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Interview

«Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières est dicté par l’Europe» [Interview]

En préparation du Forum global sur la migration et le développement (GFMD), prévu du 5 au 7 décembre 2018 à Marrakech, la Plateforme euro-marocaine migration, développement citoyenneté et démocratie a animé de nombreux ateliers sur le respect de la dignité humaine, des principes de solidarité et de la justice sociale. Ce travail accompagne les changements du cadre international en matière de politique migratoire. Le président de la Plateforme MDCD, Abdelatif Mortajine, revient pour Yabiladi sur ces évolutions que connaîtra l’année 2018.

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Abdelatif Mortajine, président de la plateforme euro-marocaine Migration, développement citoyenneté et démocratie (MDCD)
Temps de lecture: 4'

Expliquez-nous la génèse de ce Pacte mondial pour les migrations...

Tout d’abord, je tiens à souligner que la mise en œuvre d’un pacte commun concernant les migrants et les réfugiés est une demande qui a émané de la société civile. Depuis 2007, cela a fait partie de ses deux principales exigences, à savoir une gouvernance mondiale en matière de migration, puis le regroupement de l’arsenal juridique concernant les situations des réfugiés et des migrants dans un seul pacte, qui s’appellerait «Les êtres humains en mobilité».

Ces deux termes sont déjà scindés, dans les textes, vu que certains politiques veulent légiférer au cas par cas, notamment par rapport aux réfugiés climatiques. Mais la demande associative est de regrouper tous les textes sur la migration et les réfugiés dans le Pacte intitulé «Les êtres humains en mobilité». Ainsi, un seul et même traitement pour tous les cas de déplacés sera mis en place. Cette demande a évolué et elle a été posée de manière solennelle à New York en 2013. Dans le dialogue de haut niveau ayant suivi en 2016, l’ONU a eu accès à cette demande. Donc, une déclaration a été mise en place sur l’intention de lancer cette gouvernance mondiale sur la migration, appelée le «Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières».

Ceci concerne la déclaration officielle, qui est bien fidèle aux termes revendiqués par les ONG. Mais en lisant entre les lignes, on s’aperçoit qu’il se cache un enjeu énorme sur le plan financier. Cette demande de la société civile a été entendue, car il y a aussi des intérêts d’acteurs économiques qui en bénéficieraient. La migration est devenue un grand enjeu mondial : Il y a une forte concurrence en matière de compétences.

Aujourd’hui, la France se reproche à elle-même de ne pas attirer suffisamment de migrants hautement qualifiés. Par ailleurs, il y a une grande pression migratoire et un véritable trafic qui génère beaucoup d’argent, tout en échappant au contrôle des Etats, ce qui enrichit beaucoup de réseaux mafieux. Cela commence à déranger sérieusement les pays membres de l’ONU. Ce sont ces enjeux-là qui ont pris le dessus pour accélérer la conception et la mise en œuvre d’une gouvernance mondiale sur la migration.

C’est ainsi que dans le texte, on a mis les migrants d’une part et les réfugiés de l’autre. En septembre 2016, l’ONU a approuvé le Pacte. L’Organisation internationale de la migration (OIM) est relevée au rang d’institution onusienne. Il est demandé alors à l’OIM d’animer la période des concertations entre les gouvernements et la société civile. On s’est donné donc un an où se sont tenues des réunions partout dans le monde, entre 14 et 20 par mois, quasi-quotidiennement. Concernant les réunions entre membres de la société civile, l’OIM désignait toujours une ONG organisatrice et lui octroyait un budget à cet effet.

Justement en terme d’organisation du travail, pouvez-vous nous en dire plus...

Deux pays ont été nommés comme rapporteurs : la Suisse et le Mexique, dans l’esprit de mettre un certain équilibre. L’un est pays de migration et l’autre pays d’immigration. Le premier est un pays du Nord et l’autre du Sud. Ces deux Etats suivent toutes les rencontres, récupèrent tous les rapports.

Début décembre 2017, se tient alors une réunion binôme au Mexique. Les ambassadeurs des deux pays observateurs ont fait un long exposé, à l’issue duquel il y a eu encore des débats entre gouvernements et société civile. Des rectifications ont été apportées au texte. En février 2018, la Suisse et le Mexique présenteront une proposition de ce Pacte. Celui-ci sera constitué de 26 rubriques et thématiques, traitant le droit des migrants, celui des mineurs, des femmes, le commerce, les échanges, les compétences… En tant qu’acteurs de la société civile, nous n’avons été consultés que pour six axes du texte. Sur les autres aspects, les organisateurs ont estimé que les ONG n’étaient pas compétentes, lorsqu’il s’agit par exemple de commerce international…

En juin dernier déjà, les Etats-Unis ont commencé à donner des signes d’hésitation. Finalement, ils ont décidé de se retirer du Pacte, deux jours avant la rencontre au Mexique. C’est ainsi que ces derniers jours, les réunions de concertation entre pays européens ont été accélérées. Le Pacte sera finalement dicté par eux. Une fois proposé, celui-ci entrera dans la phase des négociations. Il y aura de nouvelles réunions régionales, entre gouvernements et société civile, afin que chaque pays se positionne vis-à-vis de ce Pacte. Pour ce faire, les Etats devront chacun consulter ses chercheurs, entrepreneurs, syndicats… C’est ce qui initiera l’étape de négociation pour améliorer les termes du Pacte. La version finale et solennelle sera présentée en juillet 2018.

Les Etats vont donc faire un nouveau round de négociations ?

Effectivement. Il y aura une discussion autour de thèmes qui sont déjà arrêtés. Le Maroc, par exemple, peut se prononcer sur le sujet des expulsions de ses citoyens dans d’autres pays, ou l’expulsion de ressortissants étrangers de son territoire… Chaque pays négociera les thèmes point par point. Comme c’est un Pacte non-contraignant, les Etats approuveront les termes qui leur conviennent. Le Pacte sera entériné lors du dialogue de haut niveau en session ordinaire de l’ONU (septembre 2018) et il sera officiellement signé à Marrakech.

A partir de là, on entrera dans la phase de mise en œuvre, c’est-à-dire l’expérimentation du Pacte pour mesurer si le texte contrôle efficacement les flux migratoires, lutte contre le trafic humain… Ici, l’Etat marocain compte sur la société civile pour faire des campagnes de sensibilisation contre le racisme et les discriminations. Cela risque de ne pas rapporter beaucoup, d’autant plus que nous considérons que c’est aux gouvernements de mettre en place des lois dans ce sens.

On voit pointer depuis quelques années les pressions pour la réadmission des migrants...

En effet, on veut entrer en négociation avec des pays comme le Maroc pour renvoyer les personnes dont les pays du Nord n’ont plus besoin, essentiellement pour des considérations économiques. Par exemple, dans le centre de protection des mineurs qui accueille les enfants migrants non-accompagnés à Nancy, la prise en charge de chacun parmi eux coûte 300 euros par jour.

Il y a trois ou quatre ans, le budget du département français de Meurthe-et-Moselle alloué à cet effet était de 82 millions d’euros. Aujourd’hui, il est de 150 millions. Nancy a recueilli 40 enfants des camps de Calais et la ville a fait une pression énorme sur Londres pour que ces jeunes soient accueillis là-bas, à leur demande. C’est pour cela que les Etats européens sont prêts à investir un million d’euros pour renvoyer ces enfants-là en dehors de l’Europe. Finalement, ce sont des calculs qui ne sont liés ni à une approche humanitaire, ni à une autre de droits.

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