Menu

Grand Angle

Farid El Attar : Les griffes parisiennes, convives d’un concept store casablancais [Portrait]

Ce Franco-marocain a quitté les bureaux londoniens d’une multinationale pétrolière pour se lancer dans la création d’un concept store à Casablanca. Lovée dans un style parisien, sa boutique se veut un espace d’exposition pour les créateurs marocains, dans un pays qui leur offre pour l’heure peu de visibilité.  

Publié
Farid El Attar a quitté les bureaux londoniens d’une multinationale pétrolière pour se lancer dans la création d’un concept store à Casablanca. DR
Temps de lecture: 4'

Quand le marché de l’emploi en France fait grise mine, le voisin britannique sonne auprès de certains comme une option séduisante. Farid El Attar est de ceux qui, en 2008, alors que la crise économique frappe de plein fouet, mettent le cap sur l’Angleterre pour fuir une morosité grandissante.

Diplômé de l’École supérieure de gestion et de commerce international (ESGCI) de Paris, le jeune homme, 33 ans aujourd’hui, dit également s’être heurté à la discrimination à l’embauche. Celui qui vient de «la banlieue», à Cergy, dans le Val d’Oise, est forcé de reconnaître que son nom à consonance maghrébine est mal passé auprès des employeurs.

«En pleine crise économique, c’était déjà difficile de trouver du boulot en France, mais alors en plus, avec mon nom… Si on ajoute ça au fait que je viens de banlieue, ça pénalise beaucoup.»

«J’avais fait des tests avec mon binôme qui, lui, avait un prénom bien français. J’envoyais plein de CV et je n’avais pas de retour contrairement à lui, alors qu’on avait le même diplôme et que j’avais plus d’expérience à l’international. J’ai passé toute mon adolescence en Afrique du Sud, je suis complètement bilingue en anglais. Avec l’arabe je suis même trilingue», se justifie, encore aujourd’hui, Farid El Attar. «Bref, j’ai vite compris qu’il y aurait plus d’opportunités en Angleterre.»

«Une marocanité remise au goût du jour»

C’est ainsi qu’en 2008, diplôme en poche, il débarque à Londres. «Au bout de trois semaines, un mois, j’avais déjà du boulot.» Et pas n’importe où : la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil Corporation, deuxième capitalisation boursière du monde au 31 mars 2014 (416 milliards de dollars) derrière Apple, le recrute en tant que responsable service retail Europe. Quatre ans, un mariage et un enfant plus tard, la vie de jeune travailleur dans la capitale britannique l’essouffle : «Londres c’est super bien quand on est jeune, c’est dynamique, mais quand on commence à avoir des enfants, les choses se compliquent car la vie est très chère. Quand on a vu que notre petit d’un an tournait en rond dans 30 mètres carrés, on a compris que c’était le moment de partir.»

Pas question pour le couple de retourner à Paris - «on savait que si on y retournait, on ne repartirait pas». Fin 2013, c’est à Casablanca que lui et sa femme posent leurs valises : «On s’est dit, pourquoi pas ? Je connaissais bien le Maroc car j’y venais régulièrement, ma famille étant originaire de Kenitra. Au bout de deux, trois entretiens d’embauche, j’ai vite compris que je ne voulais plus être salarié. Je ne voulais pas m’enfermer dans une boîte.»

Et puis, au gré de leurs voyages dans le royaume, un constat s’impose : «Ça manquait de concepts stores au Maroc autour du vêtement, de l’accessoire. Il y avait un vide à combler.» Avec sa femme, styliste de formation, Farid El Attar ouvre un concept store en décembre 2014, un an après leur arrivée. «La Fabrique» se veut un espace «multimarques autour de la femme dans un style très parisien», revendique l’entrepreneur. Sur les cintres de leur boutique pendent des créations effectivement très frenchy, à l'image de La Petite Française, Vanina Escoubet, MKT Studio, Tinsels, Sessùn ou encore Des Petits Hauts. En plus des vêtements, des chaussures et des sacs, la boutique propose un espace «dédié à la création marocaine avec des créateurs marocains uniquement, du prêt-à-porter aux arts graphiques, de la céramique à l’ameublement».

Source : Page Facebook La FabriqueSource : Page Facebook La Fabrique 

«On revendique une marocanité remise au goût du jour. Certains créateurs font de super choses, ils ont de l’or dans les mains mais ne trouvent pas de vitrine pour exposer leurs créations. On veut contribuer à notre petite échelle à les aider à se développer.»

En 2015, le couple met en place des «Pop Up Souk» : pendant trois jours, chaque trimestre, ils poussent les meubles de leur boutique pour accueillir artistes et créateurs marocains. «On en est déjà à notre dixième édition. Rien qu’en septembre dernier, on a accueilli 1 200 visiteurs», se réjouit le trentenaire.

Une niche prometteuse

Farid El Attar est conscient des atouts du marché marocain : «Dans notre secteur d’activité, ça a été beaucoup plus facile de se faire connaître au Maroc qu’en France. Au Maroc, on a la chance d’avoir un peu plus d’exposition sur un marché beaucoup plus neuf, plus frais, où il est plus facile d’apporter des choses. Encore une fois, on n’a rien inventé : on ne fait que rapporter des concepts qui marchent très bien dans les pays occidentaux.»

«On est sur une clientèle friande de nouveautés, qui change beaucoup et très vite. Le Maroc est très dynamisant, ce qui nous permet de saisir pas mal d’opportunités et d’être réactifs. En revanche, c’est très difficile de se faire une place en Europe, a fortiori dans une grande ville comme Paris.»

Créations Ewwel. Ph. Page Facebook La FabriqueCréations Ewwel. Ph. Page Facebook La Fabrique

Reste une difficulté ; celle du recrutement. «C’est LA difficulté. Il y a un manque de formation et de professionnalisme, même chez les gens qui sont formés. Au Maroc, on n’a pas la culture du dépassement de soi ou de l’amour du travail bien fait. C’est culturel : toute la structure familiale et sociétale est fondée sur le paternalisme. On n’est pas dans une culture de l’autonomie», fait remarquer Farid El Attar. Parmi les trois employés de son concept store, «l’une est française et le deuxième est un Franco-marocain qui est né et a vécu en France. Ce sont souvent des Français ou des Marocains qui ont vécu en Occident qui répondent à nos critères de recherche», admet-il.

Ce chef d’entreprise raconte aussi le dédale de l’administration marocaine lorsqu’il s’est lancé dans la création d’entreprise : «Le poids de l’administration est assez lourd : il faut légaliser des papiers en 1 000 exemplaires, courir dans chaque bureau qui traite un sujet à la fois. C’est une logique un peu bizarre. En France, on créé sa boîte en 15 minutes sur internet. Au Maroc, il faut compter trois semaines.»

Mais preuve que les obstacles sont désormais loin derrière, «La Fabrique» fête ce mois-ci sa troisième bougie. «On est en croissance constante de 30% depuis trois ans», tient à préciser avec fierté Farid El Attar. 

Soyez le premier à donner votre avis...
Convertisseur de devises
Montant :
De :
 :
Les articles populaires