dans les hommes qui font les lois
Si les uns chantent par ma voix
D'autres décrètent par la bible

Le poète a toujours raison
Qui détruit l'ancienne oraison
L'image d'Eve et de la pomme
Face aux vieilles malédictions
Je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Pour accoucher sans la souffrance
Pour le contrôle des naissances
Il a fallu des millénaires
Si nous sortons du moyen âge
Vos siècles d'infini servage
Pèsent encore lourd sur la terre

Le poète a toujours raison
Qui annonce la floraison
D'autres amours en son royaume
Remet à l'endroit la chanson
Et déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Il faudra réapprendre à vivre
Ensemble écrire un nouveau livre
Redécouvrir tous les possibles
Chaque chose enfin partagée
Tout dans le couple va changer
D'une manière irréversible

Le poète a toujours raison
Qui voit plus haut que l'horizon
Et le futur est son royaume
Face aux autres générations
Je déclare avec Aragon
La femme est l'avenir de l'homme

Jean Ferrat
[www.youtube.com]
o
13 mars 2010 19:40
QUE SERAIS-JE SANS TOI


Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N'est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement

Aragon

[www.youtube.com]
o
13 mars 2010 19:46
J'ENTENDS J'ENTENDS



J'en ai tant vu qui s'en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère

J'entends leurs pas j'entends leurs voix
Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi

Ce qu'on fait de vous hommes femmes
O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m'arrache l'âme

Les choses vont comme elles vont
De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond

Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment
J'y crois aussi moi par moments
Comme l'alouette au miroir

J'y crois parfois je vous l'avoue
A n'en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous

A vous comme les grains de sable
Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable

J'aurais tant voulu vous aider
Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu'au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez

Tout se perd et rien ne vous touche
Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir que ce que dit ma bouche

Votre enfer est pourtant le mien
Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens

Quelle heure est-il quel temps fait-il
J'aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C'est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d'un trou

Aragon

[www.youtube.com]
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13 mars 2010 19:48
POTEMKINE



M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi au bruit de l'océan
M'en voudrez vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents

Ma mémoire chante en sourdine
Potemkine

Ils étaient des marins durs à la discipline
Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le coeur d'un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassé

Sur les flots je t'imagine
Potemkine

M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde
Où celui qui a faim va être fusillé
Le crime se prépare et la mer est profonde
Que face aux révoltés montent les fusiliers

C'est mon frère qu'on assassine
Potemkine

Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin ne tire pas sur un autre marin

Ils tournèrent leurs carabines
Potemkine

M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on punit ainsi qui veut donner la mort
M'en voudrez vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on n'est pas toujours du côté du plus fort

Ce soir j'aime la marine
Potemkine

Georges Coulonges
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13 mars 2010 19:52
HEUREUX CELUI QUI MEURT D'AIMER



O mon jardin d'eau fraîche et d'ombre
Ma danse d'être mon coeur sombre
Mon ciel des étoiles sans nombre
Ma barque au loin douce à ramer
Heureux celui qui devient sourd
Au chant s'il n'est de son amour
Aveugle au jour d'après son jour
Ses yeux sur toi seule fermés

Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer

D'aimer si fort ses lèvres closes
Qu'il n'ait besoin de nulle chose
Hormis le souvenir des roses
A jamais de toi parfumées
Celui qui meurt même à douleur
A qui sans toi le monde est leurre
Et n'en retient que tes couleurs
Il lui suffit qu'il t'ait nommée

Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer

Mon enfant dit-il ma chère âme
Le temps de te connaître ô femme
L'éternité n'est qu'une pâme
Au feu dont je suis consumé
Il a dit ô femme et qu'il taise
Le nom qui ressemble à la braise
A la bouche rouge à la fraise
A jamais dans ses dents formée

Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer

Il a dit ô femme et s'achève
Ainsi la vie, ainsi le rêve
Et soit sur la place de grève
Ou dans le lit accoutumé
Jeunes amants vous dont c'est l'âge
Entre la ronde et le voyage
Fou s'épargnant qui se croit sage
Criez à qui vous veut blâmer

Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer

Aragon

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13 mars 2010 19:57
LE MALHEUR D'AIMER



Que sais-tu des plus simples choses
Les jours sont des soleils grimés
De quoi la nuit rêvent les roses
Tous les feux s'en vont en fumée
Que sais-tu du malheur d'aimer

Je t'ai cherchée au bout des chambres
Où la lampe était allumée
Nos pas n'y sonnaient pas ensemble
Ni nos bras sur nous refermés
Que sais-tu du malheur d'aimer

Je t'ai cherchée à la fenêtre
Les parcs en vain sont parfumés
Où peux-tu où peux-tu bien être
A quoi bon vivre au mois de mai
Que sais-tu du malheur d'aimer

Que sais-tu de la longue attente
Et ne vivre qu'à te nommer
Dieu toujours même et différente
Et de toi moi seul à blâmer
Que sais-tu du malheur d'aimer

Que je m'oublie et je demeure
Comme le rameur sans ramer
Sais-tu ce qu'il est long qu'on meure
A s'écouter se consumer
Connais-tu le malheur d'aimer

Aragon

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13 mars 2010 19:59
LES POÈTES



Je ne sais ce qui me possède
Et me pousse à dire à voix haute
Ni pour la pitié ni pour l'aide
Ni comme on avouerait ses fautes
Ce qui m'habite et qui m'obsède

Celui qui chante se torture
Quels cris en moi quel animal
Je tue ou quelle créature
Au nom du bien au nom du mal
Seuls le savent ceux qui se turent

Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d'Espagne
Que le ciel pour lui se fît lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours

Au-dessus des eaux et des plaines
Au-dessus des toits des collines
Un plain-chant monte à gorge pleine
Est-ce vers l'étoile Hölderlin
Est-ce vers l'étoile Verlaine

Marlowe il te faut la taverne
Non pour Faust mais pour y mourir
Entre les tueurs qui te cernent
De leurs poignards et de leurs rires
A la lueur d'une lanterne

Étoiles poussières de flammes
En août qui tombez sur le sol
Tout le ciel cette nuit proclame
L'hécatombe des rossignols
Mais que sait l'univers du drame

La souffrance enfante les songes
Comme une ruche ses abeilles
L'homme crie où son fer le ronge
Et sa plaie engendre un soleil
Plus beau que les anciens mensonges

Je ne sais ce qui me possède
Et me pousse à dire à voix haute
Ni pour la pitié ni pour l'aide
Ni comme on avouerait ses fautes
Ce qui m'habite et qui m'obsède
Extrait du poème "Prologue"

Aragon
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