Chaque année, les Marocains célèbrent l'Aïd Al Adha, la fête du sacrifice qui commémore la force de la foi d'Ibrahim, qui accepte de sacrifier, sur l'ordre de Dieu, son unique fils Ismaël. Ce dernier est remplacé au dernier moment par un mouton qui servira d'offrande sacrificielle. Depuis, les musulmans de la planète sacrifient chaque année un mouton âgé de six mois, une chèvre âgée de deux ans, un bovin âgé de deux ans et qui est entré dans la troisième année lunaire, ou un chameau qui a complété cinq ans.
Au Maroc, l’annonce du premier jour du mois de Dhou Al Hijja et donc de l’Aïd est faite par le ministère des Habous et des Affaires islamiques. La tradition veut que les Marocains sacrifient leur mouton après la prière de l’Aïd, mais surtout après le sacrifice du roi, commandeur des croyants. Toutefois, plusieurs Marocains âgés se souviennent des trois fois où feu le roi Hassan II avait appelé à faire fi du sacrifice. Les raisons évoquées par le souverain étaient tantôt relatives à la sécheresse ayant frappé le royaume, tantôt pour la préservation du cheptel.
1963 et l’impact de la guerre des Sables
En 1963, le tracé colonial des frontières entre le Maroc et l’Algérie poussera les deux pays à entamer une guerre féroce : «la Guerre des Sables». Le conflit armé se déclenche officiellement le 14 octobre 1963 lorsque les Forces armées royales (FAR) repoussent une attaque des forces algériennes et reprennent Hassi Beïda et Tinjoub. Ces dernières arriveront même jusqu’à Figuig tandis que les FAR s’installeront à quelques kilomètres de Tindouf. Ce n’est qu’en janvier 1969 que le Maroc et son voisin parviennent à la signature du Traité d'amitié de bon voisinage et de coopération d'Ifrane, puis de la «Convention relative au tracé de la frontière d'État établie entre le Royaume du Maroc et la République algérienne démocratique et populaire», en juin 1972.
Mais en 1963, alors que les deux pays sont affaiblis par une guerre qui ne semble pas avoir d'issue, l’arrivée de la plus grande fête des Musulmans poussera le jeune monarque à faire appel à ses prérogatives pour interdire aux Marocains de fêter l’Aïd Al Adha. Par une décision royale, les Marocains ont dû obtempérer sans trop se poser de questions. La conjoncture économique n’étant pas favorable et le troupeau n’étant pas suffisant pour l’ensemble des Marocains.
1981… La «malédiction El-Asnam» ?
En 1981, l’échec du «Plan triennal 1978-1980», orienté vers la réduction des importations et l’amélioration des équilibres fondamentaux internes et externes, et la situation du pays avec le Plan quinquennal 1981-1985, connu sous le nom de «Plan de relance économique et sociale», interviennent dans une conjoncture économique difficile. Le Maroc est en effet frappé par la sécheresse.
Une part importante du cheptel sera retrouvée mourra, notamment à cause des conditions climatiques. Le troupeau devant se reconstituer, le roi Hassan II fera appel à nouveau à ses prérogatives de commandeur des croyants pour appeler les Marocains à ne pas sacrifier un mouton. Une deuxième décision que certains auront du mal à appliquer à la lettre.
Feu le roi Hassan II effectuant le sacrifice. / Ph. DRFeu le roi Hassan II effectuant le sacrifice. / Ph. DR
Dans plusieurs contrées du royaume, des Marocains auraient en effet sacrifié leurs moutons en cachette, malgré les instructions royales. Le jour de l’Aïd a même été marqué par certains incidents. Dans la ville de Guelmima, au sud-est marocain, des citoyens avaient abattu des chiens avant de les exposer sur les portes d’un Ksar (palais) de la ville avec des tags. «Hassan, fêtez l’Aïd avec un mouton. Nous mangerons des chiens», auraient indiqué les villageois de la région de Guelmima.
L’incident ne passera pas inaperçu puisque, quatre ans plus tard, les forces de l’ordre arrêteront un certain Said El Harraf, imam d’une mosquée à Tadighoust (province d'Errachidia actuellement), et son fils. Deux personnes soupçonnées d’être responsables de l’incident. L’histoire raconte que les enquêteurs arracheront les dents du fils d’El Harraf pour mettre la pression sur le père afin de reconnaître le crime. Said El Harraf aurait par la suite été aspergé d’alcool et brûlé vif, d’après la version racontée par le fils devant l’Instance Équité et Réconciliation (IER).
Certaines histoires, dont celle racontée par Al Massae, font le lien entre l’annulation des festivités de l’Aïd en 1981 et les événements de 1980 en Algérie. Le 10 octobre 1980, en pleine prière du vendredi, la ville d'El-Asnam, à mi-distance entre Oran et Alger, tremble à 7,2 degrés sur l’échelle de Richter, faisant 2 633 morts et des milliers de blessés. Le journal raconte que le roi Hassan II avait appelé à «aider les frères algériens» par les «pelages des moutons». Chadli Benjedid, alors président algérien, avait alors considéré la déclaration comme une «insulte et provocation pour les Algériens».
La sécheresse de 1996
La derniére interdiction du sacrifice du mouton sous le règne d'Hassan II, est celle de 1996. En mars de cette année, les Marocains apprendront via un message royale, lu par Abdelkébir Alaoui Mdaghri, alors ministre des Habous et des Affaires islamiques, que l’Aïd Al Adha ne serait pas fêté au Maroc. Le jeune ministre expliquera que l’année agraire de 1995 a été déclarée comme catastrophique. «Aïd Al Adha, bien qu’il soit une Sounna Mouakkada (sounna renforcée, ndlr), ne peut pas être fêté dans ces conditions difficiles, sinon la fête causera des dégâts inévitables», a expliqué Abdelkébir Alaoui Mdaghri, avant d’appeler les Marocains à ne pas effectuer les sacrifices.
Les fêtes de l’Aïd Al Adha au Maroc sont marquées par plusieurs anecdotes et événements. Drôles ou tristes, ces histoires sont racontées aujourd’hui avec beaucoup d’ironie. Al Akhbar rappelle ainsi qu’en 1945, les Marocains auraient consommé de la viande de mouton sans pain. Durant cette époque, le Maroc était frappé par une famine ayant débuté en 1941 et a dû subir un régime de rationnement instauré par la France coloniale.