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Interview

Khalid Safir : «La mise en œuvre de la régionalisation avancée sera progressive» [Interview]

Au moment où la régionalisation avancée connaît une poussée suite à l'adoption de textes réglementaires et de schémas de la déconcentration, Khalid Safir, wali directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, répond aux questions de Yabiladi à ce sujet.

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Khalid Safir, wali directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur / Ph. DR.
Temps de lecture: 6'

En tant que directeur général des collectivités locales, que représente pour vous le chantier de la régionalisation avancée ?

C'est un chantier royal concrétisé par la Constitution de 2011 et par les lois organiques de 2015 relatives aux collectivités territoriales. Dès lors, les Conseils des régions, les Conseils des préfectures et des provinces ainsi que les Conseils des communes conformes aux nouvelles lois sont installés. Nombre d'innovations ont été introduites par la Constitution et les lois organiques, dont la libre administration. Les présidents des Conseils des régions et des Conseils des préfectures et des provinces sont devenus ordonnateurs du budget alors qu'auparavant, c'était les walis et les gouverneurs. Le chantier est en marche, mais c'est un chantier ouvert, progressif et dynamique. L'évolution de la mise en œuvre ne sera pas nécessairement la même au niveau de toutes les régions: il est possible de faire de l'expérimentation dans certains territoires.

Qu'en est-il de la déconcentration ?

Le chantier de la déconcentration a fait l'objet de plusieurs discours royaux. La mise en route effective a démarré en 2019 avec l'adoption de la Charte de la déconcentration administrative par le gouvernement, et par la présentation du premier plan de déconcentration qui est celui du ministère de l'Intérieur.

La régionalisation et la déconcentration sont des chantiers complémentaires. La régionalisation avancée fait partie du processus de décentralisation, où l'Etat central transfère certaines de ses missions à des entités élues. La déconcentration concerne le transfert de compétences fonctionnelles et pouvoirs décisionnels aux représentants de l’état au niveau régional. Ce sont deux processus parallèles. On ne peut décentraliser si les partenaires des élus (les services déconcentrés) au niveau territorial n'ont pas de pouvoirs. Aujourd'hui, nous vivons ça, et les présidents des régions nous le font remarquer: quand ils s'adressent aux responsables d'un département ministériel au niveau régional, ceux-ci n'ont aucun pouvoir, ni budgétaire ni de décision. Les présidents des Conseils des régions souhaitent que les représentants de l'Etat au niveau territorial soient de véritables interlocuteurs avec lesquels ils peuvent traiter.

Ce chantier devrait-il, finalement, renforcer le rôle du ministère de l'Intérieur ?

Le ministère de l'Intérieur joue un rôle très important, mais il ne centralise pas tout. Notre rôle, je dirais même notre responsabilité, est l'accompagnement. Il incombe au ministère de l'Intérieur d'accompagner les collectivités territoriales pour qu'elles mettent en place leurs structures et recrutent les ressources humaines nécessaires pour améliorer leurs capacités et leurs compétences. Mais c'est une responsabilité de tout le gouvernement en ce qui concerne la déconcentration.

Les walis vont jouer un plus grand rôle en matière de coordination des services déconcentrés dans les régions. Y a-t-il des préparatifs en prévision ?

Les walis et les gouverneurs ont toujours joué ce rôle de coordination entre, d'une part, les services déconcentrés de l'Etat, et d'autre part les conseils élus. Maintenant, cela va être enrichi par la déconcentration: les services déconcentrés auront plus de moyens vu que des crédits leur seront alloués. Ils auront également une plus grande présence et plus de pouvoirs avec le renforcement des rôles des directeurs régionaux des ministères. Cette évolution ne change rien aux rôles des walis et des gouverneurs en matière de coordination, pour assurer la convergence des politiques publiques au niveau territorial.

Des régions ont été désignées comme pouvant bénéficier de fonds et de programmes d'aide. Qu'est-ce qui a été mis en place, et quelles sont les options sur la table à ce stade ?

Ce qui est prévu et qui est déjà en cours est le programme de réduction des disparités sociales et territoriales sur lequel Sa Majesté est revenu dans son dernier discours. C'est un programme de 50 milliards de dirhams sur six ans, qui en est à sa quatrième année. Il vise les territoires les plus démunis, qui souffrent d’un manque de connectivité et d’un faible accès des populations aux services publics telles l’eau et l’électricité mais également la santé et l’enseignement. Il s'agit donc principalement de zones rurales. Ce programme est piloté par les walis dans le cadre de commissions régionales. 

Il est à rappeler que la Constitution et la loi organique relative aux régions ont prévu deux fonds. Il s'agit du fonds de mise à niveau sociale et du fonds de solidarité interrégionale. Le fonds de solidarité interrégionale reçoit des contributions automatiques équivalant à 10% des recettes des douze régions. Le fonds de mise à niveau sociale, lui, reçoit des dotations du budget de l’Etat. Les décrets fixant les critères de répartition ont été adoptés et les deux fonds déjà créés. La mise en œuvre va bientôt démarrer. On essaiera d'avoir les premiers projets durant l'exercice 2020. L'objectif est de rattraper le gap entre des régions qu'on peut considérer comme mieux servies, et d'autres qui souffrent de problématiques d'enclavement, de difficultés sociales, etc.

On a aujourd'hui des AREP [Agences régionales d'exécution des projets] qui pour certaines tournent à plein régime, alors que d'autres, connaissent quelques difficultés...

C'est exactement ce que j'ai évoqué précédemment: la progressivité et la modularité dans la mise en œuvre de la régionalisation avancée. La loi organique ne dit pas que les régions sont tenues de tout faire en même temps et au même rythme. Des outils ont été prévus, mais les régions sont libres de mettre progressivement les choses en marche, chacune selon ses moyens.

On est quasiment partis de zéro au niveau des AREP. Il fallait d'abord recruter des ressources humaines nécessaires, mettre en place les procédures et les systèmes d'information. Tout cela prend du temps, mais c'est en cours. La difficulté qui s'est posé a été celle des ressources humaines. Ce n'est pas du tout évident d'embaucher des cadres supérieurs et de les convaincre de s'installer dans certaines villes. Ce qu'on remarque, c'est que la plupart des cadres supérieurs souhaitent rester sur l'axe littoral Casablanca-Rabat, alors que c'est dans les autres régions que se trouvent aujourd'hui les chantiers les plus motivants et les plus mobilisateurs. 

Onze AREP sur douze ont été mises en place. Il y a une région qui a choisi de ne pas créer d'AREP mais de contractualiser avec un grand groupe national qui est la CDG [Caisse de dépôt et de gestion]. C'est aussi une option, puisque l'AREP est à la fois une sorte de bureau d'études de la région et un outil d'exécution des programmes d'investissement. Sur les onze AREP créées, quatre sont réellement fonctionnelles à des niveaux différents, mais c'est en train de monter en puissance.

La progressivité et la modularité dans la mise en œuvre de la régionalisation, comment fonctionneront-t-elles ?

Cette modularité est prévue par la loi. Cela permet une certaine souplesse. Nous avons un dispositif de pilotage du processus de la régionalisation dirigée par le ministre de l'Intérieur. Chaque trimestre, nous tenons une réunion présidée par monsieur le ministre en présence des présidents des douze conseils des régions. Les réunions commencent par un bilan de ce qui a été réalisé, suivi de l’état d’avancement des différents chantiers. Nous soulevons aussi des points qui relèvent parfois d'autres ministères, et nous invitons un ou plusieurs ministres concernés par des thématiques particulières pour échanger. Donc, ces réunions permettent non seulement de faire le point, mais aussi de répondre aux besoins d'aide ou d'accompagnement, selon les attentes des présidents des conseils des régions. Nous sommes dans un dispositif de libre administration. Les conseils des régions sont totalement autonomes. Le ministère accompagne les régions à leur demande.

Se pourrait-il par la suite qu'il y ait régionalisation «à la carte», certaines régions pouvant débloquer des prérogatives avant les autres ? Comment fonctionne l'échange d'expériences entre régions ?

Le terme «à la carte» ne me plaît pas, je lui préfère celui de modularité. C'est ce qui est prévu dans la Constitution et dans la loi organique sur les régions. On peut faire de l'expérimentation, c'est à dire que des régions peuvent prendre le lead sur certains aspects. Par la suite, quand il y aura des expériences couronnées de succès, on pourrait les généraliser aux autres régions et partager ainsi les bonnes pratiques. Mais le choix est toujours celui des Conseils des régions. On ne peut rien imposer. D'ailleurs, les réunions trimestrielles entre le ministre de l'Intérieur et les présidents des conseils des régions sont aussi une occasion de partager et échanger les meilleures expériences. Cela permet de faire avancer tout le chantier.

Cela s'inscrit un peu dans une démarche d'émulation ?

Exactement. Ils sont informés sur les avancées de chaque région que ce soit, par exemple, dans le domaine de la formation des élus ou encore la mise en place des AREP. On leur dit, par exemple, qu'au lieu de construire vous-mêmes un système d'information from scratch, il y a une AREP qui est déjà fonctionnelle, allez voir ce qu'ils font pour un éventuel partage de leur système d’information. Mais on est toujours dans une démarche d'émulation.

Suite à ces réunions, des régions ont-elles pris vos conseils en considération ?

Oui. Ce mécanisme ne bénéficie pas exclusivement aux régions mais à l’ensemble des collectivités territoriales. On communique autour de chaque avancée réalisée par les collectivités territoriales.

Dans le passé récent, vous avez plaidé pour une réforme de la fiscalité locale. Quelles pistes pour cette réforme ?

C'est un chantier national. Il a connu un moment très important durant les Assises de la fiscalité en avril dernier. Nous avons écouté les opérateurs économiques qui ont été unanimes sur la nécessité de rapprocher la fiscalité locale de la fiscalité de l'Etat. Nous sommes donc partis de cette optique Il faut également réduire le nombre de taxes, quasiment 17 aujourd'hui, pour revenir à deux ou trois taxes importantes avec des déclinaisons. Les choses doivent être simples, claires, prévisibles et calculables.

A la fin des Assises de la fiscalité, le ministère des Finances a déclaré que nous aurons désormais un seul corpus légal, un seul code général qui regroupera à la fois les impôts de l'Etat et les impôts locaux. Ils auront pratiquement les mêmes règles de calcul.

Cette réforme vise à assurer des sources de financement supplémentaires aux collectivités territoriales. Les défis sont importants surtout en termes de mise à niveau. Il faut que les collectivités aient les ressources nécessaires pour y faire face.

Donc, plus d'équité fiscale ?

L'idée est de répartir équitablement la charge fiscale sur l'ensemble des contribuables. Il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes qui paient, et auxquels on va demander de payer plus.

Aujourd'hui, on se rend compte que dans certaines villes, il y a des quartiers entiers qui ne paient pas de taxes locales par exemple. Ce qui n'est pas normal. Il faut qu'il y ait un véritable effort d'élargissement de l'assiette fiscale pour une contribution maximale et pour qu'il n'y ait pas trop de charges sur ceux qui paient déjà. C’est finalement une meilleure gouvernance de la fiscalité.

Article modifié le 08/09/2019 à 12h33

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