Le personnel hospitalier de Marrakech est dépassé. Lundi, médecins et infirmiers de l'hôpital Ibn Zohr, qui fait office de centre hospitalier régional, ont organisé un sit-in devant les urgences de l’infrastructure, dénonçant la situation au sein de l'hôpital et appelant à une intervention d’urgence de la part du ministère de la Santé. Une revendication vite entendue, puisqu’une commission ministérielle aurait été dépêchée ce mardi à Marrakech pour s’enquérir de la situation.
Les choses semblent ainsi s’accélérer face à une situation alarmante des hôpitaux de la ville ocre, dénoncée à maintes fois par les professionnels. Rien que la semaine dernière, l’association des médecins de Marrakech (Al Moqim) a dénoncé, dans un communiqué de presse, le fait que plusieurs infections ont été confirmées parmi le personnel médical.
Un cri de détresse qui a été entériné par un enregistrement audio d’une médecin et d’une spécialiste de réanimation au CHR Ibn Zohr, dénonçant le manque de moyens et déplorant des décès parmi les patients admis au sein de cette infrastructure.
Un problème de gestion de l’infrastructure hospitalière à Marrakech
«C’est un enregistrement audio dans un groupe professionnel sur WhatsApp de médecins du CHR, créé précédemment par l’ancien directeur pour la coordination et la communication. Je connais la médecin et la spécialiste en réanimation», nous déclare ce mardi Imad Soussou, vice-président de FNS-UMT au CHU Mohammed VI de Marrakech, confirmant par ailleurs que la médecin est membre dudit syndicat. «La médecin a pleuré, car ses patients sont morts dans les couloirs de l’hôpital, pourtant elle a 20 ans de carrière et sait encaisser les drames», lâche-t-il.
Le personnel médical du CHR Ibn Zorh manifestant lundi devant les urgences de l'hôpital. / Ph. Kech24
Quant à l’origine de cette situation, ayant engendré un «manque de sources d’oxygène murales», pour un grand nombre de patients, le syndicaliste nous rappelle que «historiquement parlant, l’hôpital Ibn Zohr (ex-Mauchamp, construit en 1913 et appelé El Mamounia par les Marrakchis, ndlr) n’est pas un CHR».
«Marrakech paye le prix actuellement, par rapport à d’autres villes, car le CHR était à la base l’hôpital Ibn Tofail (connu à Marrakech en tant qu'hôpital civil et construit en 1938, ndlr) et Ibn Zohr n’était qu’un hôpital provincial», explique-t-il. Ainsi, lorsque Marrakech s’est dotée d’un centre hospitalier universitaire et au lieu de «remettre l’hôpital Ibn Tofail à la délégation régional de la Santé, il a été greffé au CHU».
«La région de Marrakech avait donc perdu son CHR qui offre des soins classés niveau 2. De ce fait, nous avons actuellement des soins de niveau 1 et 3 seulement, le niveau 2 étant important pour alléger le CHU», détaille-t-il encore.
L’hôpital Ibn Zohr dépassé par la forte demande et le manque de moyens
Pour le syndicaliste, Ibn Zohr a ainsi été transformé en CHR, «sans avoir pourtant les critères». «Le bâtiment est très ancien et ne peut pas supporter une forte demande, même en temps normal. Actuellement, il est le seul hôpital effectuant une consultation Covid sur Marrakech», regrette-t-il.
«Tout le monde s’oriente vers cet hôpital : ceux qui veulent faire un test, ceux voulant effectuer une consultation car présentant des symptômes, et ceux envoyés par les cliniques. Le comble, c’est que l’hôpital Ibn Zohr accueille aussi des patients non-Covid et propose des consultations dites normales.»
De plus, l’infrastructure hospitalière fait face à la lutte contre le coronavirus, sans directeur. «D’abord, le délégué provincial a été démis de ses fonctions par le ministère et sa fonction occupée temporairement par la directrice régionale de la Santé. Un deuxième directeur venu remplacer le premier a déposé sa démission, tout comme le troisième, récemment», ajoute Imad Soussou.
Des patients attendant en file d'attente du CHR Ibn Zohr de Marrakech. / Ph. Kech24
Un médecin interne au CHU de Marrakech nous précise, pour sa part, que le centre «ne s’occupe que de l’hospitalisation de la Covid, avec deux services de réanimation à l’hôpital Errazi et trois à Ibn Tofail». «Le CHU ne fait pas la consultation Covid et il faut attendre son OK pour que le CHR lui transfère des patients selon les places disponibles», détaille-t-il.
Ainsi, hormis les personnes souhaitant voyager à l’étranger et devant faire un test PCR, «le reste de la population est orienté vers Ibn Zohr, qui fait face à une grande pression sur son laboratoire, ses scanners, son service de réanimation et ses urgences, s’alarme-t-il. Le tout, sans moyens, ni des sources d’oxygène ni les ressources humaines». «Les gens logent dans les toilettes de l’hôpital, tellement il n’y a plus de places», finit-il par lâcher dépité.
Quant à la commission attendue à Marrakech, ce médecin dit avoir «de l’expérience» avec ce genre de mission. «Ils rédigent des rapports. Des têtes pourront certes tomber mais le problème ne sera pas résolu», regrette-t-il, un brin pessimiste. «Les gens qui gèrent cette crise ne sont pas au courant de ce qui se passe sur le terrain», commente-t-il.
Yabiladi a tenté de joindre, à maintes reprises, la directrice régionale de la Santé à Marrakech, Lamia Chakiri ainsi que le professeur Lahcen Boukhanni, directeur du CHU de Marrakech, en vain.