Certains nostalgiques regrettent le bon vieux temps où la chaîne télévisée, ne fonctionnant que quelques heures par jour pour nous indiquer avec approximation le temps qu'il fera le lendemain, nous récitait avec précision le détail des activités royales, ou enfin nous informait sur les faits d'actualité avec parcimonie et orientation idéologique. Du fellah d’Inezgane, au commerçant de Derb Omar, du MRE de Belgique au professeur à Oujda, tous chantaient le même refrain : "l'3am zine" qu'on pourrait traduire par "Tout va bien madame la marquise" !
Tous ces Marocains, pas encore vraiment citoyens, n'étaient évidemment pas dupes mais se pliaient à la chape de plomb qui rendait l'expression publique monocorde et uniforme. Malgré les nombreuses années de sécheresse, de l'eau a coulé dans les oueds du royaume. Dans les années 90, les toits des immeubles ont vu fleurir des paraboles faisant voler en éclat le discours médiatique maroco-centrique. Les Marocains pouvaient ainsi s'informer différemment sur le Maroc avec un regard extérieur. Mais ils pouvaient également comparer la situation de leur pays avec le reste du monde.
Marche vers la liberté à pas forcés
Cette pluralité venue de l'étranger a entrainé un réajustement forcé des médias marocains, et notamment de la presse papier qui a vu naître de nouveaux titres mais surtout a adopté un ton plus frais. L'Etat marocain sentant le vent tourner, a affiché une volonté d'ouverture de l'expression audiovisuelle. Si l'ouverture des chaînes radio et télé était actée, seules les radios privées ont véritablement émergé. Le contraste aujourd'hui est saisissant : face à la torpeur de nos nombreuses chaînes télé publiques, les radios privées se sont imposées comme un média de proximité et d'expression de la vox populi.
Le Maroc continuera, dans cette première décennie des années 2000, à accuser un retard d'un train et essayera de s'accrocher au wagon. Face à la révolution numérique et l'explosion de l'expression citoyenne où chacun a la capacité de devenir un média, les autorités législatives et exécutives ont toujours du mal à avancer vers un cadre législatif structurant sans qu'il soit liberticide. Les vieux démons sont toujours présents. L'instinct sécuritaire reste un réflexe dans un pays qui pourtant a évolué vers plus de liberté d'expression sans mettre en danger les fondamentaux de l'Etat.
Cette phobie de l'expression de la pluralité de la société marocaine est un symptôme de l'hypocondrie sécuritaire héritée des années de plomb. Si le Maroc a passé sans trop de dégâts les révoltes arabes, c'est peut-être aussi parce que les canaux d'expression se sont multipliés en l'espace de 10 ans. Si les autorités du royaume ont plus subi qu'initié cette ouverture, on peut au moins leur accorder la clairvoyance de ne pas l'avoir empêchée.
La pluralité comme anticorps
La comparaison avec l'exemple tunisien est en soit éclairant. Le régime de Ben Ali n'avait laissé aucune soupape de liberté d'expression pour que la cocotte-minute n'explose pas. Pourtant les inégalités sociales, la pauvreté ou le sentiment d'injustice ne sont pas moins forts au Maroc qu'en Tunisie. Loin d'ouvrir la porte à un virus qui infectera les fondements des institutions, la pluralité de l'expression citoyenne produit les anticorps à même de renforcer la santé de cet Etat démocratique en devenir.
Le dilemme de l'oeuf ou la poule est ici résolu. On ne peut pas accuser les Marocains de ne pas être prêts pour la liberté d'expression en espérant qu'un miracle se produise à l'avenir avant de leur accorder cette ouverture. C'est dans la pratique de ce droit qu'on apprend à le respecter. Les radios privées nous ont montré que les avantages tirés de cette ouverture sont bien supérieurs aux dangers supposés. Les petites erreurs de jeunesse de quelques radios ont permis d'apprendre, d'ajuster le cadre législatif, tout en accompagnant les auditeurs à la pratique du débat citoyen.
Radios associatives, internet : mêmes enjeux !
Aujourd'hui, le même réflexe sécuritaire empêche l'émergence des radios associatives au Maroc. Un outil pourtant précieux pour la société civile qui n'a pas forcément accès aux grands médias et qui a un besoin cruel de s'adresser aux populations locales. Aider, informer, sensibiliser, faire participer les citoyens dans nos quartiers, dans nos douars, qu'on soit lettré ou analphabète, qu'on ait accès ou non à l'électricité, voilà un moyen de communication qui permet de combler une partie de la fracture numérique et médiatique.
J'accompagne depuis près de 3 ans l'association e-joussour et le Forum des alternatives Maroc (FMAS) dans une initiative pour une législation relative aux radios associatives. Des débats sur les attentes de nombreuses associations à El Jadida, Nador, Zagora, Laâyoune, Marrakech ou Rabat ont été organisés. Si certains responsables soutiennent le projet (HACA, ministère de la Communication, Omar Adkhil, Président de la commission "justice, législation et droits de l’homme" de la chambre des Conseillers) les freins sont encore trop nombreux. Alors qu'aucun pays arabe n'autorisait les radios associatives il y a peu, la Jordanie, la Tunisie et la Libye ont emboité le pas du Canada, de la France, ou du Mali.