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Interview

«Il faut plus de temps et de recul avant de se prononcer sur le traitement à la chloroquine»

Pour l’épidémiologue, infectiologue et professeur Jaâfar Heikel, le Maroc doit atteindre, le plus rapidement possible, le pic épidémique pour passer à la décroissance. Ce passage est déterminant pour la levée du confinement. Le médecin recommande aussi d’élargir les tests de dépistage, élément «crucial» pour changer la dynamique épidémiologique.

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Professeur Jaâfar Heikel / DR
Temps de lecture: 3'

Quelle est votre évaluation de la situation épidémique du Maroc ?

La dynamique épidémique a évolué en quatre phases au Maroc. La première a concerné les cas importés, la deuxième a été déclenchée avec l’apparition de cas locaux, la troisième a été marquée par l’apparition de clusters, alors que la quatrième a débuté avec le dépassement de 100 cas par jour et est marquée par des transmissions intrafamiliales : nous accueillons des familles entières infectées. Cela veut dire que la transmission est bien installée dans le contexte marocain.

Du point de vue des nouveaux cas qui arrivent, nous sommes dans cette quatrième phase, sans pour autant arriver au pic qui, je l’espère bien, sera atteint le plus tôt possible. Mais honnêtement, l’Etat a pris à chaque fois des mesures adaptées, justes et progressives.

Quels ont été les facteurs ayant imposé le passage d’une phase à l’autre selon vous ?

Les mesures prises correspondent aux quatre phases, car nous avons non seulement constaté que la transmission est installée localement, mais qu’un certain nombre de personnes ne respectent pas le confinement et exposent leurs proches ou la communauté à la transmission de ce virus.

Nous avons aussi malheureusement constaté un nombre de situations qui se sont compliquées et nous sommes passés, dans un laps de temps très court, de 2,75% à 7% pour la létalité de ce virus. C’est sur la base de ce constat que notre dynamique épidémiologique nous impose de changer de stratégie par rapport au dépistage.

Comment donc changer, selon vous, cette dynamique épidémiologique ?

Si nous voulons changer la dynamique épidémiologique, il y a des moyens, dont le confinement, le lavage fréquent des mains, l’absence de rassemblement, le port de masque mais également, et de façon extrêmement importante, le traitement des sujets positifs pour éviter qu’ils continuent de transmettre le virus.

Parallèlement aux mesures barrières, il faut élargir le dépistage. Il faut atteindre, le plus rapidement possible, le pic épidémique pour passer à la décroissance. Pour éviter que la phase de croissance dans laquelle nous sommes aujourd’hui se prolonge dans le temps, il est crucial de procéder ainsi.

Je crois que l’Etat est déjà parti dans cette perspective, en créant 48 centres dédiés. J’espère que le secteur privé se mobilisera pour aider l’Etat dans le dépistage et l’analyse des prélèvements, à condition que ces unités soient agréées, dotées de moyens et de ressources nécessaires pour répondre à ce nouveau besoin.

Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir trop de cas compliqués. Notre système, dans son ensemble, public et privé, ne pourra pas gérer de façon médicale un flux massif de ces cas, pas parce que nous n’avons pas de compétences, mais parce que l’infrastructure et les moyens ne pourront plus suivre. Nous l’avons vu en France, en Espagne, et dans les pays les plus développés comme les Etats-Unis. Nous devons agir le plus possible en amont.

Dois-t-on s’attendre à un prolongement, compte tenu de la situation actuelle ?

C’est une décision qui revient à l’Etat, qui la prendra à la lumière de l’évolution de la dynamique et lorsque nous renterons dans la phase de décroissance.

J’aimerai bien qu’on ait une décroissance dès demain. Mais au vu des données actuelles, qui peuvent changer, je crois que le pic devrait être atteint vers la dernière semaine du mois en cours et la décroissance vers mi-mai. Objectivement, le confinement pourrait ne pas être levé avant mi-mai ou fin mai.

Si les données et la dynamique épidémiologique changent, que le confinement est respecté de façon extrêmement stricte et que les gens sont consciencieux, peut-être nous pourrions avoir de bonnes nouvelles. Autrement, et tout en restant raisonnablement optimiste, nous en avons encore pour quatre semaines.

Pourquoi les autorités sanitaires marocaines tardent à communiquer sur le protocole de traitement à la chloroquine ?

En toute franchise, nous ne pouvons pas encore nous prononcer et il faut donc plus de temps, plus de recul et plus de patience.

Je fais partie de l’équipe dans le secteur privé en collaboration avec l’Etat. Nous recevons des patients du ministère de la Santé et nous avons démarré le protocole conformément aux recommandations de la Commission technique nationale et aux données scientifiques internationales. Nous avons quelques cas guéris, des cas qui évoluent bien et quelques cas qui ont moins bien évolué. Nous sommes en train de faire l’évaluation de ce protocole thérapeutique, mais je crois que le ministère de la Santé a fait ce qu’il fallait.

Pour l’instant, je crois que les Marocains sont informés que nous adoptons ce qu’il y a de mieux pour leur santé ; s’il y a d’autres protocoles recommandés par la Commission nationale technique, nous les adopterons. Il me semble, et je le dis avec beaucoup de prudence, que les premiers résultats sont plutôt encourageants, mais je préfère attendre avant d’évoquer un pourcentage de succès.

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