Le culte tous azimuts de la compétition, de la performance voire de la puissance dont nos sociétés sont devenues familières n’y est bien sûr pas étranger. Les métaphores abusivement guerrières ont littéralement investi tous les secteurs de la vie économique, sociale culturelle et sportive brouillant au passage la distinction entre les statuts d’adversaire, de concurrent et d’ennemi. Trop souvent le feu des passions qui s’expriment consume la dimension éthique pourtant au fondement des pratiques sportives. C’est pourquoi, au foot plus qu’ailleurs, c’est avec précaution qu’il faut appréhender le «eux» et le «nous».
Dans les compétitions sportives internationales la ligne de partage est habituellement claire quand la distance géographique et culturelle entre les adversaires s’impose au regard. Les supporters des deux camps s’alignent (ou pas) plus facilement. Il en est tout autrement quand il y a une part de «nous» en «eux», et une part de «eux» en «nous» ! Non une ligne extérieure qui sépare deux adversaires, mais cette fois une ligne intérieure qui traverse chaque être. Nombre de supporters et beaucoup de joueurs issus de la diaspora des "Marocains du monde" sont dans cette situation. C’est précisément sous de telles auspices que le match Maroc-France s’annonce.
Nos concitoyens binationaux que le football passionne ou non sont en première ligne, sentiments mêlés et partagés entre ce qu’ils ressentent et ce qu’ils estiment pouvoir exprimer ou devoir taire.
A la question d’une journaliste qui dans les rues de Bruxelles lui demandait juste avant le match Maroc-Belgique, «pour quelle équipe êtes-vous ?», une petite fille de 7 ans, enveloppée dans un drapeau marocain a répondu : «Je veux que les deux gagnent». A la fois touchante et parlante, cette réaction fait écho à celle de Yassine Belattar qui lui clame haut et fort le droit de ne pas avoir à choisir. D’autres non sans tiraillements affichent un parti pris plus net au risque d’attiser ici et là de mauvaises passions. Enfin, d’autres encore préfèreront se réfugier dans le silence en attendant que l’évènement passe. Et on les comprend sans peine.
Accepter la complexité de l'individu
Au-delà des préférences individuelles qu’elles expriment, toute ces attitudes méritent d’être entendues car elles ont en commun de nous rappeler qu’il n’y a que les entrepreneurs identitaires qu’obsède le fait d'être une seule chose... Ce qu'aucun d'entre nous, binational ou pas, n'est jamais.
Salman Rushdie nous dit "Un homme n'a pas de racines; il a des pieds". Formulé ainsi, sans doute pour frapper les esprits, le propos oppose plus qu’il ne compose pour éclairer. Trop tranché, il manque de suggérer cette part subtile de négociations, de compositions, d’aménagements que traduit notre attachement autant aux lieux qu’aux liens qui, en dernier ressort, nous définissent.
Pour ma part, en marocain, je suis sur un nuage mais j’adore Mbappé, et continuerai de prendre un immense plaisir à le regarder. Mais mercredi, je ne veux le voir marquer aucun but ! walou. Il a déjà remporté la coupe du monde mais pas encore la Champions league. Il doit à présent se concentrer et se réserver pour cette compétition avec Hakimi. Car c’est en tandem, dans la même équipe que j’aime les voir dérouler comme des diables… C’est là ma manière de faire retomber la pression, tout en prenant la mesure de l’enjeu dont la portée, ne nous ne le dissimulons pas, déborde très largement le périmètre du stade et du domaine sportif.
Allez nos Lions qui ont déjà tant donné en créant l’Évènement de cette coupe du monde, et un clin d’œil à mes ami(e)s francais.