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Grand Angle

Enseignement au Maroc : A quoi mèneront les démarches des AREF contre les grévistes ?

Suite à la conférence de presse du ministre de l’Education nationale, Saïd Amzazi, des mesures ont été confirmées à l’encontre des enseignants opposés au recrutement par contrats. Son département confirme aussi le remplacement des grévistes par d’autres cadres, ce qui pose la question de la qualification du personnel mobilisé.

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De la marche initiée par la Coalition marocaine pour la défense de l’enseignement public, dimanche 24 mars 2019 à Rabat / Ph. Yabiladi
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Jeudi, le ministre Saïd Amzazi a annoncé officiellement des mesures de révocation à l’encontre des enseignants grévistes, opposés au recrutement par contrat dans l’enseignement public. Dans ses déclarations, il a confirmé par ailleurs les démarches déjà entreprises et annoncées avant lui par certaines Académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF) pour assurer la continuité et la régularité des cours.

En effet, cette conférence de presse s’est tenue trois jours après l’intervention sur le journal télévisé de 2M, le 24 mars dernier, d’Abdelmoumen Talib, directeur de l’AREF de Casablanca – Settat. Celui-ci a défendu bec et ongles les amendements récemment adoptés au niveau des académies régionales et relatifs aux cadres qui, selon le responsable, «n’obéissent plus au recrutement contractuel et bénéficient de manière égale des droits et des avantages des enseignants de la fonction publique».

Pour les AREF, «il n’y a plus de recrutement contractuel»

«Après amendement, je peux assurer que le régime de base relatif à ces cadres est devenu une copie conforme de celui concernant les fonctionnaires de l’Education nationale. Nous avons répondu aux revendications des enseignants opposés au système des contrats», prétend Abdelmoumen Talib sur le plateau de 2M.

Il soutient également que «les AREF ont pris toutes les mesures nécessaires pour garantir aux élèves leur droit à la scolarité», à l’image de celle de Casablanca – Settat, où il dit avoir réussi à «rendre disponibles les ressources humaines nécessaires pour ne pas entraver le calendrier scolaire, notamment pas le biais d’enseignants bénévoles» (sic).

Ces derniers ont été mobilisés, selon lui, au sein même de cadres contractuels, de fonctionnaires, mais aussi de stagiaires qui sont par ailleurs étudiants universitaires et non pas éducateurs. Ses dires soutiennent que l’initiative s’est aussi étendue aux enseignants retraités, avec la possibilité d’envisager une configuration d’heures supplémentaires.

Des mesures «à l’emporte-pièce»

Le recrutement contractuel est parti de la volonté de maitrise de la masse salariale pour l’Etat et l’Education nationale. Cependant, les AREF estiment désormais qu’il serait aboli, se limitant à un statut au niveau de l’académie. «Mais ce statut-là, pour un enseignant, est simplement un transfert. En d’autres termes, il reste contractuel et tributaire de l’AREF ; c’est un jeu d’écriture qui ne résout rien !», rétorque Azeddine Akesbi, économiste spécialiste en éducation.

Pour lui, «la question n’est pas dans la rémunération des retraités pour des heures supplémentaires», comme cela a été fait jusqu’aux années 1980, avant le retrait de cette possibilité dans le cadre des réformes structurelles. Contacté par Yabiladi, il estime que les mesures des AREF relèvent d’un «bricolage qui peut faire plus mal que là où nous en sommes actuellement».

Par ailleurs, Akesbi considère que la mobilisation de remplaçants tous azimuts par les AREF «n’est pas une solution viable au vu des besoins accrus, surtout si l’on avance vers un réel bras-de-fer entre le ministère et les enseignants». Il indique dans ce sens que «le déficit en enseignants est considérable depuis longtemps» et qu’il n’est donc pas conjoncturel, «ce qui a été souligné par plusieurs audits».

Autre questions primordiale, «plusieurs enseignants contractuels n’ont pas bénéficié d’une formation pédagogique», souligne le spécialiste, ajoutant qu’«ils sont eux-mêmes en situation difficile, ce qui peut accroître la détérioration de la qualité de l’enseignement». De là à remplacer ces professeurs par des étudiants universitaires, Azeddine Akesbi considère que la démarche est «catastrophique».

«Ni l’université, ni ses professeurs, encore moins ses étudiants, ne sont outillés et préparés pour assurer un enseignement dans le secondaire. Ce sont des solutions à l’emporte-pièce qui n’augurent rien de bon.»

Azeddine Akesbi, économiste et spécialiste en éducation

Les conséquences de la réduction du nombre de fonctionnaires

Pour Azeddine Akesbi, la situation actuelle «pose une question très sérieuse de gouvernance de l’Education nationale, qui est encore très centralisée».

«Depuis 2003, la gestion des ressources humaines devait être transférée aux académies, mais à ce jour, elle est assurée au niveau central à Rabat alors qu’elle doit être de proximité, impliquant des responsables locaux pour changer d’approche.»

Azeddine Akesbi, économiste et spécialiste en éducation

Pour Azeddine Akesbi, la source de cette crise est à chercher du côté d’initiatives à laquelle s’est longtemps soumis le ministère de tutelle, sur les recommandations de la Banque mondiale, qui a préconisé une réduction accrue de la masse salariale au sein de la fonction publique. «C’est une catastrophe qui remonte à 2006, à savoir le départ volontaire, justifié par l’idée de se passer de ressources humaines non nécessaires au sein des administrations publiques», rappelle-t-il.

«Nous n’avons réussi ni l’un ni l’autre car cela a coûté encore plus cher. On a donné des indemnités exorbitantes aux fonctionnaires pour partir, mais cela n’a pas réduit considérablement la masse salariale. En revanche, on a perdu des ressources humaines extrêmement précieuses qu’on a dû former pendant des années, notamment des enseignants chercheurs ou des médecins.»

Azeddine Akesbi, économiste et spécialiste en éducation

L’économiste considère que la crise actuelle des enseignants recrutés par contrat est un pendant de l’échec de l’initiative des départs volontaires qui a vidé notamment l’enseignement de ses compétences. «Ceux qui ont engagé cette opération méritent d’être sanctionnés ou poursuivis, parce que c’est une erreur politique majeure dont on subit les conséquences encore aujourd’hui», affirme Azeddine Akesbi.

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