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Grand Angle

Le Maroc investit toujours plus pour les Provinces du Sud

L’investissement public dans les Provinces du Sud est considérable. Ramené au nombre d’habitants, il égale presque, en 2017, celui accordé à la région de Rabat-Salé-Kénitra ou à celle de Tanger-Tétouan. Cette inégalité de traitement se poursuit d’année en année.

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Degré d'accès au droits fondamentaux (MEF 2015), Taux de pauvreté mulitdimentionnelle (HCP 2014), Indice de développement local (ONDH 2017)
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La Fondation Mohammed VI poursuivra jusqu’à la fin du ramadan sa caravane médicale dans les Provinces du Sud. La Fondation organise chaque année une caravane médicale pendant le ramadan dans l’une ou l’autre des régions isolées du Maroc. Pourquoi a-t-elle ciblée, cette année, les Provinces du Sud ? Le taux de pauvreté monétaire à Dakhla Oued Dehhab et Lâayoune Sakia EL Hamra est le plus faible de tout le pays. Le HCP a calculé qu’il s’élevait respectivement 0,4% et 1,7%. Seule la région de Guelmim-Oued Noun présente un taux de pauvreté 5,7% mais elle est justement la seule Province du Sud à ne plus englober qu’une infime partie du Sahara Occidental : une partie de la Province d’Assa Zag, depuis que la carte des régions a été redessinée en 2015.

C’est un fait l’investissement public par habitant dans les provinces sahariennes est considérable et même nettement supérieur à l’effort de l’Etat dans les autres régions du pays. «L’État joue dans les provinces du Sud le rôle de rempart contre la pauvreté, reconnaissait le Conseil Economique Social et Environnemental dans son rapport "Nouveau modèle de Développement pour les Provinces du Sud", rendu public en octobre 2013. Selon les estimations communiquées par l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du Sud du Royaume au CESE, la contribution annuelle de l’État à la lutte contre la pauvreté, sous forme d’aides directes et indirectes, serait de l’ordre de 4,6 milliards de Dh

Effort financier supplémentaire d'ici 2021

Cette tendance ne devrait pas changer puisque le roi Mohamed VI a lancé, il y a trois ans, le nouveau «Programme de Développement des Provinces du Sud» sur la période 2015-2021 financé pour plus de 30 milliards de dirhams par l’Etat. Il y a deux semaines, le chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, a annoncé qu’il avait déjà été réalisé à 48%. Ainsi en 2017, l’Etat et les Etablissements publics ont investi, selon nos calculs (voir encadré plus bas), plus de 7000 dirhams par habitant de la région de Lâayoune-Sakia El Hamra et de Dakhla Oued Dehhab, soit à peine moins que les 8000 dirhams consacrés pour les régions de Rabat-Salé-Kénitra et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. L’investissement de l’Etat par habitant dans la région très peuplé de Lâayoune-Sakia El Hamra est donc quatre à cinq dois supérieur à ce que l’Etat accorde, à peine plus au nord, dans la région de Souss Massa où l’investissement public atteint à peine plus de 1000 dirhams par habitant en 2017.

Un écart d’investissement considérable que Karine Bennafla, maître de conférence en géographie et membre de l’Institut Universitaire de France, avait elle-même constaté sur le terrain, comme elle le raconte dans son article «Illusion cartographique au Nord, barrière de sable à l’Est : les frontières mouvantes du Sahara occidental», dans Espace Politique paru en 2013. « La ligne du parallèle 27°40’ est invisible sur le terrain […] Seule la densité accrue des barrages militaires le long de la route, notamment à l’entrée et à la sortie des villes, indique au voyageur venant du Nord du Maroc un espace "autre" du fait d’une présence militaire remarquable et de la qualité accrue des infrastructures (largeur des axes routiers, éclairage public urbain etc.) », écrit-elle. Toutes les statistiques confirment son constat. Selon les données recueillies en 2013 par le CESE, le taux d’alphabétisation, le taux de réussite au baccalauréat ou même le taux de raccordement à l’électricité, à l’eau et à l’assainissement dépassent tous la moyenne nationale.

Motivations de cet effort national

Si la régionalisation avancée a pour but, entre autres, de réduire les inégalités territoriales, les Provinces du Sud ne semblent toujours pas concernées. «Au Maroc, la corruption n’est pas seulement un comportement individuel, mais doit plutôt d’abord être comprise comme un mécanisme de conservation/reproduction du pouvoir. Il s’agit d’utiliser l’argent public pour conserver la légitimité, privilégier certains, créer des notabilités fidèles pour garder le pouvoir. C’est la logique qui gouverne aux investissements publics dans le sud par exemple, où le ratio des dépenses publiques par habitant est excessivement élevé par rapport au reste du pays. Il s’agit, depuis le début du conflit, pour la Monarchie de s’attacher la fidélité de la population qui pourrait être tentée par l’indépendantisme», analysait Abdelaziz Messaoudi, expert en finances publiques et membre de Transparency Maroc.

Depuis la remise en cause en 2016 par le Front du Polisario de la validité des accords agricole et de pêche entre le Maroc et l’Union européenne devant la Cour européenne de Justice, un nouvel enjeu recouvre aujourd’hui la question de l’investissement public dans cette région. En décidant finalement en appel de ne pas annuler l’accord agricole, la Cour européenne de Justice avait en effet donné, en décembre 2016, une réponse à la question de fond : le Conseil européen a bien le droit de signer un accord qui s’applique à un territoire disputé mais à condition de s’assurer lui-même qu’il «n’existe pas d’indices d’une exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental sous contrôle marocain susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux.»

Dès lors, dans le cadre de la renégociation en cours de l’accord agricole, le Maroc risque de devoir faire preuve du soutien qu’il offre à ses Provinces du Sud s’il veut inclure le Sahara Occidental dans les deux accords. Les deux arrêts de la Cour en décembre 2016 et en avril 2018 avaient en effet conclu que ces derniers ne s’appliquaient pas, de droit, au Sahara Occidental.

Calcul statistique

Pour parvenir à ces chiffres ramenant l’investissement public au nombre d’habitants par région, nous avons d’abord fait la somme de tous les investissements par secteur et par région indiqué dans la « Note de répartition régionale de l’Investissement » inscrits au budget général de l’Etat de la Loi de Finance 2017. Nous leur avons ajouté tous les Grands projets d’investissement des Etablissements et Entreprises Publics par région qui sont indiqués dans cette même note.  Nous avons ensuite ramené ce chiffre à la population des régions - selon le dernier découpage territorial - donnée par le HCP à l’issu du Recensement général de la population effectué en 2014. Ce chiffre est approximatif car il n’inclut pas l’absolue totalité des investissements publics de l’Etat ou des Entreprises publiques car les données de la Note publiée par le ministère de l’Economie et des Finances ne sont pas exhaustives. Ce calcul offre néanmoins un éclairage intéressant pour approcher l’effort d’investissement de l’Etat pour chaque habitant en fonction de la région où il habite.

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