Quand juifs et chrétiens ont leurs «Dix commandements», ou «Dix paroles», l’Institut Montaigne, un think-tank français libéral qui analyse la cohésion sociale, l’action publique, la compétitivité et les finances publiques, suggère dix propositions pour organiser un «islam français», rapporte le Journal du dimanche.
«Le profil des musulmans de France est aujourd’hui trop mal connu». C’est le postulat d’emblée annoncé sur lequel s’appuie l’enquête* «pionnière» de l’organisme, «Un islam français», publiée dimanche 18 septembre. D’emblée également, l’étude tord le cou à un cliché sans commune mesure avec la réalité du terrain qu'elle dévoile, régulièrement asséné par une partie de la classe politique française et certains de ses acolytes parmi les «intellectuels» médiatiques : «il n’y a ni ‘communauté musulmane’, ni ‘communautarisme musulman’ unique et organisé». Voilà qui est dit.
Le rapport pointe en revanche la fragmentation et la diversité de la religion musulmane en France, soit autant d’«islams, nourris et diffusés par des institutions et des mouvements nationaux, des organisations transnationales ou des États étrangers». Une pléthore d’acteurs qui agitent ainsi selon l’institut les ficelles de l’espace musulman hexagonal, dont les «tensions qu’ils suscitent et les rivalités qu’ils nourrissent, contribuent à la complexité de la compréhension de l’islam en France».
L’Etat français a commencé dès la fin des années 1980 à mettre sa pierre à l’édifice pour tenter d’organiser l’islam de France, rappelle l’auteur du rapport, Hakim El Karoui, fondateur du Club du XXIe siècle, notamment, un réseau de réflexion français qui recrute en premier dans l'élite des enfants issus de l'immigration. La création du Conseil de réflexion sur l’Islam en France (1989-1993) sera la première d’une longue série. Suivra en 1993 l’Institut Ghazali pour la formation des cadres religieux au sein de la Grande mosquée de Paris ; la Coordination nationale des musulmans de France fondée en 1995 ; l’incontournable Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003 et, plus récemment, la Fondation pour les œuvres de l’islam de France, remise au goût du jour, avec comme probable futur président Jean-Pierre Chevènement.
Dix propositions-phares
Cette année, c’est donc l’Institut Montaigne qui s’y colle à travers dix propositions, convaincu qu’«un islam de France est possible» :
1. Étendre le concordat à l'islam en Alsace-Moselle afin de permettre le financement de la formation des imams par l'État. Coût supplémentaire : 5, 5 millions d'euros.
2. Perception, par la Fondation des œuvres de l'islam, d'une contribution sur la consommation halal. Gain espéré : 50 millions d'euros.
3. Création d'une École nationale d'aumônerie pour former et recruter des aumôniers fonctionnaires.
4. Création du test d'islam français pour les imams et les aumôniers (TIF).
5. Implication des collectivités pour favoriser l'émergence d'un islam local.
6. Enseignement de l'arabe classique à l'école publique pour réduire l'attractivité des cours d'arabe dans les mosquées.
7. Suivre la situation par des statistiques religieuses.
8. Rédiger un livre d'histoire équitable commun aux pays des deux rives de la Méditerranée.
9. Créer un secrétariat d'État à la laïcité et aux cultes actuellement rattachés au ministère de l'Intérieur.
10. Revoir la politique étrangère de la France pour endiguer l'influence des régimes wahhabites (le Qatar et l’Arabie saoudite, entre autres).
«Les musulmans sont anormalement normaux», a déclaré sur Europe 1 en réaction à cette enquête Raphaël Liogier, sociologue des religions à Aix-en-Provence. «Moi, ce sondage ne me surprend pas du tout. Les musulmans sont moins nombreux que ce que la plupart imagine, et c’est ce que j'affirme depuis longtemps. Ils sont aussi beaucoup moins pratiquants que ce que l’on imagine (un tiers n'est jamais allé à la mosquée, 29% seulement y vont chaque semaine, ndlr). Ils sont beaucoup plus libéraux qu'on ne le dit (une écrasante majorité des musulmans interrogés ne refusent pas la mixité, acceptant de se faire soigner par un médecin (92,5%) ou de serrer la main d'une personne (88%) du sexe opposé par exemple). Depuis un certain nombre d'années, on croise de façon confuse les problèmes et les angoisses identitaires des Européens, la peur de la mondialisation, du terrorisme, la peur en général», observe-t-il.
*Etude menée durant neuf mois auprès de 1 029 Français(es) «de religion ou d'ascendance musulmane».