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musica a écrit:
Bonjour Hux02
Merci pour Les dents du topographe, je l'ai effectivement trouvé sur Amazon.
Je n'avais jamais entendu parlé d'Orhan Pamuck avant son prix Nobel de littérature
Là en tous cas je suis occupée jusqu'à Noël
Salam hux, la nuit sacrée , c'est une fille qui a été élevée comme un garçon...Citation
hux02 a écrit:
bonjour,
Angelo, harrouda, avec Moha le sage, Moha le fou, fait partie des premiers romans de Ben Jelloun et qui d'après certains sont des meilleurs de ce qu'il a écrit. Essaie de trouver Moha le sage, Moha le fou il est excellent aussi. la nuit sacrée, ce n'est pas l'histoire d'une fille qui se travestit en homme? je crois l'avoir lu.
lalamoulati, je te conseille de lire un autre bouquin de Beaud 'pays de malheur' qui est presque la suite de 80% au bac et après. Ce bouquin est la transcription d'une correspondance par mails qu'a eue beaud avec un jeune qui avait lu 80% au bac! ce jeune s'était pleinement trouvé dans certaines descriptions et il a cherché à contacter Beaud pour le remercier car il l'a aidé à comprendre beaucoup de choses de son parcours. A suivi un échange où le jeune racontait un peu sa vie (la vie dans une banlieue de Lyon, sa relation avec sa famille, sa femme...) son parcours... c'est vraiment passionnant.
C'est un excellent livre , mariée de force avec Moussa,le passage avec sa belle-mére est surprenant et trés réalisteCitation
nah a écrit:
moi je lis leila mariée de force
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angelo a écrit:C'est un excellent livre , mariée de force avec Moussa,le passage avec sa belle-mére est surprenant et trés réalisteCitation
nah a écrit:
moi je lis leila mariée de force
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sombral44 a écrit:
là je suis en train de lire "mémoires d'une geisha".
c super intéressant
on y apprend entre autres ke chez les japonais la zone sensuelle c'est le cou, la nuque.
du coup le décolleté dans le dos (jusqu'à la 1ère vertèbre) chez les japonais c'est l'équivalent d minijupes occidentales
vous me direz ke c pa une chose ki vous servira tous les jours et vous n'aurez pas tort
en tout k biz et bonne soirée à tous
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victoriaa a écrit:
à propos d'orhan pamuck:
Orhan Pamuk : la valise de mon père
LE MONDE | 14.12.06 | 16h36 • Mis à jour le 14.12.06 | 16h36
Deux ans avant sa mort, mon père m'a remis une petite valise remplie de ses propres écrits, ses manuscrits et ses cahiers. En prenant son habituel air sarcastique, il m'a dit qu'il voulait que je les lise après lui, c'est-à-dire après sa mort.
"Jette un coup d'oeil, a-t-il dit, un peu gêné, peut-être y a-t-il quelque chose de publiable. Tu pourras choisir."
On était dans mon bureau, entourés de livres. Mon père s'est promené dans la pièce en regardant autour de lui, comme quelqu'un qui cherche à se débarrasser d'une valise lourde et encombrante, sans savoir où la poser. Finalement, il l'a posée discrètement, sans bruit, dans un coin. Une fois passé ce moment un peu honteux mais inoubliable, nous avons repris la légèreté tranquille de nos rôles habituels, nos personnalités sarcastiques et désinvoltes. Comme d'habitude, nous avons parlé de choses sans importance, de la vie, des inépuisables sujets politiques de la Turquie, de tous ses projets inaboutis, d'affaires sans conséquences.
Je me souviens d'avoir tourné autour de cette valise pendant quelques jours après son départ, sans la toucher. Je connaissais depuis mon enfance cette petite valise de maroquin noir, sa serrure, ses renforts cabossés. Mon père s'en servait pour ses voyages de courte durée, et parfois aussi pour transporter des documents de chez lui à son travail. Je me rappelais avoir, enfant, ouvert cette valise et fouillé dans ses affaires, d'où montait une odeur délicieuse d'eau de Cologne et de pays étrangers. Cette valise représentait pour moi beaucoup de choses familières ou fascinantes, de mon passé et de mes souvenirs d'enfance ; pourtant, je ne parvenais pas à la toucher. Pourquoi ? Sans doute à cause du poids énorme et mystérieux qu'elle semblait renfermer.
Je vais parler maintenant du sens de ce poids : c'est le sens du travail de l'homme qui s'enferme dans une chambre, qui, assis à une table ou dans un coin, s'exprime par le moyen du papier et d'un stylo, c'est-à-dire le sens de la littérature.
Je n'arrivais pas à prendre et à ouvrir la valise de mon père, mais je connaissais certains des cahiers qui s'y trouvaient. J'avais déjà vu mon père écrire dessus. Ce n'était pas la première fois que je ressentais tout le poids contenu dans cette valise. Mon père avait une grande bibliothèque ; dans sa jeunesse, à la fin des années 1940, il avait voulu devenir poète, à Istanbul, il avait traduit Valéry en turc, mais n'avait pas voulu s'exposer aux difficultés d'une vie consacrée à la poésie dans un pays pauvre, où les lecteurs étaient bien peu nombreux. Son père - mon grand-père - était un riche entrepreneur, mon père avait eu une enfance facile, il ne voulait pas se fatiguer pour la littérature. Il aimait la vie et ses agréments, et je le comprenais.
Ce qui me retenait tout d'abord de m'approcher de la valise de mon père, c'était la crainte de ne pas aimer ce qu'il avait écrit. Il s'en doutait sûrement et avait d'ailleurs pris les devants en affectant une espèce de désinvolture à l'égard de cette valise. Cette attitude m'affligeait, moi qui écrivais depuis vingt-cinq ans, mais je ne voulais pas tenir rigueur à mon père de ne pas prendre la littérature suffisamment au sérieux...
Ma vraie crainte, la chose qui m'effrayait vraiment, c'était la possibilité que mon père eût été un bon écrivain. C'est en fait cette peur qui m'empêchait d'ouvrir la valise. Et je n'arrivais même pas à m'avouer cette vraie raison. Car, si de sa valise était sortie une grande oeuvre, j'aurais dû reconnaître l'existence d'un autre homme, totalement différent, à l'intérieur de mon père. C'était quelque chose d'effrayant. Même à mon âge déjà avancé, je tenais à ce que mon père ne fût que mon père, et non un écrivain.
Pour moi, être écrivain, c'est découvrir patiemment, au fil des années, la seconde personne, cachée, qui vit en nous, et un monde qui sécrète notre seconde vie : l'écriture m'évoque en premier lieu, non pas les romans, la poésie, la tradition littéraire, mais l'homme qui, enfermé dans une chambre, se replie sur lui-même, seul avec les mots, et jette, ce faisant, les fondations d'un nouveau monde. Cet homme, ou cette femme, peut utiliser une machine à écrire, s'aider d'un ordinateur, ou bien, comme moi, peut passer trente ans à écrire au stylo et sur du papier. En écrivant, il peut fumer, boire du café ou du thé. De temps en temps, il peut jeter un coup d'oeil dehors, par la fenêtre, sur les enfants qui s'amusent dans la rue - s'il a cette chance, sur des arbres, un paysage - ou bien sur un mur aveugle. Il peut écrire de la poésie, du théâtre ou comme moi des romans. Toutes ces variations sont secondaires par rapport à l'acte essentiel de s'asseoir à une table et de se plonger en soi-même. Ecrire, c'est traduire en mots ce regard intérieur, passer à l'intérieur de soi, et jouir du bonheur d'explorer patiemment, et obstinément, un monde nouveau. Au fur et à mesure qu'assis à ma table j'ajoutais mot après mot sur des feuilles blanches et que passaient les jours, les mois, les années, je me sentais bâtir ce nouveau monde, comme on bâtit un pont, ou une voûte, et découvrir en moi comme une autre personne. Les mots pour nous, écrivains, sont les pierres dont nous nous bâtissons. C'est en les maniant, en les évaluant les uns par rapport aux autres, en jaugeant parfois de loin, parfois au contraire en les pesant et en les caressant du bout des doigts et du stylo que nous les mettons chacun à sa place, pour construire à longueur d'année, sans perdre espoir, obstinément, patiemment. Pour moi le secret du métier d'écrivain réside non pas dans une inspiration d'origine inconnue mais dans l'obstination et la patience. Une jolie expression turque, "creuser un puits avec une aiguille", me semble avoir été inventée pour nous autres écrivains. (...)
J'avais peur d'ouvrir la valise de mon père et de lire ses cahiers parce que je savais qu'il ne se serait jamais exposé aux difficultés que j'ai eu moi-même à affronter. Il aimait non la solitude, mais les amis, les pièces bondées, les plaisanteries en société. Mais ensuite je fis un autre raisonnement : la patience, l'ascétisme, toutes ces conceptions que j'avais échafaudées pouvaient n'être que mes propres préjugés, liés à mon expérience personnelle et à ma vie d'écrivain. Les auteurs géniaux ne manquaient pas, qui écrivirent au milieu d'une vie brillante, bruyante, avec une existence sociale ou familiale heureuse et intense. De plus, notre père nous avait abandonnés, enfants, pour fuir justement la médiocrité de sa vie familiale. Il était parti à Paris, où il avait, comme beaucoup d'autres, rempli des cahiers dans des chambres d'hôtel. Je savais que dans la valise se trouvait une partie de ces cahiers, car pendant les années qui précédèrent la remise de cette valise, mon père avait commencé à me parler de cette période de sa vie. Dans notre enfance aussi il parlait de ces années-là, mais sans évoquer sa propre fragilité, ni son désir de devenir poète ni ses angoisses existentielles dans des chambres d'hôtel. Il racontait comment il voyait souvent Sartre sur les trottoirs de Paris, il parlait des livres qu'il avait lus et des films qu'il avait vus avec un enthousiasme naïf, comme quelqu'un qui apporte des nouvelles importantes. Je ne pouvais certainement pas me dissimuler ce que ma destinée d'écrivain devait au fait que mon père parlait bien plus souvent des grands auteurs de la littérature mondiale que de nos pachas ou auteurs religieux. Peut-être fallait-il plutôt, au lieu d'attacher trop d'importance à la valeur littéraire de ses écrits, aborder les cahiers de mon père en considérant tout ce que je devais aux livres de sa bibliothèque, en me rappelant que mon père, quand il vivait avec nous, n'aspirait lui aussi, comme moi, qu'à se retrouver seul dans une chambre, pour se frotter à la foule de ses rêves.
Cependant, en contemplant avec inquiétude cette valise fermée, je me sentais justement incapable de cela même. Mon père avait coutume, parfois, de s'allonger sur le sofa à l'entrée de sa bibliothèque, de poser le magazine ou le livre qu'il était en train de lire et de suivre longuement le cours de ses pensées. Sur son visage apparaissait alors une nouvelle expression, différente de celle qu'il avait en famille, au milieu des plaisanteries, des disputes ou des taquineries - un regard tourné vers l'intérieur. J'en avais déduit dès mon enfance et ma première jeunesse que mon père était un homme inquiet, et je m'en inquiétais. Je sais maintenant, tant d'années après, que cette inquiétude est l'une des raisons qui font d'un homme un écrivain. (...)
Quant à ma place dans l'univers, mon sentiment était que de toute façon, j'étais à l'écart, et bien loin de tout centre, que ce soit dans la vie ou dans la littérature. Au centre du monde existait une vie plus riche et plus passionnante que celle que nous vivions, et moi j'en étais exclu, à l'instar de tous mes compatriotes. Aujourd'hui, je pense que je partageais ce sentiment avec la presque totalité du monde. De la même façon, il y avait une littérature mondiale dont le centre se trouvait très loin de moi. Mais ce à quoi je pensais était non pas la littérature mondiale, mais la littérature occidentale. Et nous, les Turcs, en étions bien sûr exclus aussi, comme le confirmait la bibliothèque de mon père. D'une part, il y avait les livres et la littérature d'Istanbul, notre monde restreint dont j'affectionne depuis toujours et encore aujourd'hui les détails, et il y avait les livres du monde occidental, tout différents, qui nous donnaient autant de peine que d'espoir.
Ecrire et lire étaient en quelque sorte une façon de sortir d'un monde et de trouver une consolation par l'intermédiaire de la différence, de l'étrangeté et des créations géniales de l'autre. Je sentais que mon père aussi lisait parfois pour échapper à son monde et fuir vers l'Occident, tout comme je l'ai fait moi-même plus tard. Il me paraissait aussi qu'à cette époque-là les livres nous servaient à nous défaire du sentiment d'infériorité culturelle ; le fait de lire, mais aussi d'écrire, nous rapprochait de l'Occident en nous en faisant partager quelque chose. Mon père, pour remplir tous ces cahiers dans cette valise, était allé s'enfermer dans une chambre d'hôtel à Paris et avait rapporté en Turquie ce qu'il avait écrit. (...)
Voilà ce qui m'a fait ouvrir finalement la valise de mon père. Peut-être y avait-il dans sa vie un secret, un malheur trop important pour qu'il ait pu le supporter sans l'écrire. Dès que j'ai ouvert la valise, je me suis souvenu de l'odeur de son sac de voyage, et je me suis aperçu que je connaissais certains de ses cahiers, que mon père m'avait montrés des années plus tôt, sans y attacher d'importance. La plupart de ceux que j'ai feuilletés un par un dataient des années où mon père, jeune encore, nous avait souvent quittés pour se rendre à Paris. Mais ce que j'aurais souhaité, moi, comme les écrivains que j'aime et dont je lis les livres, c'était apprendre ce que mon père avait pu penser et écrire au même âge que moi. Rapidement, j'ai compris que je n'allais pas faire cette expérience. J'étais gêné aussi par la voix d'écrivain que je percevais çà et là dans ces cahiers. Je me disais que cette voix n'était pas celle de mon père, qu'elle n'était pas authentique, ou bien que cette voix n'appartenait pas à la personne que je connaissais comme mon père. Il y avait ici une crainte plus grave que la simple inquiétude de découvrir que mon père cessait, en écrivant, d'être mon père : ma propre peur de ne pas réussir à être authentique l'emportait sur celle de ne pas apprécier ses écrits à lui et de constater même qu'il était excessivement influencé par d'autres écrivains, et elle se transformait en une crise d'authenticité qui m'obligeait à m'interroger, comme dans ma jeunesse, sur mon existence entière, sur ma vie, mon envie d'écrire, et ce que j'ai écrit moi-même. (...)
Par ailleurs, je lui étais reconnaissant de n'avoir pas été un père ordinaire, distribuant des ordres et des interdictions, qui écrase et punit, et de m'avoir toujours respecté et laissé libre. J'ai parfois cru que mon imagination pouvait fonctionner librement comme celle d'un enfant, parce que je ne connaissais pas la peur de perdre, contrairement à de nombreux amis de mon enfance et de ma jeunesse, et j'ai parfois sincèrement pensé que je pouvais devenir écrivain parce que mon père a voulu devenir lui-même écrivain dans sa jeunesse. Je devais le lire avec tolérance et comprendre ce qu'il avait écrit dans ces chambres d'hôtel.
Avec ces pensées optimistes, j'ai ouvert la valise, qui était restée plusieurs jours là où mon père l'avait laissée, et j'ai lu, en mobilisant toute ma volonté, certains cahiers, certaines pages. Qu'avait-il donc écrit ? Je me souviens de vues d'hôtels parisiens, de quelques poèmes, de paradoxes, de raisonnements... Je me sens maintenant comme quelqu'un qui se rappelle difficilement, après un accident de voiture, ce qui lui est arrivé, et qui rechigne à se souvenir. Lorsque dans mon enfance ma mère et mon père étaient sur le point de commencer une dispute, c'est-à-dire lors de l'un de leurs silences mortels, mon père allumait tout de suite la radio, pour changer l'ambiance, la musique nous faisait oublier plus vite.
Changeons de sujet, et disons quelques mots "en guise de musique". Comme vous le savez, la question la plus fréquemment posée aux écrivains est la suivante : "Pourquoi écrivez-vous ?" J'écris parce que j'en ai envie. J'écris parce que je ne peux pas faire comme les autres un travail normal. J'écris pour que des livres comme les miens soient écrits et que je les lise. J'écris parce que je suis très fâché contre vous tous, contre tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît de rester enfermé dans une chambre, à longueur de journée. J'écris parce que je ne peux supporter la réalité qu'en la modifiant. J'écris pour que le monde entier sache quel genre de vie nous avons vécu, nous vivons, moi, les autres, nous tous, à Istanbul, en Turquie. J'écris parce que j'aime l'odeur du papier et de l'encre. J'écris parce que je crois par-dessus tout à la littérature, à l'art du roman. J'écris parce que c'est une habitude et une passion. J'écris parce que j'ai peur d'être oublié. J'écris parce que je me plais à la célébrité et à l'intérêt que cela m'apporte. J'écris pour être seul. J'écris dans l'espoir de comprendre pourquoi je suis à ce point fâché avec vous tous, avec tout le monde. J'écris parce qu'il me plaît d'être lu. J'écris en me disant qu'il faut que je finisse ce roman, cette page que j'ai commencée. J'écris en me disant que c'est ce à quoi tout le monde s'attend de ma part. J'écris parce que je crois comme un enfant à l'immortalité des bibliothèques et à la place qu'y tiendront mes livres. J'écris parce que la vie, le monde, tout est incroyablement beau et étonnant. J'écris parce qu'il est plaisant de traduire en mots toute cette beauté et la richesse de la vie. J'écris non pas pour raconter des histoires, mais pour construire des histoires. J'écris pour échapper au sentiment de ne pouvoir atteindre un lieu où l'on aspire, comme dans les rêves. J'écris parce que je n'arrive pas à être heureux, quoi que je fasse. J'écris pour être heureux.
Une semaine après avoir déposé la valise dans mon bureau, mon père m'a rendu visite à nouveau, avec comme d'habitude une boîte de chocolats (il oubliait que j'avais 48 ans). Comme d'habitude nous avons parlé de la vie, de politique, des potins de famille et nous avons ri. A un moment donné, mon père a posé son regard là où il avait laissé la valise, et il a compris que je l'avais déplacée. Nos regards se sont croisés. Il y a eu un silence embarrassé. Je ne lui ai pas dit que j'avais ouvert la valise et essayé d'en lire le contenu. J'ai fui son regard. Mais il a compris. Et j'ai compris qu'il avait compris. Et il a compris que j'avais compris qu'il avait compris. Ce genre d'intercompréhension ne dure que le temps qu'elle dure. Car mon père était un homme sûr de lui, à l'aise et heureux avec lui-même. Il a ri comme d'habitude, et, en partant, il a encore répété, comme un père, les douces paroles d'encouragement qu'il me disait toujours. Comme d'habitude, je l'ai regardé sortir en enviant son bonheur, sa tranquillité, mais je me souviens que ce jour-là j'ai senti en moi un tressaillement embarrassant de bonheur. (...)
Vingt-trois ans auparavant, quand j'avais 22 ans, j'avais décidé de tout abandonner et de devenir romancier, je m'étais enfermé dans une chambre, et quatre ans plus tard, j'avais terminé mon premier roman, Monsieur Djevdet et ses fils, et j'avais remis, les mains tremblantes, une copie dactylographiée du livre qui n'était pas encore publié, à mon père, pour qu'il le lise et me dise ce qu'il en pensait. Obtenir son approbation était pour moi important, non seulement parce que je comptais sur son goût et sur son intelligence, mais aussi parce que, contrairement à ma mère, mon père ne s'opposait pas à ce que je devienne écrivain. Quand il est rentré, deux semaines après, j'ai couru lui ouvrir la porte. Mon père n'a rien dit, mais il m'a pris dans ses bras et embrassé d'une façon telle que j'ai compris qu'il avait beaucoup aimé mon livre. Pendant un temps, nous sommes restés silencieux, mal à l'aise, comme il arrive dans des moments de sentimentalité excessive. Lorsque, un peu plus tard, nous nous sommes mis un peu plus à l'aise et avons commencé à causer, mon père a exprimé, plein d'excitation et par des mots exagérés, sa confiance en moi, et en mon premier livre. Il m'a dit que j'allais un jour recevoir ce prix, que j'accepte aujourd'hui avec beaucoup de bonheur.
Il m'avait dit cela moins par conviction ou avec l'intention de m'assigner un but que comme un père turc dit à son fils, pour l'encourager : "Tu seras pacha." Et il a répété ces paroles pendant des années, à chaque fois qu'il me voyait, pour me donner du courage. Mon père est mort en décembre 2002.
Traduit du turc par Gilles Authier
© La Fondation Nobel 2006.
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Orhan Pamuk est écrivain.
[www.lemonde.fr]
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parabole a écrit:
je viens de me "replonger" dans les aventures du prince de motordu...j'assume!