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Interview  

Marathon des sables au Maroc : Le graal des traileurs du monde [Interview]

250 kilomètres dans le désert marocain, 7 jours de course en totale autonomie pour environ 1 000 coureurs chaque année. Le Marathon des Sables et LA course mythique qui a placé le royaume du Maroc au centre de la carte mondial des ultra-trails. Derrière cette aventure née en 1986, des centaines de bénévoles et le fondateur, Patrick Bauer. INTERVIEW.

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Quel est votre bilan de cette édition Marathon des sables (MDS) 2021 un peu particulière avec le Covid-19 ?

La vérité, c’est que c’était très difficile parce qu’on a vécu 18 mois de cette période de Covid-19 compliqués avec des reports successifs, avec à chaque fois l’espoir de pouvoir le faire et finalement de reporter encore à nouveau. Après trois reports, nous avons choisi le mois d’octobre pour faire ce 35e anniversaire dans la province d’Errachidia mais avec des températures excessives par rapport au reste de l’année. Il y a eu presque 10 degrés d’écart, c’était vraiment une mauvaise surprise. Nous ne nous attendions pas à des chaleurs aussi excessives, même si nous avons connu des marathons avec des températures équivalentes. Il y a des calculs à faire entre l’hydrométrie et la chaleur et parfois, il vaut mieux avoir une température plus élevée avec un certain taux d’hygrométrie qu’une température plus faible, mais un autre taux, parce que l’organisme physiologiquement n’agit pas du tout de la même manière.

Il y a eu le départ difficile puisque c’était un accouchement dans la douleur, enfin le bébé est né quand même, c’est la bonne nouvelle. Nous n'étions pas loin de 700 participants sur les deux départs et une quarantaine de pays. Les autorisations au dernier moment ont créé beaucoup de stress, mais enfin nous sommes arrivé sur le bivouac avec un super accueil de la Province d’Errachidia. C’est la première fois que nous posions nos avions dans le nouvel aéroport et nous avons vraiment eu un superbe accueil, monsieur le wali est venu en personne. Vraiment, nous avons eu un très grand soutien de la part des autorités civiles et militaires de la région.

Nous avons eu aussi une hécatombe avec une épidémie de gastro. Ça a été très dur puisque nous avons dénombré 48% d’abandon à cause de déshydratation, de coups de chaleurs, des gens malades, des entrainements qui n’ont pas été toujours au top avec les reports successifs. Tout cela a fait que le contexte était hyper dur, les taux d’abandons augmentaient tous les jours avec les gens malades. Les médecins ont fait un travail de dingue.

Et aussi on a eu un arrêt cardiaque sur la deuxième étape, ça a été un drame. Gros choc émotionnel, psychologique, physique pour tout le monde. Tout cela était très dur, devoir partager ces nouvelles, appeler la famille, réunir tout le bivouac pour annoncer ce drame. Donc ça fait partie de la vie aussi et il faut l’accepter quand ça nous arrive. Heureusement ce n’était que la troisième fois en 35 ans. Nous avons eu des cas d’arrêts cardiaques et de réanimations sans séquelles, parce que les médecins sont hyper performants et très réactifs, mais parfois on ne peut rien y faire, c’est comme ça.

Ça a été très dur mais les 350 qui sont allés à la recherche de la victoire sont des warriors. Et pour le Maroc, double victoire avec Aziza Raji et Rachid El Morabity et son frère, un beau doublé. Pour Aziza, belle victoire parce que c’était son rêve après trois participations.

Malgré le nombre croissant de coureurs au Marathon des sables, il règne toujours une ambiance familiale. Vous tenez à accueillir et à embrasser chaque participant...

Moi, je suis très bisous. Déjà mes coureurs, je suis leurs protecteurs et ils me font confiance. Je les accueille à l’aéroport avec mon équipe. Là, c’était plus compliqué avec les masques mais tous ceux qui me connaissent depuis longtemps, j’ai été content de pouvoir les serrer dans les bras ou de faire des selfies. Je crois qu’ils ont mis plus de temps à sortir de mon passage d’accueil que la douane ! (Rire) Ils ont été hyper rapides à Errachidia, la police et la douane, pour nous aider à évacuer tout le monde rapidement.

Ensuite, il y eu la remise des médailles, d’habitude je la remets mais cette fois, il y a eu la distanciation. On s’est engagé à mettre en place un protocole sanitaire avec le ministère de l’Intérieur et on s’est engagé à le respecter, on se devait de le faire. Le concurrent prenait la médaille, on se prenait la main et on prenait la photo ensemble. C’était quand même chaleureux, mais ce n'était pas les embrassades de d’habitude. Ça, c'est vrai que ça fait partie du marathon depuis toujours, c’est ce côté un peu grande famille. Nous sommes dans la bienveillance et la solidarité, ces bonnes valeurs de soutien, de partage, d’écoute, je crois que c’est ce qui fait aussi la marque de fabrique du MDS.

Vous avez d'ailleurs célébré l’ouverture d’un centre pour les enfants à Ouarzazate. C’est une manière d’être acteur du changement local ?

Le sport est hyper formateur, ce centre, nous l’avions déjà avant. Nous louions une maison et là, nous avons acheté un terrain pour construire. Nous avons construit un centre beaucoup plus adapté, nous accueillons entre 235 et 250 enfants cette année qui viennent pratiquer l’athlétisme. Les 3 à 5 ans, c’est plutôt l’éveil corporel et les 5 à 11, c’est pour réveiller les talents et voir dans quelle discipline ils sont les meilleurs.

Nous avons aussi des cours d’alphabétisation pour les mamans, dont 36 ont été diplômées reconnues par l’Etat au Maroc, c’était une super nouvelle. Et puis des cours pour l’informatique, grâce à Dell qui nous a épaulés avec des ordinateurs. Et une coopérative que nous avons mis en place pour fabriquer des bijoux, des tapis, des machines à coudre, à tisser.

C’est tout ce centre qui fonctionne et qui donne beaucoup de bonheur, parce qu’il n’y a pas de bonheur sans partage. Que le MDS laisse une trace dans la région, c’est super. Nos petits chouchous maintenant vont courir sur une piste en tartan qu’on vient de terminer. Nous avons créé aussi le département de football, avec un mini terrain de foot au milieu de la piste que nous allons inaugurer en avril. Le centre avait déjà été inauguré il y a deux ans, c’est vraiment un grand bonheur et comme nous participons à des compétitions dans la région, les enfants pourront s’entrainer sur une vraie piste et pas sur des cailloux. Nous allons dans le développement, nous essayons de nous tirer vers le haut et de faire quelque chose qui nous tient à cœur.

Pour l’édition 2022, vous reprenez le calendrier classique du MDS vers début avril ?

Du 25 mars au 15 avril. D’habitude, nous sommes plus sur le début avril, mais en raison du ramadan, nous avons avancé un petit peu sur mars. Je crois d'ailleurs que le ramadan va commencer 24h après le début de l’épreuve, donc c’est mieux pour que tout le monde puisse travailler dans des conditions normales. Vu la chaleur, il faut manger, s’hydrater, se donner de l’énergie, même aux équipes. Nous essayons de donner cette espèce de conscience aux équipes parce que quand nous nous levons à 5h du matin, nous ne nous couchons pas à 1h du matin. Nous essayons de préserver notre organisme et nous aussi, nous devons être vaillants sur le terrain. Si la nuit il y a quelque chose, nous devons nous relever pour remonter les tentes, donc l’équipe doit être toujours opérationnelle.

Vous espérez combien de participants pour le MDS 2022 ?

Nous serons sans doute entre 1 100 et 1 200 participants au départ, pour cette 36e édition. Je suis super content, en 2021 nous n’étions que 700 alors que d’habitude, c’est plutôt un millier de coureurs. Nous, c’est la seule manière que nous ayons, avec les sponsors qui nous font confiance, de pouvoir remonter la pente. Nous avons économisé pendant une douzaine d’années comme des bons pères de familles, comme dit ma comptable. Hamdoullah nous avons eu cette chance, nous sommes vivants grâce à ça. Nous avons pu continuer de travailler aussi grâce à des aides que nous avons eu en France et puis arriver là à retrouver une sérénité, je l’espère avec cette 36e édition. Nous espérons aussi qu’il n’y ait pas encore un nouveau variant qui vienne nous embêter et faire que les concurrents doivent encore reporter jusqu’en 2023 ou 2024. Nous allons nous en sortir, je l’espère de tout mon cœur en tout cas.

Pour finir, quels sont les moments forts que vous retenez du MDS 2021 ?

J’ai beaucoup de complicité avec les coureurs, hommes et femmes. Les femmes apprécient que je n’oublie pas qu’elles abandonnent moins que les hommes. Elles sont fortes, elles viennent me voir. Une femme est venue me voir plusieurs fois pour me dire que son mari ne la croyait pas capable d’aller au bout. Je lui ai dit qu’il n’était pas cool de dire cela et à chaque étape, je lui disais : «continue, tu vas passer l’arrivée et je vais te remettre ta médaille !». J’ai eu plein de moments de complicité avec les coureurs, comme Chiristian Ginter que j’ai vu faire sa 33e édition avec une fracture de fatigue. Il revient d’ailleurs pour sa 34e édition !

Il y a aussi les gens qui s’épanchent sur leur vie, parce que l’épaule du directeur de course, c’est cela aussi. Je crois que c’est là que la complicité et la bienveillance jouent leur rôle. C’est comme les médecins qui ne sont pas là que pour savoir bien soigner : des fois un petit sourire, une tape dans le dos ou un petit mot de réconfort, c’est ce que nous attendons quand nous sommes dans la douleur, la souffrance. Donc ça, c’est aussi mon rôle dans la course. Je suis à tous les check point 1, du début au dernier, parce que je veux être sûr de voir tout le monde pour voir dans quel état ils sont. Je passe beaucoup de temps avec les coureurs à discuter et ça c’est super, parce que c’est là l’échange, la complicité, la vraie relation qui se nourrit. C’est cela aussi que nous gardons de la course, c’est l’humain.

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