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Interview  

Djamil Le Shlag, humoriste de la satire sociale… mais dans la bienveillance [Interview]

Le 20 octobre au théâtre Meydene à Marrakech et le 22 à Casablanca au théâtre de la Fédération des œuvres laïques (FOL), les spectateurs ont rendez-vous avec l’humoriste franco-marocain Djamil Le Shlag. Invité de l’émission Faites entrer l’invité, spéciale Marocains du monde sur Radio 2M, en partenariat avec Yabiladi, l’artiste se produit pour la pemière fois au Maroc et dans la ville d’origine de sa famille.

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L'humoriste franco-marocain Djamil Le Shlag / DR.
Temps de lecture: 4'

Qu’est-ce que cela vous fait de vous produire pour la première fois au Maroc ?

Né en France, c’est un plaisir pour moi de venir jouer au Maroc, surtout à Marrakech qui est ma ville d’origine et celle de ma famille, de mes parents, de mes frères et sœurs qui eux sont nés ici. J’ai hâte d’être sur scène.

Vous êtes né en France, au centre de l’Auvergne, à Vichy. Au Maroc lorsqu’on imagine le parcours de nos binationaux, on imagine surtout leur jeunesse dans les grandes cités. Ce n’était pas vraiment le cas pour vous...

En effet, c’était plus la campagne pour moi. Je suis content d’avoir grandi dans un milieu moins urbain que les grands centres. J’ai été même dans une ambiance plus rurale qu’urbaine et eu une enfance très heureuse. J’ai grandi au sein d’une famille aimante.

Mais il y avait cela dit une certaine forme de diversité, avec une immigration marocaine, algérienne et portugaise très présente en Auvergne. Nous avions la chance d’être une vingtaine pas classe, avec une ambiance où les cours se passaient dans des conditions optimales, de bons enseignants…

C’était génial, comparé aux collèges où je me rends, de nos jours, dans les quartiers de la région parisienne. Les élèves sont plus de 30 par classe, avec de nombreux primo-arrivants qui ont encore des problèmes de langue, en plus des problèmes sociaux et du manque de moyens alloués à ces écoles… Les choses sont plus compliquées.

En parlant de primo-arrivants, vos frères et sœurs qui sont nés à Marrakech sont arrivés enfants ou adolescents à Vichy. Ils sont arrivés dans un milieu plutôt agréable, avec toutes les chances de réussite...

Mes frères et sœurs sont arrivés en France en 1978, dans un milieu où l’accueil était facile, par rapport à aujourd’hui en 2022 où lorsqu’on arrive de l’étranger vers la France, on sent que les tensions sont palpables. Dans le temps, l’accueil était différent, selon les récits de mes proches. Ils ne parlaient pas un français parfait, mais ils ont eu la possibilité de s’adapter au bout d’un an. Il y avait beaucoup de bienveillance des parents et des professeurs. Je ne dis pas que ceux d’aujourd’hui le sont moins, mais les conditions ne sont plus les mêmes.

Vous qui êtes né en France, vous avez suivi des études, tout comme vos frères et sœurs. Quel est votre parcours ?

Après mon baccalauréat, j’ai fait des études en histoire et en sociologie. J’ai fait ensuite un BTS. A la faculté, il fallait faire huit ans d’études et c’était un peu long. J’étais impatient de travailler, d’intégrer «la vraie vie»… Plus que la patience qui me manquait, je n’avais pas trouvé des études qui me plaisaient.

J’ai voulu donc entrer rapidement dans la vie active et j’ai fait plusieurs métiers. J’ai été commercial, j’ai fait des sondages pour l’Ifop, j’ai été professeur d’aquabiking – une excellente activité sportive que je conseille à tout le monde (rires). J’ai eu plusieurs casquettes, puis j’ai atterri par pur hasard dans le milieu humoristique.

Vous travailliez à ce moment-là en région parisienne. Comment vous êtes-vous lancé dans l’humour ? Était-ce une vocation depuis l'enfance ?

C’est le fruit du hasard total. Un jour, un ami m’a proposé une scène ouverte, comme une sorte de défi que j’ai relevé. Je n’ai jamais fait de théâtre avant. J’ai été plutôt passionné de cinéma, j’ai regardé beaucoup de films sur des cassettes VHS ramenées par mes frères, mais sans réellement me projeter dans ce monde là. Puis un jour, j’ai fait cette scène ouverte où mon passage s’est très bien passé, en 2012, dans un des premiers comedy-clubs de Paris.

Vous arrivez alors un peu la fleur au fusil, vous vous lancez dans un spectacle humoristique, et miracle la sauce prend. Vous avez été surpris par l'accueil ?

C’était un peu naturel pour moi, étant originaire de Marrakech, ville connue pour l’humour de sa population. Comme tous les Marocains d’ailleurs, nous avons une facilité à raconter des histoires marrantes. Mes vacances d’enfant dans cette ville m’ont beaucoup marqué aussi, Jamaâ El Fna, où mon père a déjà fait des spectacles de rue, avant la migration en France, où il a été maçon. Pour lui, c’était une activité de survie, donc lorsqu’il a su que je serais humoriste, il s’est demandé quand est-ce que j’aurais un vrai travail (rires).

En ayant fait ma première scène, j’ai cependant été surpris, car je pensais que ce serait plus dur. Finalement, je me suis réinscrit en pensant que ce serait facile, maintenant que j’avais trouvé ma voie. Pour autant, mon deuxième passage a été un fiasco, de même que le troisième, surtout que j’y suis allé sans préparation, sans travailler mon texte. Par la suite, j’ai plus travaillé mes sketches au théâtre, avec un ami. C’est là où je me suis exercé à la virgule, en apprenant en autodidacte, en essayant, en échouant beaucoup, mais en réussissant aussi.

Trouvez-vous que ça reste un milieu difficile à perçer, avec l’émergence d’une nouvelle génération d’humoriste ?

J’ai commencé à l’âge de trente ans. En effet, je n’ai pas les mêmes attentes que les nouvelles générations qui ont commencé à vingt ans en rêvant un peu plus. Mais au fil des rencontres, notamment avec Yassine Belattar, on m’a proposé des chroniques dans le cadre d’une émission, «Les trente glorieuses», sur Radio Nova, où mon style a commencé à prendre un peu plus. Les auditeurs ont commencé à découvrir et à se familiariser à mon ton. C'est grâce à ce média où j’ai bénéficié d’une grande liberté.

Vous avez, par ailleurs, des sketches à caractère revendicateur, comme par exemple le racisme ou l'islam en France. C’est pour vous une manière de décrisper le débat sur certaines questions ?

Cela commence par quelque chose de très personnel, pour me décrisper moi-même. Ça me fait du bien d’en parler et qu’on puisse en discuter tous ensemble, d’une manière cool et détendue. Lorsqu’on aborde ce genre de sujets à la télévision, cela se fait souvent par le prisme du conflit systématique, dans le positionnement qu’on serait un «clan» contre un autre. J’essaye de faire en sorte qu’on arrive à se parler, à interagir et à en rire. C’est le remède, à mon sens, de ne pas être moralisateur et de savoir rire des questions sociétales, dans la bienveillance, le second degré et sans se juger les uns les autres.

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