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Grand Angle

Maroc : Nos enfants face à la surexposition précoce aux écrans

Deux orthophonistes alertent sur une surexposition aux écrans chez les enfants, voire les nourrissons, qui peut provoquer de nombreux troubles cognitifs et favoriser les difficultés scolaires.

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Une surexposition extrêmement précoce peut déstructurer la personnalité de l’enfant sur le long terme. / DR
Temps de lecture: 3'

Les écrans sont-ils devenus les meilleurs ennemis de nos enfants ? D’après des sondages effectués entre 2010 et 2019 par l’Association marocaine des troubles et difficultés d’apprentissage (AMTDA), 10 à 13% des enfants scolarisés dans 78 écoles implantées à Casablanca, Ksar El Kébir, Ain Atik et Nouasser présentent des difficultés et troubles d’apprentissage. Si plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de ces troubles, notamment biologiques ou environnementaux, il en est un qui a émergé ces dernières années avec l’omniprésence des nouvelles technologies : l’écran de nos smartphones, tablettes et autres outils numériques.

«Je reçois de plus en plus d’enfants présentant des retards de langage en raison d’une surexposition aux écrans», atteste Hanane Lahrouni Benchekroun, orthophoniste. «Avant même d’être scolarisés, ils ont été habitués à rester devant des écrans de façon très passive, à longueur de journée», ajoute-t-elle.

Dans «La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants» récemment paru (Editions Seuil), le chercheur Michel Desmurget, spécialisé en neurosciences cognitives, alerte sur les effets de l’omniprésence des outils numériques sur la cognition, le comportement et le bien-être des enfants. «De nombreuses études mettent en évidence l’impact des écrans, quels qu’ils soient, sur des retards dans le développement du langage, sur le sommeil et l’attention. Le cerveau – surtout lorsqu’il est en construction – n’est pas fait pour subir ce bombardement sensoriel», prévient-il dans une interview au journal Le Monde.

Une multitude de troubles cognitifs

Souvent, les parents ne mesurent pas les dégâts que peut causer une surexposition aux écrans. Certains sont même agréablement surpris de constater que leur enfant sache «compter jusqu’à dix ou parler anglais grâce à des applications de langues». Derrière cette apparente précocité, quoi que trompeuse, il se trouve que les enfants, en réalité, «ne comprennent absolument rien à ce qu’ils répètent», souligne Hanane Lahrouni Benchekroun. «Leur langage n’est pas fonctionnel, mais robotisé : ils ne font que répéter des sons et des mots sans pour autant les comprendre. Certains enfants connaissent par cœur des épisodes entiers de dessins animés mais, parallèlement, sont incapables de répondre à des questions du type ''comment tu t’appelles ? '' ; ''qu’est-ce que tu as fait ce matin ?''.»

D’autant que bien souvent, les programmes qui obnubilent ces enfants n’ont aucune dimension cognitive, renforçant davantage un déficit en communication. «L’enfant peut aller jusqu’à adopter la façon de parler des personnages qu’il voit dans des dessins animés. Il adopte le même langage, répète des génériques sans les comprendre. Il n'acquiert aucune base solide qui lui permettrait de développer un langage élaboré», complète Rajae Ghzali, orthophoniste.

«On en arrive à avoir ce qu’on appelle des ''enfants-télé'' : à force d’être exposés aux écrans, ils ont le même langage et le même caractère des personnages qu’ils voient à la télé.»

Rajae Ghzali

Incapables de tenir un stylo entre leurs doigts

Une surexposition extrêmement précoce – parfois dès six mois et jusqu’à l’âge de 3 ans – qui peut donc déstructurer la personnalité de l’enfant sur le long terme, causant notamment un retard de langage et des troubles du comportement, de l’apprentissage, psychomoteurs, attentionnels. «Au niveau comportemental, les problèmes se traduisent par un non-respect des règles de vie, surtout à l’école, des difficultés à s’asseoir correctement, à se concentrer ne serait-ce que quelques minutes sur une activité. Ce sont des enfants qui deviennent intolérants à toute forme de frustration», reprend Hanane Lahrouni Benchekroun.

Les faiblesses motrices peuvent quant à elles se caractériser par un retard de l’acquisition de l’écrit, à travers, par exemple, une incapacité à tenir un stylo ou un crayon, trop habitués qu’ils sont à «faire simplement glisser leur doigt sur un écran». «Même si on a l’impression pour nous, adultes, qu’il est facile voire naturel de tenir un stylo, eux n’y arrivent pas car ils ne tiennent jamais rien avec leur doigt ou leur main et n’ont donc aucune force. Ils n’arrivent tout simplement pas à serrer leur doigt. Au final, ce sont des enfants qui, souvent, n’aiment ni l’écriture, ni le coloriage», explique encore Hanane Lahrouni Benchekroun.

Souvent également, les résultats scolaires pâtissent de ces difficultés et retards accumulés. «Le balayage visuel que requiert la lecture demande une certaine compétence pour pouvoir suivre les lignes, déchiffrer, comprendre», note l’orthophoniste. De même que le sommeil : «A cause de la lumière bleue émise par les écrans, le cerveau n’atteint jamais la phase de sommeil profond. Ces enfants sont constamment fatigués, surexcités», indique enfin Rajae Ghzali.

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