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Al Hoceima : Après le séisme, le Makhzen!
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16 mars 2004 04:28
Al Hoceima : Après le séisme, le Makhzen!

D’un côté, rigidité administrative, mentalité makhzénienne paralysante et cafouillages en tous genres. De l’autre, des associations qui dépensent beaucoup d’énergie… et une population qui se débrouille. Une enquête de : Laetitia Grotti

"Nous ne nous serions jamais attendus à une solidarité nationale aussi forte et à une mobilisation pareille, témoigne cet habitant d'Al Hoceima. Vous savez, avant, les Rifains avaient une vision très négative du reste du Maroc. Dorénavant, nous n'aurons plus la même image des autres Marocains. En
revanche, notre opinion vis-à-vis des autorités n'a pas changé". Et, peut-être parce que la gestion de la situation a été placée sous son autorité et, de fait, les différents services de l'État : gendarmerie, armée, protection civile… la Fondation Mohammed V semble pâtir de cette même image désastreuse. Certains parlent d'incompétence, de non préparation, d'autres de mauvaise connaissance du terrain et, dernière accusation mais non des moindres, de récupération d'aides. Ces jugements, lapidaires, ne sont malheureusement pas l'expression d'un seul individu, rendu amer par 40 ans d'ostracisme. Nombre de personnes rencontrées sur place les partagent. Pourtant, il faut rendre à César ce qui est à César. "Le premier bilan, qui ne peut être que provisoire (il couvre la période du 24 février au 9 mars), s'établit à 8 millions de dirhams d'aides accordées par la fondation", déclare Zoulikha Nasri, membre la plus en vue de son conseil d'administration. "Nos administrateurs, CNCA, BCP, ONAREP, Maroc Telecom, ONEP, etc. ont joué le jeu en nous accordant ces aides soit en espèces, soit en nature. Nous avons ainsi pu acheter et distribuer des tentes, des vêtements, des couvertures, des vivres, des médicaments. Mais, nous sommes également présents au plan de l'appui médical avec la mise en place de 3 unités mobiles, de 15 équipes médicales qui circulent dans toute la région, de 360 assistantes sociales. De même que nous agissons sur le plan de l'hygiène. Nous avons acheté des doses antirabiques, installé des latrines ambulantes (les fixes devraient être très prochainement installées), acheté des poubelles, des bennes, un camion hydrocureur… Enfin, l'accompagnement social, notamment vis-à-vis des orphelins". Le bilan, provisoire, est de 120 orphelins, d'ores et déjà déclarés Pupilles de la nation par Mohammed VI. Alors, pourquoi un tel ressentiment sur le terrain ?

"Méthodes de brigands"
Dans les tout premiers jours qui ont suivi la catastrophe, les autorités locales ont semblé, non seulement dépassées par l'ampleur du séisme, mais plus préoccupées par l'organisation de la visite royale qui a finalement eu lieu le 28 février. Du coup, leurs actions de distribution ne sont devenues visibles qu'après cette date. Or, ce retard à l'allumage a eu un effet désastreux en terme d'image. D'autant qu'entre temps, les associations locales, telles de petites fourmis, ont pu travailler et pallier les insuffisances des autorités publiques et communales en apportant les premiers secours de proximité aux populations encore choquées et traumatisées. Connaissance du terrain, des habitants, de la langue ont été autant d'atouts pour recenser les besoins, s'organiser et acheminer l'aide. Mais, cette efficacité face à l'attentisme dont ont fait preuve les autorités au début n'explique pas tout. Surtout pas les accusations de récupération d'aides. De quoi s'agit-il ? Tous ceux qui ont pu se rendre sur place ont entendu les mêmes témoignages, tant des associations locales faisant partie des deux coordinations, que des ONG étrangères. "Nous avons des camions de plus de 30 tonnes qui nous arrivent de l'étranger, envoyés par des associations amies ou de simples particuliers, qui sont 'captés' par la Fondation", explique Ahmed Belaïchi de la coordination Al Amal. Le Dr Fernicha, de cette même coordination, ajoute concernant l'aide nationale : "Nous sommes obligés d'adopter des méthodes de brigands pour que l'aide que nous attendons nous parvienne et que nous puissions l'acheminer et la distribuer aux douars les plus reculés. On déroute nos camions sur des routes secondaires pour qu'ils rencontrent le moins de barrages possibles". Quant à Youssef Haji, permanent de l'Association des travailleurs marocains de France (ATMF), il ne décolère pas. Présent à Al Hoceima depuis une semaine pour réceptionner l'aide envoyée par les associations du réseau ATMF et la distribuer aux douars les plus reculés, il passe son temps à solutionner des situations abracadabrantes. "Au départ, notre mission était simple. Apporter aide et réconfort et assurer le suivi des dons, car nous avons des comptes à rendre aux donateurs. Or, nous passons plus de temps à régler des problèmes administratifs surréalistes qu'à faire ce pour quoi nous sommes venus". Qu'est-ce à dire ? Tout simplement, et malheureusement, que séisme ou pas, le Makhzen reste le Makhzen.

Bénévoles à bout de nerfs
Ainsi, mercredi 25 février, soit le lendemain du tremblement de terre, une ONG espagnole qui travaille habituellement avec le syndicat des médecins privés d'Al Hoceima, envoie un camion rempli de médicaments. À Tanger, les douaniers leur donnent le choix : soit ils signent une décharge en faveur de la Fondation Mohammed V, soit ils dédouanent leurs marchandises (comme s'ils avaient l'intention de les vendre) soit ils rebroussent chemin avec le contenu de leur véhicule ! Plutôt rafraîchissant comme accueil ! Si Zoulikha Nasri se défend d'avoir jamais entendu parler de tels cas, elle confirme cependant qu'en matière d'aides internationales, tout doit passer par une fondation ou une association d'utilité publique. La raison est des plus simples, c'est tout simplement la loi. Or, sur le terrain, seules les associations d'entraide sociale et la Fondation Mohammed V jouissent de ce statut. Si ce centralisme n'est nullement contesté par les associations locales, les méthodes employées vis-à-vis de personnes ayant spontanément répondu à la détresse des gens du Nord sont, quant à elles, vertement critiquées. Tout simplement parce qu' elles entravent rapidité d'action et efficacité, pourtant indispensables dans une situation aussi exceptionnelle.
Samedi 6 mars, deux camionnettes de Genevilliers (banlieue parisienne) arrivent au port de Nador. Elles sont acheminées par trois jeunes de la ville, originaires de Temsamen. Tout contents de manifester leur solidarité à l'égard de leur région, ils connaissent une déconvenue de taille. Au port, on informe ces jeunes des termes de la loi marocaine. S'ils veulent que leur aide parvienne aux habitants, il leur faut donc signer une décharge en faveur de la Fondation Mohammed V. Ce qu'ils refusent puisque leurs dons sont nominativement adressés à la coordination Al Amal. Ils feront finalement contre mauvaise fortune bon cœur puisqu'il s'avère que c'est la seule solution pour sortir de la zone portuaire. Les portes des camions sont alors plombées et leur passeports retirés. Bienvenue dans le plus beau pays du monde ! Après 3 heures de négociations, menées au bout du fil par Youssef Haji, les gendarmes acheminent les véhicules jusqu'à Al Hoceima où ils arrivent à 22 heures. Mais là, plus de gendarmes, ni de douaniers, ni de passeports. À bout de nerfs, le représentant de l'ATMF appelle alors à 1 heure du matin le gouverneur d'Al Hoceima qui, compréhensif et "manifestant une qualité d'écoute indéniable", promet de régler le problème. Une heure plus tard, nos bénévoles négocient toujours au téléphone avec un responsable des douanes, qui propose, sans rire, de repartir à l'aéroport de la ville et de refaire les formalités douanières. 20 minutes après, les douaniers arrivent, réclament le bordereau signé à Nador et exigent le retour des camionnettes au dépôt de la fondation. Rebelote, discussions, négociations, téléphone entre administrations. Il est 3h30 du matin quand nos petits jeunes récupèrent leurs biens et leurs papiers. Entre temps, s'était présenté Mohamed Abdelwahab, 24 ans, de Grenoble à qui il est arrivé la même chose, à peu de chose près. Sportif connu dans sa région, il avait persuadé Decathlon de lui donner des tentes et du matériel neufs pour les sinistrés d'Al Hoceima. Il est reparti le mardi 9 mars sans avoir jamais revu son 39 tonnes, bloqué au dépôt de la fondation à l'aéroport et sans savoir si son aide aura ou non été utile.

La loi du Makhzen
Et les exemples de cet acabit sont malheureusement légion. Interrogée sur ces méthodes makhzéniennes, Zoulikha Nasri explique : "Les douanes ont joué le jeu. Les premiers jours, elles ont quasiment tout laissé entrer. Mais il faut comprendre que la fondation se portant garante, il est normal que nous ayons un contrôle sur ce qui entre dans le pays. Quand on connaît le contenu de la cargaison et l'association destinataire, il n'y a pas de problème. Ils signent la décharge pour la fondation et une fois au dépôt, nous leur rendons leurs dons pour distribution. En revanche, dès lors que l'on ne connaît pas l'association, c'est à nous de faire ce travail". Mais, elle conclut par ce mot pour le moins malheureux : "Nous refusons la friperie. Nous avons déjà une population traumatisée, nous ne pouvons l'exposer davantage à des risques sanitaires". Les donateurs étrangers et les bénévoles qui ont parcouru des milliers de kilomètres pour porter assistance apprécieront sûrement. Quant à savoir s'il existe des directives officielles ordonnant aux forces de l'ordre ou aux militaires de dérouter certains camions d'aides nationales ou internationales, destinées aux coordinations, vers l'aéroport d'Al Hoceima, elle confirme, simplement : "Effectivement, ces directives existent. Tout simplement parce que le dépôt de la ville s'est retrouvé très vite en surcapacité. Et que nous n'avions pas d'endroits où stocker des marchandises pour éviter les pillages. Depuis, nous avons créé 3 autres dépôts dont celui de l'aéroport, un autre à Al Hoceima, le dernier à 20 km de la ville". Soit. Mais, comment comprendre que de nombreux convois restent bloqués depuis des jours à l'aéroport, tandis que les habitants des douars les plus reculés n'ont toujours pas reçu les premières aides d'urgence - ce qui a le don de mettre en rage les associations ? Disposant de faibles moyens matériels, elles sont pourtant souvent les premières à porter les premiers secours dans ces "zones dites inaccessibles". Pour cet originaire de Taounate, cette expression fait sourire. "On y arrive bien nous. Je ne vois pas pourquoi la fondation, avec tous ses 4 X 4, ou les militaires n'y arrivent pas, ou si tard". Il semble, en effet, que hors du périmètre d'Imzouren et d'Aït Qamra, leur présence se fasse plutôt rare.

La détresse au quotidien
Lundi 8 mars, 15 jours après la catastrophe, deux bénévoles de la coordination Al Amal se sont rendus au douar Tala Youssef, où il n'y avait encore aucune tente. Une semaine avant, les 13 douars de la bourgade de Chakrane - l'une des plus reculées dans les montagnes et qui rassemble environ 12.000 habitants -, se sont vu distribuer les 300 premières tentes, grâce à la même coordination. Tandis que le deuxième convoi était acheminé… par la 2e coordination d'associations. Quelques jours avant, une femme avait dû accoucher sous des mika (sacs plastiques), faute d'unités mobiles ou autres équipes de secours. Heureusement pour elle, il n'y a neigé qu'une semaine après ! Face à cette détresse au quotidien, les méthodes employées par les représentants officiels de l'entraide sociale ne font que retarder inutilement l'acheminement et la distribution des besoins vitaux. "Hier soir (lundi 8 mars), on a finalement pu récupérer un camion qui nous était destiné, mais qui avait été dérouté vers l'aéroport par le Pacha, au motif qu'il ne nous connaissait pas", explique Saleha de Al Amal. "Résultat, il était trop tard pour l'amener jusqu'au douar Beni Bakkioua et comme nous n'avons pas de parking où le stationner, deux bénévoles ont dormi dedans. Ce n'est que ce matin qu'il a pu partir vers ses destinataires. Entre temps, nous avons perdu près de 24 heures". Mais il faut saluer l'intelligence quand elle se présente aussi. Comme lorsque le wali d'Oujda, après le déroutage d'un avion-cargo sur son aéroport, a débloqué la situation en un quart d'heure. Les camions ont été escortés jusqu'à Al Hoceima où on les a remis à leur destinataire : la coordination Al Amal. Malheureusement, ce type de comportements ne constitue pas encore la norme. Après le tremblement de terre de 1994, il semble que l'État n'ait pas d'archives et le Makhzen, pas de mémoire.


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