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Grand Angle

Y a-t-il trop de Français dans les journaux marocains ? Le débat qui agite la Twittoma

Quelques fois, sur Twitter des débats surgissent et font réfléchir sur certains faits de société. Hier, la Twittoma s’est emballée sur le fait que certains médias francophones embauchent trop de journalistes français et pas assez de marocains. Préférence nationale ? Chauvinisme ? Xénophobie ? Yabiladi a choisi de donné la parole à ceux qu'on a très peu lu sur Twitter : les journalistes français installés au Maroc. 

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Photo d'illustration - DR
Temps de lecture: 4'

Depuis hier soir, un débat agite la Twittoma. Certains protagonistes fustigent certains médias marocains francophones de faire travailler trop de journalistes français au sein de leurs rédactions, et de ne pas recruter assez de Marocains.

Un journaliste de Telquel, Thomas Savage a été explicitement visé par quelques attaques d’internautes suite à son article sur Nabila Mounib qui arborait une casquette des «NY Yankees» lors de la marche en soutien au peuple palestinien.

Ce dernier a répondu : «Puisque finalement c'est ça votre question: Oui, ça demande quelques nuits blanches pour que ça se voit le moins possible dans vos papiers que vous êtes un journaliste étranger. Et même après avoir lu ce genre de commentaire qui soigne l'ego, vs ne fermez qu'un oeil. Merci, je viens de le rouvrir».

La polémique a duré de longues heures avec son lot de préjugés. D’autres journalistes marocains ont répondu, le qualifiant de «faux débat», notamment Salaheddine Lemaizi des Inspirations Eco.

Pour essayer de comprendre le contexte dans lequel évolue les journalistes français au Maroc, et leur avis sur cette «polémique», Yabiladi a contacté trois journalistes français établis dans le royaume depuis un certain nombre d’années. Le sujet semble extrêmement délicat et à chaque fois, nos contacts ont requis l’anonymat.

Notre première interlocutrice est une journaliste qui travaille pour un média marocain. Elle déclare : «C’est difficile de parler de polémique puisque ça concerne un tout petit nombre de médias, puisque c’est les rédactions francophones. Ça n’a vraiment pas lieu d’être». En parlant de son expérience, elle avoue ne pas trop s’aventurer sur des sujets politiques, étant donné que ce n’est pas [son] sujet de prédilection. D’autant plus qu’elle ne va pas s’aventurer à écrire «sur des choses [qu’elle] ne maitrise pas».

«Pour moi, ce n’est pas une question de nationalité, si un journaliste est passionné par la politique, s’il s'y intéresse, qu’il a les contacts et les informations, etc. Je ne vois pas comment il ne pourrait pas avoir la légitimité d’écrire en tant que Français.»

Internaute en colère

Par ailleurs, notre source, a déjà eu affaire à des internautes «en colère», notamment un «particulièrement virulent dans ses commentaires» qui ne comprenait pas «pourquoi une Française ose parler de sujets marocains». La jeune femme a pris le temps de le contacter en privé pour comprendre pourquoi ce jeune homme était «insultant» et les raisons de son commentaire. «Au début, il me parle de l’héritage colonial, du fait que les Marocains se sentent toujours un peu inférieurs aux Français, qu’il existe une sorte de complexe lié à l’histoire coloniale du Maroc. Il avait tout juste 25 ans, je lui ai répondu que ni moi ni lui n’avons vécu l’époque du protectorat, et mon article n’était pas du tout dans une démarche de condescendance. A la fin de la conversation il a fini par s’excuser», se remémore la journaliste.

Pour notre interlocutrice, «les journalistes français qui s’installent au Maroc, le font par goût pour le Maroc, et le monde arabe en général, ou pour des histoires de famille». Et de conclure : «Je pense que c’est plutôt une richesse dans des rédactions, dans le monde entier, d’avoir des journalistes étranger pour apporter un regard un peu neuf. Comme moi, je ne connais pas toutes les subtilités de la société marocaine. Je vais peut-être me poser plus de questions ou des questions que les Marocains ne se seraient pas forcément posés.»

Une autre source contactée par Yabiladi, comprend que certains puissent se poser la question sur le fait qu’il y ait trop de journalistes français au sein des rédactions marocaines. Elle fait remarquer que dans sa carrière, quand elle travaille sur le terrain : «Je n’ai jamais senti de ressentiment ni de xénophobie». Pour elle, les polémiques enflent sur internet. «C’est des petites batailles de Twittos», ajoute-t-elle. «Un journaliste français peut faire des bons sujets politiques. Il suffit de maitriser le sujet, le bosser, et poser des questions à ses collègues», continue notre source.

«Si ce n’est pas ta langue c’est plus compliqué, mais si tu as un interlocuteur français en face de toi et tu maitrises le sujet, je ne vois pas le souci.»

Des écoles de journalisme à la ramasse

Notre dernier interlocuteur est un journaliste français qui a travaillé pour plusieurs médias marocains. Pour lui, les journalistes français qui viennent au Maroc «sont profondément intéressés par le pays, impliqués et passionnés». «Ils savent que s’ils s’expriment sur un sujet, ça demande plus de précautions et de travail. Il faut en faire deux fois plus parfois quand t’es Français pour prouver ta légitimité pour montrer que t’es un vrai passionné, que ce que t’écris que t’y crois et que c’est intéressant», ajoute notre source.

«Il n’y a pas une majorité de Français dans les rédactions, il y’a une proportion. Il n’y a pas de grand remplacement de journalistes. Je peux comprendre qu’on voudrait voir plus de noms marocains.»

Le journaliste pense que s’il y a une pierre à jeter ce serait plutôt envers «les écoles de journalisme marocaines», qui ont «une qualité profondément discutable, qui enseignent mal, qui font très peu de terrain. Ce sont généralement des boites à diplôme. Une sorte de variable de la communication», ajoute la même source.

«J’ai vu des stagiaires qui sortent d’école de journalisme qui écrivent souvent très mal. On ne leur apprend qu’à faire du desk.»

Toutefois, il concède que malgré la médiocrité de l’enseignement. Certains journalistes marocains se démarquent et «s’en sortent». Il ajoute : «Etre un bon journaliste ça ne se limite pas à son école». Concernant les journalistes français, pour notre source, avoir une personne de nationalité étrangère «donne du recul sur certains sujets».

Ce sujet polémique qui paraissait simple à traiter semble plus profond qu'il n'y parait. Difficile d'avoir des journalistes français pour évoquer une question qui pourtant les touche au delà de la polémique née mardi soir. Il nous a été impossible d'avoir un témoignage non anonymisé, et encore moins d'obtenir le son de cloche du côté marocain avec certains responsables médias. Une occasion raté de dénoncer tout ressentiment ethnique ou toute xénophobie envers les étrangers qui ne représentent qu'une infime proportion de la population marocaine. 

Préférence nationale

Pour rappel, au même titre que la France et d'autres pays, le Maroc applique déjà la préférence nationale. Si une société veut embaucher un étranger (sauf les ressortissants de quelques pays avec lesquels le Maroc a passé des accords), l’entreprise doit justifier la raison de son recrutement d’un étranger. Si un candidat marocain postule pour le poste en question, la recrue étrangère ne pourra bénéficier du contrat de travail qui doit obtenir la validation préalable du ministère de l'Emploi.

Article modifié le 2017/12/14 à 16h14

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