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Interview  

Bruxelles : Une solidarité portée par des jeunes belgo-marocains [Interview]

Limitrophe à Molenbeek-Saint-Jean, le quartier bruxellois d’Annessens est devenu un véritable modèle de solidarité organisée, en temps de pandémie mondiale du coronavirus. Derrière l’histoire de cette réussite, un groupe de jeunes belgo-marocains à l’altruisme contagieux. Interview avec Anas Ticot, un des participants à cette mobilisation.

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Photo d'illustration / Capture d'écran
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Par quoi cette initiative a commencé et comment l’avez-vous rejoint ?

Tout a commencé avec une simple collecte de 300 euros entre trois de mes amis, avec qui je vis dans le quartier d’Annessens : Bilal El Fanis, Hamza Taheri et Mohamed Boufrira. Ils ont cotisé entre eux pour faire des courses et venir en aide à ceux qui en ont besoin actuellement, dans le contexte de la pandémie mondiale du coronavirus. Initiative spontanée au départ, elle a révélé la situation de beaucoup de personnes nécessitant une intervention plus large. Ils m’ont ainsi appelé pour faire des vidéos et appeler les bénévoles à nous rejoindre.

Etant animateur au sein de la commune de Bruxelles, travaillant avec la mairie et un large réseau d’associations à but non-lucratif (ASBL), j’ai pu mobiliser mes contacts. Nous avons également fait des demandes d’autorisation pour nos déplacements et pour rouvrir les ASBL et les mosquées, afin de mieux organiser notre chaîne de distribution, élargir les espaces de dépôts de dons et de tri.

Le succès a été tel qu’il a inspiré les autres quartiers, dont les jeunes ont été de plus en plus nombreux à nous rejoindre. Nous nous sommes dit que ces bénévoles-là pouvaient se rendre utiles là où ils habitaient, ce qui a élargi notre réseau aux autres secteurs de la ville. Grâce aux jeunes au Molenbeek principalement, qui ont suivi le mouvement dès le début, l’onde de solidarité s’est élargie.

Comment s’organise votre travail désormais ?

Nous avons pu installer nos équipes centrales dans les locaux du club Futsal Espoirs Molenbeek, dont le président a été le premier à nous ouvrir ses portes. Nous procédons en demandant simplement l’adresse et le numéro de téléphone des personnes qui ont perdu leurs emplois à cause du confinement, qui ont été précarisées par les effets économiques de la crise sanitaire ou dont la situation ne permet pas qu’ils sortent et qu’ils couvrent leurs besoins (maladie, âge, situation administrative irrégulière…).

La rapidité par laquelle s’est faite la mobilisation nous a confortés dans le fait qu’il y a toujours eu des gens qui voulaient faire de bonnes actions, mais qui ne savaient pas où aller ou vers qui se tourner. La solidarité n’ayant ni couleur ni religion, nous ciblons de la même manière les personnes précarisées quelque soit leur appartenance religieuse, leur nationalité, avec ou sans-papiers, etc. Ce sont des valeurs humaines qui nous réunissent face à cette pandémie.

Le reste suit de lui-même. Nous affectons chaque groupe de livreurs bénévoles à des secteurs. Des taxis se sont proposés pour rejoindre les transporteurs de colis alimentaires. Sans descendre de leur véhicule afin de respecter au mieux les mesures barrières, ils nous retrouvent devant le club, nous chargeons leurs coffres et nous leur donnons les adresses et numéros de téléphone de distribution.

Le financement de ce large circuit solidaire représente un défi...

Pas vraiment, puisque nous avons bénéficié du soutien de tout le monde, particuliers, simples riverains et commune. A plusieurs, nous nous rendons au marché matinal de Bruxelles chaque jour, pour charger un camion octroyé par le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close. Ayant pris connaissance de notre initiative, les vendeurs nous font de grandes réductions et offrent même des paniers de fruits gratuitement.

La Banque alimentaire de Belgique nous a également offert un camion de produits laitiers, qui a servi à enrichir nos stocks et à répondre à plus de demandes, en plus des gens qui sont de plus en plus nombreux à venir déposer des marchandises à titre personnel.

Des mamans ont rejoint le circuit des bénévoles et nous cuisinent gracieusement des plats depuis chez-elles avec beaucoup d’amour. Nous nous chargeons de récupérer les préparations qu’elles prennent le soin de bien emballer, pour les redistribuer aux plus nécessiteux. Tous les jours, elles préparent des pâtes avec sauce faite maison, au moins 1 200 bols de harira, sans oublier les briouates aux amandes, les gâteaux au miel et les gâteaux secs.

Grâce à tout cela, notre travail est pérennisé pour cette période d’urgence sanitaire, doublée de Ramadan.

Comment adaptez-vous justement cette dynamique au mois de Ramadan ?

Nous avons modifié nos horaires donc nous nous retrouvons en soirée, après le repas, pour préparer les colis à distribuer le lendemain, faire la liste des adresses de livraison et des transporteurs qui s’en chargeront. Nous sommes désormais 50 personnes ; nous travaillons par équipes de dix qui font des roulements. En coordination avec l’un des initiateurs, ils choisissent les horaires qui leur conviennent pour récupérer le lendemain les colis, souvent entre la mi-journée et la fin d’après-midi.

Mais en dehors du contexte spécifique au mois de Ramadan, nous nous félicitions que cette initiative ait laissé des impacts concrets sur le statut socio-économique de ces jeunes. En effet, nous avons pu leur obtenir 50 contrats de bénévoles au niveau communal, ce qui leur permet de bénéficier des aides dans le cadre du système de prise en charge pour le chômage, dans l’attente de leur réinsertion dans les circuits de l’emploi.

Du fait que nous travaillions déjà dans le social, mes amis étant eux aussi animateurs enfants et éducateurs, il était important que la participation des jeunes les tire de leur précarité, qui augmente les risques de sombrer dans la délinquance. Ils ont développé un grand sens de responsabilité, de l’intérêt commun, de l’initiative et c’est salutaire que les pouvoirs communaux capitalisent sur cette expérience pour le futur.

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