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Grand Angle

Mokhtar : Citoyen offshore par procuration [Satire]

«Oyé, oyé, Marocaines et Marocains du monde, je viens vous annoncer une grande nouvelle ! Alors de grâce, prêtez moi l’oreille ne serait-ce que 30 secondes. Le gouvernement de sa Majesté, a enfin pensé à ses ouailles à l’étranger. Ameur et Cherkaoui ont préparé le texte et Fassi l’a chanté. Vous, citoyens offshore, le nouveau code électoral va tous vous mettre d’accord. Je viens annoncer aux chers enfants de la nation que vous pourrez enfin bénéficier du vote par procuration.»

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A l’énoncé de cette nouvelle, criée par Ahmed Berrah devant les clients du café connu sous le nom de «Baghrir au sirop d’érable» très fréquenté par la communauté marocaine de Montréal, le brouhaha habituel s’arrêta... pour reprendre comme si de rien n’était 30 secondes plus tard. Seul Mokhtar Teyara vint prêter attention aux propos du Berrah.

- Ahmed, Ahmed, Ahmed, pourrais-tu me venir en aide ?

- Dis-moi cher ami, tu souhaites voter et accomplir ton devoir citoyen ?

- Je n’ai jamais voté, mais j’aimerais ne plus être un citoyen de seconde zone. J’ai entendu Nouzha Chuk Rooney...

- Chekrouni ?!

- Oui, voilà, notre ambassadrice, Nouzha Cheikh Rooney, à l’époque où elle était ministre de nous,  elle a annoncé que pour voter, il fallait nous déplacer… au Maroc. Moi je veux bien, mais qui va me payer le billet d’avion ? Je suis désolé, mais, moi, je ne vole pas assez pour pouvoir me payer un aller-retour en avion.

- Pourquoi parler d’avion puisque vous pouvez désormais voter par procuration ?

C’est alors que le propriétaire du café s’immisça dans la discussion, pour souffler à l’oreille de Ahmed quelques mots :

-Ne faites pas attention à Mokhtar monsieur Berrah. Il n’a plus vraiment toute sa tête. Ici les amis disent souvent de lui «El mokh… tar ! Ma bqa fbalo ghir Teyara !». (Le cerveau c’est envolé et il ne pense plus désormais qu’à l’avion)

Mais Ahmed n’écouta pas les ragots et expliqua toute la démarche pour que Mokhtar puisse devenir le premier citoyen offshore du café rebaptisé l’année dernière - en signe de bonne intégration - «Pancake avec amlou». Le pauvre Mokhtar s’exécuta et partit le lendemain au consulat pour établir une procuration pour sa soeur Samira restée à Oujda. La procuration, envoyée par la poste, mit 48 heures pour atterrir à Oujda et 3 semaines pour arriver chez Samira Teyara. Juste à temps pour participer aux élections législatives anticipées du 25 novembre 2011.

Un grand jour pour Mokhtar, une torture pour Samira qui a dû faire la queue des heures durant avant d’arriver devant l’urne. S’il y avait lenteur, ce n’était pas dû à l’affluence record, puisqu’il n’y avait que 12 personnes dans ce bureau de vote, mais plutôt à cause de l’inefficience des fonctionnaires sur place.

Le vieux binoclard prenait une heure pour retrouver votre nom sur la liste. Les téméraires citoyens devaient donc s’armer de patience. Samira, excédée, en était arrivée à s’armer de celles qui servent aux destructions massives. Si Samira Teyara devait être inspectée à ce moment là, elle serait classée, sans aucune équivoque, parmi les armes bactériologiques non conventionnelles.

Puis vint son tour, la pression redescendit d’un cran. Elle présenta sa carte d’électeur en même temps que la  procuration de son frère offshore.

- Ah, c’est une procuration de l’étranger signé par le Consul. Il faut certifier la signature auprès du ministère à Rabat, lui expliqua le binoclard.

Samira croyant à une plaisanterie :

- Ahhh siiiii, vous ne voyez pas le tampon et la signature ? Consulat général du Royaume du Maroc à Montréal ?!

- Lalalala, c’est la loi ya lala !

- Comment ca ? Vous ne faites pas confiance en votre propre consul ? Et si c’était une procuration établie auprès de l’administration canadienne. Je devrais me rendre à l’ambassade canadienne pour certifier la signature ?

- Là c’est une question piège. J’ai le droit d’appeler un ami. Une minute !

Le binoclard appela immédiatement, le ministère des Affaires étrangères pour poser la question à un responsable, pendant que Samira décrochait un petit rire nerveux.

- Oui mssiou. Oui Sidi. Affirmatif... oui. Reçu 5 sur 5, votre honneur.

Il raccrocha avec un sourire de satisfaction. La question piège n’en était plus une.

- J’ai la réponse. Si c’est une procuration d’un consul, il faut la certifier au ministère. Si par contre c’est une procuration émanant de l’administration canadienne, elle est valable. Aucun problème !

Samira, n’en croyant pas ses oreilles :

- Donc vous ne faites pas confiance en votre propre administration basée à l’étranger, mais vous accordez du  crédit à une administration étrangère ? Ma domta fel Maghrib, fa la tastaghrib ! (Au Maroc, rien ne doit vous surprendre !)

Samira n’en pouvant plus, asséna un coup de sac à main sur la tête du binoclard, envoyant valser contre un mur ses lunettes. Les forces de l’ordre intervinrent rapidement et embarquèrent la pauvre Samira, surprise par sa propre violence.

Le lendemain, les journaux écrivaient : «Samira, une membre du Mouvement du 20 février, connue par les services de police pour être une islamiste athée de gauche, a lâchement agressé un pauvre fonctionnaire handicapé qui tenait un bureau de vote. Preuve est faite que des forces ennemies du Royaume ne souhaitent pas voir la démocratisation du Maroc se concrétiser dans le cadre d’un processus électoral transparent.»

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