Menu

Interview

Maroc : Désespoir des associations d’aide aux personnes handicapées mentales [Interview]

Sabah Zemmama, présidente de l’Union nationale des associations œuvrant dans le domaine du handicap mental, fustige les restrictions budgétaires qui restreindront, à la rentrée prochaine, l’accès à la scolarité pour les personnes handicapées mentales, déjà en proie à de nombreuses difficultés. INTERVIEW.

Publié
Des personnes se mobilisent lors d’un sit-in à Rabat en décembre 2014, en faveur des personnes souffrant de handicap mental. / Ph. UNAHM
Temps de lecture: 4'

Dans un long communiqué diffusé vendredi 22 juin, l’Union nationale des associations œuvrant dans le domaine du handicap mental (UNAHM) s’inquiète du manque cruel de moyens légaux, logistiques et financiers pour garantir les droits des personnes en situation de handicap mental.

Elle dénonce notamment la suppression de la subvention d’appui à la scolarité des personnes handicapées à toute personne ne bénéficiant pas du Ramed. Dans ce sens, l’UNAHM, rejointe par plus de 150 associations, réseaux et collectifs œuvrant dans le domaine du handicap mental, alerte sur la situation des jeunes handicapés qui se verront privés d’un accès à la scolarité en septembre prochain. L’association déplore également que les conditions d’accès à cette subvention aient été revues à la hausse, mettant les associations et leurs salariés, déjà fragiles financièrement, dans une situation particulièrement délicate.

Globalement, à quelles problématiques sont confrontées les personnes en situation de handicap mental au Maroc ?

Elles n’ont pas accès à la scolarité facilement, voire pas du tout, car il n’y a pas de mesures d’adaptation. Elles n’ont pas non plus accès à des financements pour que leurs frais de santé soient pris en charge. Leurs droits sont bafoués tous les jours ; il n’y a aucun moyen de leur permettre de jouir de tous leurs droits. Il y a des lois, mais rien n’est mis en place pour qu’elles soient appliquées sur le terrain. 

Certaines familles se retrouvent avec un adulte ou un enfant seul à la maison, ou bien dans la rue, lorsque les parents doivent aller travailler. Ils restent seuls chez eux toute la journée, ou sont placés dehors, sans surveillance, en attendant que leurs parents rentrent. On se retrouve avec de jeunes handicapés mentaux agressés, violés dans la rue, et peu importe qu’ils soient garçons ou filles. Dans le rural, n’en parlons pas ! C’est dramatique… Il n’y a quasiment aucune structure, et les seules qui existent sont dans un état lamentable. Il n’y a aucune ressource, ni matérielle ni humaine. Comment voulez-vous que des personnes aillent travailler dans ces territoires ? Tant que l’Etat ne prendra pas cela en charge, les choses ne pourront pas avancer.

Vous évoquez dans votre communiqué des acquis retirés les uns après les autres, des recommandations non prises en compte et des projets et des mémorandums oubliés. Qu’entendez-vous par là ?  

En 2003 a été créée la subvention d’appui à la scolarité des personnes handicapées. Elle bénéficie aux personnes qui touchent le Ramed, le smic, les enfants de retraités… Globalement, cette subvention vise les personnes précaires qui ne peuvent pas être prises en charge dans des centres de santé, moyennant un certificat d’indigence et des certificats médicaux, entre autres.

Cette année, à la veille de l’Aïd, les responsables de la subvention ont publié un nouveau cahier des charges dans lequel ils suppriment cette aide à toutes les personnes ne touchant pas le Ramed – soit des milliers. Elles se voient ainsi privées de scolarité, pour les plus jeunes, ou empêchées de se rendre dans des centres spécialisés. De plus, ce budget permettait de payer les salaires des salariés qui prenaient en charge ces personnes. Comment va-t-on faire pour licencier tout ce monde ? Ils nous mettent face à des difficultés incroyables. Chaque année, nous nous réunissons avec les responsables ; chaque année, nous leur présentons des documents, des solutions, mais rien n’y fait. La dernière fois, nous avons suggéré une prise en charge sur trois ans pour que les familles n’aient pas à présenter un dossier tous les ans, moyennant bien sûr un certificat de scolarité et d’autres documents pour faciliter tout cela.

Quid des associations justement ? A quelles difficultés font-elles face ?

D’année en année, le cahier des charges a commencé à augmenter, les exigences pour pouvoir toucher cette subvention ont été revues à la hausse, avec des formalités administratives à n’en plus en finir, les contrôles se sont accrus… Nous n’avons rien contre les contrôles, c’est tout à fait normal, mais les associations marocaines vivent, pour beaucoup, au jour le jour. Il faut bien comprendre que celles qui œuvrent dans ce domaine sont pauvres et n’ont pas les ressources nécessaires pour répondre à toutes les exigences. Il y a bien des subventions régionales, mais tout le monde ne les touche pas. En plus, la subvention d’appui à la scolarité nous interdit de demander d’autres financements pour pouvoir scolariser les enfants. Or, la scolarité est un droit ; toutes les personnes en situation de handicap doivent pouvoir être scolarisées, c’est pourquoi l’Etat doit disposer d’un budget dédié à ces personnes.

On nous met vraiment des bâtons dans les roues. La lourdeur des cahiers des charges complique réduit marge de manœuvre. Chacun fait comme il peut, certaines associations parviennent à générer des ressources en organisant des galas, en déployant beaucoup d’énergie qui pourraient être mises à disposition pour d’autres choses, notamment l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap mental, l’augmentation de la capacité d’accueil des centres…

Depuis quelques années, les rôles se sont inversés : au lieu que l’Etat prenne ses responsabilités, scolarise les enfants, mette à disposition des budgets, construise des centres ou instaure des classes intégrées, des programmes d’intégration professionnelle, c’est la société civile qui se charge de faire tout cela avec les faibles moyens dont elle dispose. Dans la tête des décideurs, ce sont les associations qui doivent aller chercher des ressources, alors que c’est l’inverse qui devrait être fait : c’est l’Etat qui devrait trouver les ressources et ce sont les associations qui devraient l’aider à améliorer les conditions de vie des personnes handicapées.

Comment expliquez-vous ces décisions ? Par quoi sont-elles motivées d’après vous ?

Franchement, on n’en sait rien. Jouer de cette manière avec l’avenir de ces enfants et de leurs familles, les émotions que ces situations génèrent, ça ne peut pas aller. Quand on est lié avec une association par une convention et qu’on veut modifier un article, la moindre des choses, c’est de se réunir avec les responsables associatifs, de les écouter, de débattre avec eux, de prendre des décisions ensemble. Rien de cela n’a été fait. Les modifications effectuées dans le cahier des procédures ont été mises en ligne la veille de l’Aïd, sans prévenir personne.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com