orsque la responsable des ressources humaines a su que je portais le voile, elle a écourté notre entretien. Elle m’a expliqué que l’une des employées de l’entreprise, voilée, refusait de serrer la main du patron lorsqu’il saluait tout le monde le matin. Je lui ai dit que cela ne me posait aucun problème. Elle a tout de même refusé», témoigne Maghnia, 24 ans, infographiste à Casablanca.
Comme elle, certaines femmes, au Maroc, se retrouvent face à un dilemme inattendu dans un Etat constitutionnellement musulman : obtenir un emploi ou continuer à porter le voile. «J’ai une amie qui travaillait dans la filiale marocaine d’une multinationale d’automobile. On l’a menacée de licenciement si elle ne retirait pas son voile», raconte Zohra*, 39 ans, assistante de direction à Marrakech. Pour conserver son poste, elle l’enlève donc chaque matin en arrivant au travail, dans les toilettes de l’entreprise, et le remet le soir, dans les mêmes conditions.
S’il est très difficile de connaître l’ampleur de ces discriminations, les témoignages abondent. En 8 ou 9 ans de carrière, H. inspecteur du travail au Maroc qui a souhaité rester anonyme, n’a toutefois rencontré que 2 ou 3 cas semblables. «L’article 9 du code du travail interdit toute discrimination, notamment basée sur la religion, souligne H. Un employeur qui aurait été jugé coupable de discrimination risque entre 15 000 à 30 000 dh d’amende.»
Dans la majorité des cas, les employeurs, qui ne veulent pas de femmes voilées, les écartent au moment de l’embauche. Sanae*, journaliste, a constaté qu’elle recevait plus de convocations aux entretiens d’embauche lorsqu’elle envoyait des CV sans photo, plutôt qu’avec. Elle s’est tournée vers un ami, responsable recrutement d’une entreprise de consulting. « Il m’a dit qu’il repousse toutes les postulantes voilées. Lorsqu’un profil lui semble, malgré tout, intéressant il consulte son supérieur qui refuse systématiquement», confie-t-elle.
Au niveau de l’embauche, l’inspection du travail ne peut pas intervenir. Elle peut le faire si une femme, qui met le voile alors qu’elle est déjà embauchée, s’attire ainsi les foudres de son employeur. «J’ai déjà été témoin d’un cas où l’employeur a décidé de faire jouer une clause de mobilité présente dans le contrat pour lui faire abandonner son poste», explique H. Sans accord amiable, l’affaire ira devant les tribunaux, à charge à la plaignante d’apporter la preuve de ses accusations.
Le voile symptôme d’une attitude négative
Dans les cas de discrimination à l’embauche, les employeurs supposent que le travail d’une femme voilée sera entravé par le fait qu’elle ne pourra pas avoir de contacts faciles avec l’extérieur, avec la clientèle. «Certains secteurs comme le textile qui emploie beaucoup de femme sont exempts de cette difficulté. Elle est présente, au contraire, dans les secteurs de l’évènementiel, du tourisme, de la réception d’hôtel ...», détaille l’inspecteur du travail. Nora*, journaliste, était voilée depuis 10 ans quand un recruteur de l’une des chaines nationales lui a clairement expliqué qu’il ne l’embaucherait pas si elle gardait son voile. «Il m’a expliqué que ce n’était pas lui, mais la direction qui n’en voulait pas. Pour lui, il reflétait un background islamique», explique Nora.
Abdessamad Dialmy, professeur de sociologie à l’université Mohamed V de Rabat, en atteste. «Le voile a une dimension positive pour les Marocains lorsqu’il est porté dans l’espace privé. Il est alors synonyme de chasteté et de piété. Dans la vie professionnelle, la femme qui le porte rappelle qu’il y a Dieu et l’islam. Elle n’apparait pas comme accueillante, risque de ne pas vouloir serrer la main d’un homme et donne une mauvaise image de l’institution qui l’emploie», explique Abdessamad Dialmy. Le voile apparaît, comme une barbe trop fournie pour un homme, comme le symptôme d’une attitude négative.
Des analyses dont quelques femmes font les frais. Actuellement au chômage, Sanae présélectionne les entreprises pour lesquelles elle postule en fonction du critère ‘voile’. «Je veux m’épargner le fait que l’on me traite de façon désagréable». Nora conclut, «je remettrai le voile lorsque j’aurai un poste haut placé, quand je serai en sécurité.»
*Les prénoms ont été changés
Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°10