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Grand Angle

Obligation du pass vaccinal au Maroc : Un casse-tête pour les employeurs

Si les administrations publiques ont déjà tranché, en l’exigeant aussi bien pour les fonctionnaires que pour les usagers des services publics, le pass vaccinal risque de poser problème au sein du secteur privé, où l’employeur aura son mot à dire. Décryptage avec trois avocats spécialistes. 

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Photo d'illustration. / DR
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A partir d’aujourd’hui, le pass vaccinal devient obligatoire au Maroc pour accéder à plusieurs espaces publics et privés. La décision, prise lundi par le nouveau gouvernement, plonge plusieurs entreprises marocaines dans la confusion puisqu’elle laisse à l’employeur la responsabilité de contrôler l’accès au lieu de travail.

«Pour le secteur privé, la donne change par rapport au secteur public, puisqu’un chef d’entreprise devient le seul maître à bord pour décider si le pass vaccinal est obligatoire ou pas», nous déclare ce jeudi Maître Youssef Fassi-Fihri, avocat au barreau de Casablanca, spécialisé en droit des affaires. «Nous sommes amenés, dans les semaines voire les mois à venir, à ce que cela devienne important voire obligatoire de le présenter. Cela risquerait effectivement de poser problème entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le sont pas», analyse-t-il.

Les salariés appelés à respecter les décisions de leur employeurs

Pour l’avocat, «la liberté est aujourd’hui donnée, car il n’y a pas un texte de loi qui oblige un citoyen de se faire vacciner». «Si nous n’avons pas de texte de loi avec l’obligation de vaccination, il ne peut pas y avoir une obligation dans le secteur privé, de présenter un pass vaccinal pour pouvoir accéder à son lieu de travail», considère-t-il. Néanmoins, «un chef d’entreprise pourra, de toutes les façons, mettre en place le pass vaccinal obligatoire, ce que tous les salariés devront respecter».

«Ceux qui n’ont pas de pass vaccinal ne pourront pas accéder à l’entreprise. Ou bien ils seront invités à continuer à exercer leurs taches à distance, c’est-à-dire dans le cadre du télétravail, quand cela est permis. Le cas échant, ils seront en porte à faux par rapport au non-respect des instructions données par l’employeur, qui pourront être constitutives d’une faute grave.»

Me Youssef Fassi-Fihri

L’avocat précise toutefois que ce cas de figure reste «sous l’égide d’une éventuelle prise de décision qui sera donnée par la justice si elle est amenée à trancher sur un litige dans ce cas-là». «Seule la justice pourra apprécier à sa juste valeur cette faute et si elle pourra en être considérée ainsi, car aujourd’hui, il est encore prématuré de parler des conséquences de la non-présentation du pass vaccinal», explique-t-il.

Pour sa part, Maître Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Tétouan, considère que la question se pose d’abord sur «la mise en place de règles aussi contraignante par un communiqué». «L’annonce de l’obligation du pass vaccinal indique que l’accès à l’entreprise doit se faire sous la responsabilité de l’employeur. Ce dernier a donc l’obligation de vérifier si les personnes accédant à l’entreprise ont le pass vaccinal», estime-t-il. Ainsi, en pratique, «si les gens n’en ont pas, c’est qu’ils ne peuvent pas aller travailler», ce qui pourra être «une cause de suspension du contrat de travail».

«Le contrat est suspendu tant que l’employé n’est pas vacciné ou n’est pas en mesure de présenter un pass vaccinal pour accéder à son poste de travail. La suspension n’est pas dans ce cas rémunérée, à la différence des arrêts maladies rémunérés et pris en charge par la CNSS. On peut se mettre d’accord pour que le salarié non vacciné prenne des congés. Après, pour ceux qui refusent de se faire vacciner et quand il n’y aura plus de congés, la suspension sera non payée.»

Me Mohamed Oulkhouir

Un licenciement pour non-présentation du pass vaccinal ?

L’avocat au barreau de Tétouan ajoute aussi un autre cas de figure. «Si le salarié refuse de se faire vacciner et cause une désorganisation au sein de l’entreprise, celle-ci peut mettre fin à son contrat», explique-t-il. «Nous pouvons imaginer que cela puisse constituer, à terme, un motif de licenciement, car il y a une obligation à la charge des entreprises et qui doivent s’y conformer.»

Dans ce cas, les entreprises «peuvent s’appuyer sur l’article 24 du code de travail, qui énonce que l'employeur est tenu de prendre toutes les dispositions afin de préserver la sécurité, la santé et la dignité des salariés, dans l'accomplissement des tâches qu'ils exécutent sous sa direction», enchaîne-t-il.

«Le fait d’instaurer une obligation générale pour tout type d’entreprises nous laisse devant plusieurs cas de figure. Mais pour un employeur, c’est toujours plus facile de se réfugier derrière le communiqué du gouvernement plutôt que d’attendre. Les salariés, eux, peuvent contester sa décision et c’est au juge de décider s’ils reviennent au travail ou pas.»

Me Mohamed Oulkhouir

De son côté, Maître Abderrahmane Mrini, avocat du barreau de Kénitra, pense que «ce n’est pas encore clair si l’obligation du pass vaccinal pourra conduire à un licenciement». «Le droit de travail n’évoque pas ce cas spécifique. L’employeur pourra évoquer une absence non justifiée et l’employé pourra justifier par l’absence d’un délai pour se conformer aux nouvelles directives», ajoute-t-il.

S’il évoque aussi la possibilité de «prévoir un arrêt du contrat de travail en attendant que l’employé reçoive ses doses du vaccin anti-Covid19, comme c’est le cas pour les arrêts maladies», l’avocat estime qu’il faut «un jugement qui fera jurisprudence dans ce cas». «Le licenciement nécessite une faute grave et seul le tribunal peut qualifier la non présentation d’un pass vaccinal comme ainsi», conclut-il.

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