Immigrés, une nouvelle histoire de France Les différentes vagues de migrants font l'objet de colloques, de livres, et bientôt d'un musée. Une reconnaissance tardive.
Par Charlotte ROTMAN vendredi 10 décembre 2004
n Français sur trois a un ancêtre d'origine étrangère. Toutefois, cette réalité a longtemps été occultée par l'idéologie républicaine de l'intégration à la française. La France semblait plus multiculturelle sur les affiches Benetton que dans la tête du Président. Le 14 juillet, Jacques Chirac a laissé échapper : «Nos compatriotes juifs, musulmans, ou d'autres même, tout simplement parfois des Français.» Un lapsus plus qu'une gaffe. Comme si l'appartenance à une communauté religieuse n'était pas compatible avec la citoyenneté française.
Et si ces représentations étaient en train de changer ? Un signe, parmi d'autres : hier s'est ouvert un colloque très prestigieux, à la Bibliothèque nationale de France sur «Musée et histoire de l'immigration, un enjeu pour toutes les nations». Des historiens et des responsables de musées viennent raconter comment l'immigration fait partie des histoires nationales : au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Québec... et en France.
Reconnaissance. La directrice des programmes d'Ellis Island, à New York, expliquera par exemple comment le musée a été ouvert en 1990 dans les bâtiments du centre de transit par lesquels sont passés, de 1892 à 1954, près de 12 millions d'immigrants. La France n'a pas connu de lieu comparable, mais elle va se doter à son tour d'un musée de l'immigration. Une reconnaissance symbolique de cette histoire qui fait bien partie du roman national. Il s'appellera Cité nationale de l'histoire de l'immigration et ouvrira ses portes au printemps 2007 au palais de la Porte Dorée, à Paris. Sur 1 500 mètres carrés, les grandes étapes seront retracées. La première exposition présentera «les étrangers à Paris : histoire de quartiers». On pourra aussi retrouver les origines de sa famille, par le biais de fiches numérisées.
Ce lieu se veut également un «instrument de pédagogie pour changer les représentations sur l'immigration et contribuer à la cohésion sociale». Vaste chantier. Jacques Toubon, mandaté pour la mise en place du musée, ne s'en écarte pas : «Il s'agit de montrer comment la nation a été construite depuis deux siècles grâce à l'apport considérable des populations immigrées.» Lors du lancement officiel du site, le 8 juillet, Jean-Pierre Raffarin a lui-même enfoncé le clou : «Nous n'avons plus le droit de réduire l'immigration à un apport de force de travail ou, pire encore, à une source de problèmes sociaux. Non, nous ne devons plus fermer les yeux sur cette dimension essentielle de l'histoire de notre peuple.» Il a dit «merci» à ces hommes Polonais, Italiens, Marocains, Sénégalais... qui ont fait la France et s'est adressé à leurs descendants : «Avec ce projet nous leur disons : regardez le travail de vos pères, l'énergie de vos mères et soyez fiers. Leur engagement a fait de vous des Français à part entière.»
Démagogie. Un changement de perspective. Jusqu'à la démagogie. Ce samedi, à l'Assemblée, une trentaine de personnalités d'origine immigrée seront «distinguées» lors d'un «forum de la réussite», patronné par le Haut Conseil à l'intégration. Certains ont décliné l'offre : «On est Français, pas issu de l'immigration.»
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