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Grand Angle

Maroc : Les défis de la lutte contre la violence domestique en temps de confinement

Le confinement est une mesure préventive obligatoire, dans le cadre de l’urgence sanitaire pour endiguer le coronavirus. Mais le revers de la médaille, c’est le risque d’une augmentation des violences dans les ménages. A Casablanca, une cellule spécialisée propose un accompagnement à distance aux femmes victimes, restées sous le même toit que leur agresseur, sans avoir où aller en temps de pandémie.

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Photo d'illustration / DR.
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«La quarantaine signifie-t-elle un arrêt temporaire des pratiques et des phénomènes sociaux négatifs ? Cela signifie-t-il que les femmes qui souffrent de violences psychologique et physique ont un répit ? Malheureusement, la réalité demeure conforme aux jours les plus ordinaires et des femmes se trouvent prises au piège. Elles n’ont pas d’autre choix que de rester à la maison et de vivre sous la terreur.» Ce constat est celui de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC), qui prévient de la recrudescence des violences contre les femmes, en temps de confinement sanitaire.

Depuis vendredi dernier, une cellule d’écoute et d’accompagnement à distance des femmes victimes de violences conjugales en temps de confinement a ainsi vu le jour à Casablanca, à l’initiative de l’ATEC. Elle est constituée de sept personnes : trois assistantes sociales, une médecin généraliste, une psychologue et deux avocates. Une coordinatrice de l’ONG se charge de diffuser les signalements de violence et d’assurer le suivi des cas auprès des ces spécialistes, selon les besoins de chaque victime.

Rendus publics sur les réseaux sociaux de l’association, les numéros de téléphone de ces écoutantes bénévoles peuvent être appelés à tout moment de la journée, via réseau télécom ou messagerie instantanée, pour alerter sur des cas de violence conjugale ou demander une aide particulière dans ce cadre. «Nous avons annoncé l’initiative tout juste vendredi après-midi, mais nous accompagnons d’ores et déjà 15 cas de femmes victimes de violences à Casablanca, ce qui est un indicateur important sur le phénomène pendant le confinement sanitaire», affirme à Yabiladi Bouchra Abdou, directrice générale de l’ATEC.

La continuité d’un accompagnement des victimes

Avant l’urgence sanitaire et à travers ses centres d’écoute pour les femmes victimes de violence, l’association a en effet accueilli des cas «quotidiennement et en recrudescence». «Avec le confinement, nous avons dû fermer tous nos locaux, mais nous sommes restés obsédées par le devenir de ces femmes-là», raconte encore la militante. C’est de là que l’idée est venue de créer ces lignes d’écoute à distance, où l’interaction avec les bénévoles est assurée par une diffusion de l’information sur chaque cas.

«Nous veillons à garder les noms et les numéros de téléphone de chaque victime et c’est nous qui continuons à les contacter après leur premier signalement, pour maintenir autant que possible un contact quotidien», nous explique Bouchra Abdou. Selon elle, la multiplication des appels téléphoniques aux victimes par les membres de la cellule reste un point important pour le suivi.

En effet, «beaucoup n’ont pas la capacité de maintenir le contact avec l’extérieur, soit parce qu’elles subissent des pressions incessantes dans leurs ménages, une omniprésence d’un conjoint violent, ou parce que leur situation financière ne leur permet pas de multiplier les communications téléphoniques».

«Ce que nous faisons aussi, c’est le soutien social aux femmes qui se trouvent dans des situations de vulnérabilité. En collaboration avec le SAMU Social, malgré le confinement, nous avons pu louer des logements à deux cas qui avaient des enfants en bas âge ou des bébés, parallèlement à la distribution de plus de 70 paniers alimentaires aux plus précaires et dont nous avons une base de données au sein de l’association.»

Bouchra Abdou

En revanche, ce suivi est confronté à des contraintes liées au contexte de la pandémie. En plus de la présence ou de l’intervention physique qui ne peut être assurée, Bouchra Abdou souligne que «l’ATEC ne se trouve pas en capacité de saisir la police ou le procureur, dans le cadre de cet accompagnement, puisque ces autorités restent principalement mobilisées pour mettre en œuvre et faire respecter les mesures d’urgence sanitaire».

Les interventions urgentes mises en salle d’attente

Dans l’espoir que cet accompagnement puisse sauver des vies parfois menacées, la plus grande inquiétude reste au sujet de cas de violence extrême, selon Rajaa Hmine. Assistante sociale chargée de l’écoute et de l’orientation juridique pour les femmes et les filles en situation difficile, elle déplore que nombre de victimes n’ont d’autre choix que de prendre leur mal en patience.

«Il est vrai qu’au niveau de la ville, en temps normal, les autorités judiciaires mais aussi médicales sont très réactives aux cas et aux dossiers que nous leur signalons. Mais l’urgence sanitaire fait qu’il est impossible d’assurer la coordination entre ces différents services et accélérer le traitement des dossiers», s’inquiète-t-elle.

La lutte contre la violence faite aux femmes étant «une priorité pour la police autant que pour le Parquet», Rajaa Hmine souligne cependant la nécessité de «rendre accessibles ces services aux victimes, dans une logique de proximité», notamment en les adaptant à la situation d’urgence sanitaire qui restreint les déplacement, et en tenant compte de la précarité de plusieurs femmes.

Une plateforme en ligne pour les plaintes relatives à ces violences est conçue par le ministère de la Justice, ce que Rajaa Hmine considère comme «un point positif» mais insuffisant. «Est-ce que toutes les femmes qui se trouvent otages d’un proche ou d’un conjoint violent sont déjà assez informées pour savoir que cette plateforme existe ?», se demande-t-elle.

«Est-ce que ces femmes ont toutes accès à internet, en ce moment où elles sont confinées avec leurs agresseurs ? Est-ce qu’elles savent toutes lire et écrire assez, pour pouvoir remplir un formulaire en ligne, sans avoir à demander de l’aide ? Est-ce qu’elles ont toutes les moyens d’avoir un smartphone pour cela ? Selon les cas que nous accompagnons d’habitude, ce n’est pas toujours aussi facile, d’où l’importance pour nous en tout cas de rester en contact permanent avec elles, ne serait-ce qu’à distance», déplore l’aide sociale.

Tout comme la pandémie du coronavirus, la problématique des violences domestiques dans ce contexte revêt un caractère international. Il y a quelques jours, la rapporteuse spéciale auprès des Nations unies sur la violence à l’égard des femmes, Dubravka Šimonović, a averti de ce phénomène en alertant les pays sur une possible rescrudescence pendant le confinement sanitaire.

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