Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Les lectures édifiantes de George W. Bush, par Daniel Vernet
h
26 janvier 2005 15:21
INTERNATIONAL
Les lectures édifiantes de George W. Bush, par Daniel Vernet
LE MONDE | 25.01.05 | 14h39
Les sources sont concordantes : George W. Bush lit des livres. Et pas seulement la Bible. Il ne déteste pas être conseillé dans ses lectures. Avant la guerre en Irak, il avait suivi l'invitation publique de William Kristol, l'éditeur du magazine néoconservateur Weekly Standard, à lire Supreme Command, Soldiers, Statesman and Leadership, d'Elliott Cohen. Dans cet ouvrage d'histoire militaire, l'auteur, en se référant notamment à Churchill, explique que les hommes politiques sont grands en temps de guerre quand ils ne suivent pas les conseils de leurs généraux. Peut-être George W. Bush s'en est-il souvenu au moment où il a envoyé à la retraite anticipée les généraux américains qui le mettaient en garde contre les difficultés de l'après-guerre en Irak.

Dans le Financial Times, Dominique Moïsi nous apprend qu'avant les élections du 2 novembre 2004 le président-candidat était plongé dans un autre livre d'histoire : Surprise, Security and the American Experience, d'un expert de la guerre froide, John Lewis Gaddis. L'idée de la "surprise stratégique", étudiée jadis à propos de l'attaque japonaise de Pearl Harbor, est revenue à la mode aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.

L'INFLUENCE DE NATHAN CHTCHARANSKI

Mais la lecture qui a récemment le plus impressionné George W. Bush a été le livre de Nathan Chtcharanski, The Case for Democracy, The Power of Freedom to Overcome Tyranny and Terror ("Plaidoyer pour la démocratie. Le pouvoir de la liberté pour venir à bout de la tyrannie et de la terreur"winking smiley. Alors qu'il venait de terminer un entretien avec le rédacteur en chef du quotidien conservateur Washington Times, le président a retenu son interlocuteur par la manche : "Si vous voulez avoir une idée de ce que je pense en politique étrangère, lui a-t-il dit, lisez le livre de Chtcharanski. Il est court et il est bien. Le gars est une figure héroïque, comme vous le savez. C'est un grand livre."

Nathan Chtcharanski, en effet, est - ou a été - une figure héroïque. En 1973, les autorités soviétiques lui refusent un visa pour Israël. Mathématicien de renom - il se prénomme alors Anatoli -, il perd son travail, milite pour les droits de l'homme en URSS au côté d'Andreï Sakharov, et pour les droits des juifs soviétiques à émigrer. En 1978, il est condamné pour "espionnage" à trois ans de prison et dix ans de camp. En 1986, il peut enfin s'installer en Israël, après avoir été échangé sur le pont de Glienicke, qui relie Berlin-Est à Berlin-Ouest, contre des agents soviétiques détenus en Occident.

Dix ans après son arrivée en Israël, Nathan Chtcharanski a fondé un petit parti "russe", appelé BeAlya, qu'il a récemment intégré dans le Likoud. Il est ministre de la diaspora dans le gouvernement d'Ariel Sharon, ce qui ne l'a pas empêché de voter contre le retrait de Gaza. Il considère cette décision unilatérale comme une "manifestation d'impuissance", parce qu'en dix ans "nous n'avons pas été capables de trouver des interlocuteurs avec qui négocier".

Depuis plusieurs années déjà, Chtcharanski, à cause de son passé de dissident soviétique, est un invité privilégié des néoconservateurs américains. Il a eu une grande influence sur la formulation de leur attitude vis-à-vis du conflit au Proche-Orient. Elle peut se résumer en deux propositions : politique de force contre le terrorisme et démocratisation de l'Autorité palestinienne (à défaut de celle du monde arabe).

Mais, depuis que George W. Bush l'a reçu à la Maison Blanche et qu'il a lu son livre, l'influence de Chtcharanski s'est élargie. L'ancien dissident incarne la conviction partagée par les néoconservateurs que la manière dont l'Europe de l'Est a été libérée du communisme est un modèle pour le Moyen-Orient. Comme ses amis néoconservateurs américains, il critique les "réalistes", qui placent la stabilité internationale au-dessus de tout autre objectif, et les "libéraux", qui placent sur le même plan les démocraties, même imparfaites, luttant pour les droits de l'homme et les Etats autoritaires qui les bafouent.

LE CONCEPT DE TYRANNIE

Ces néoconservateurs, dont les plus âgés ont mené campagne contre la politique de détente entre Washington et Moscou au temps de la guerre froide, ont réussi à imposer au 43e président des Etats-Unis leur vocabulaire, sinon leur politique.

Ils ont remis au goût du jour l'expression de "tyrannie", qui avait disparu du vocabulaire politique. George W. Bush l'a employée plusieurs fois dans son discours d'inauguration, comme Condoleezza Rice pendant son audition par le Sénat, pour annoncer que les régimes tyranniques seraient la cible de la politique des Etats-Unis, non seulement au cours des prochaines années mais des prochaines générations.

Le concept de tyrannie a été réintroduit dans la philosophie politique par Leo Strauss, dont se réclament parfois les néoconservateurs. Dans De la tyrannie, digression sur le Dialogue de Xénophon, publiée pour la première fois en anglais en 1948, le philosophe de Chicago, d'origine allemande, soutient que l'analyse de la tyrannie est indispensable à la compréhension de notre siècle.

Après le discours prononcé par George W. Bush le 20 janvier, ses collaborateurs ont suivi - peut-être sans le savoir - un autre conseil de Leo Strauss : ne pas transposer directement la philosophie classique dans la politique contemporaine. Ils ont expliqué qu'il ne fallait pas prendre au pied de la lettre tout ce que le président avait dit contre la tyrannie, pour la liberté, dans son discours inaugural. Et qu'il ne fallait pas confondre la théorie et la politique. George W. Bush devrait se méfier : c'est un risque quand on lit trop de livres.

Daniel Vernet

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.01.05
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook