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"Basri le fou, Basri le sage"
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4 janvier 2005 19:44
Interviews. Basri le fou, Basri le sage

Par trois fois, Driss Basri s'est livré à l’exercice de l’interview télévisuelle. à sa manière : excessive et provocatrice. Arrêt sur images.


Si le Maroc avait des guignols, Driss Basri y aurait, chaque jour, tenu un rôle vedette. L’espace d’un séjour clandestin à Paris, l’homme d’Etat, hier réservé, s’est transformé en une véritable bête médiatique, une machine à déclarations, répétitives, légères mais excitantes. La semaine dernière, l’homme a réussi un coup médiatique peu courant. En moins de 10 jours, trois
équipes de télévision internationales sont passées par son salon du 16ème arrondissement. L’ex bras droit de Hassan II a ainsi occupé, à quelques soirées d’intervalle, les écrans d’Al Hurra, Al Jazeera et Al Arabiya. Cela a même ouvert son appétit cathodique. Aux dernières nouvelles, il aurait cédé aux british de la BBC, et négocie un passage sur la CNN. Une frénésie télévisuelle qui laisse perplexe. Driss Basri n’a jamais véritablement accordé d’interview. à cela, il préférait les monologues kitch fidèlement repris par la TVM, et les conférences de presse folkloriques. Pendant plusieurs années, il a été le maître incontesté de l’audiovisuel au Maroc. Ses passages télévisuels récents sont donc un précédent. Pour la première fois, l’homme a joué le jeu jusqu’au bout en se livrant à l’exercice des questions-réponses.

Basri, l’interviewé

A première vue, Driss Basri passe pour un bleu en matière de relations avec les médias. Il n’a pas de chargé de communication, répond directement aux demandes qui lui sont adressées, quand ce n’est pas lui qui fait le premier pas et ne pose presque pas de conditions à son passage télévisuel. "Je le savais disponible, en besoin de médiatisation, mais jamais je n’aurais cru qu’il céderait au premier appel et plus, qu’il insisterait jour après jour pour s’assurer que le tournage n’a pas été annulé", confie ce correspondant, l’un des tous premiers à l’avoir contacté. Comme tous ses collègues d’ailleurs, il préfèrera garder l’anonymat. Ce premier essai conclu, Basri changera de stratégie. Désormais, c’est lui qui se propose aux médias, en prenant bien soin de faire jouer la carte de la concurrence (si chère aux médias arabes). Par intermédiaires interposés, il fera savoir qu’il est disponible, mais pas pour longtemps. Les chaînes sautent sur l’occasion, espérant tirer une déclaration, ou mieux, un témoignage exclusif de l’ex homme fort du régime marocain. Si Driss reprend alors son petit jeu makhzénien. Il se permet de choisir ses interviewers, les laisse attendre dans son salon, faisant semblant qu’il est toujours l’homme occupé qu’il a été. "Rien de méchant ceci dit, nuance ce journaliste dans une grande rédaction arabe. Le premier quart d’heure passé, l’homme se lâche, devient courtois, spontané et familier".

Avant l’interview, c’est à peine si l’homme demande à consulter les questions qui lui seront posées. "Il en refuse quelques unes, mais réagit mollement aux questions surprises ou aux relances virulentes qui le prennent de court", rapporte un journaliste.
Autour de lui, tout communique. Lors de la première interview tournée dans son appartement parisien, son épouse prendra un soin particulier à sélectionner, à partir d’un album de famille, les photos que son mari aura en arrière plan. Le choix ne sera finalement pas anodin. Des photos avec le roi, d’autres avec Jacques Chirac. Lors de la deuxième et troisième interview, on verra même des photos de Lalla Selma, épouse de Mohammed VI. "Ce genre de photos, mises dans de petits cadres, sont généralement réservées à la famille. C’est peut être une manière pour Basri, qui l’a déjà revendiqué, d’appartenir à la famille royale", analyse un spécialiste en audiovisuel. "C’est une pratique courante chez de nombreux hommes politiques marocains, surtout à la retraite. Les photos, et donc le passé, c’est tout leur avenir", explique M.S. journaliste politique.

Le âroubi parisien

Puis il y a l’homme. élégant, bien habillé et bien dans sa peau d’exilé de luxe dans la ville des lumières. Lors de l’une de ses interviews, Basri ne s’est pas gêné pour mettre un gros miroir devant lui, question de se rassurer, live et en continu, quant à son apparence. Lors des breaks, Si Driss demande systématiquement : "Iwa, kijitkoum ?", "Meziane, yak ?", donnant l’impression qu’il sort tout juste d’une représentation théâtrale. Mais toute l’élégance vestimentaire de l’homme ne trompe pas sur ses origines. Avant, après et même pendant l’enregistrement, Driss Basri se laisse aller à des blagues et des commentaires de terroir. Comme cette Tadouira qu’il aurait aimé (s’il était riche) réserver à un correspondant marocain venu le voir, ou ces compliments de Hdagat dont il a couvert une productrice arabe. Dans ses réponses, l’homme ne trouvera aucune gêne à utiliser des mots comme Khizou, Btata, Gnouga, etc. Un langage bien de chez Si Driss, mais qui reste indéchiffrable pour la quasi majorité des téléspectateurs dans la région arabe. Peu importe, son coeur de cible, les Marocains, déchiffrai0t aisément ses mots. "Des Marocains de toutes les couches", insiste cet analyse politique. "Si l’élite trouve l’homme léger, le petit peuple n’y verra que le côté spontané, une sorte de show. Avec toute la nostalgie ambiante pour l’ère Hassan II, le subconscient collectif risque d’être réceptif de tels codes. Basri hier présenté comme le pire des dictateurs, lie son image à celle de Hassan II, s’attirant une certaine sympathie, peut être même de la pitié", déchiffre un sociologue casablancais. "Hchouma qu’un ex ministre reste sans papiers à Paris, qu’il n’ait pas de quoi subvenir à ses besoins", s’entend-on déjà répéter dans la rue.

Lors de ses interviews, Driss Basri s’est rarement laissé impressionner par les questions qui lui étaient posées. Il n’est réellement déstabilisé que quand il s’agit de sa famille ou de son propre prestige (notamment l’affaire du passeport et de la nationalité). Et là, ses gestes deviennent incontrôlables. A plus d’une reprise, il a rigolé d’une manière hystérique, qu’il voulait ironique (surtout aux questions relatives aux droits humains), s’est tapé le torse avec les poignets ou cligné nerveusement des yeux, détournant la tête ou l’enfouissant dans ses épaules. Autant de "shots" que les différents producteurs ont préféré supprimer au montage.

Une fois l’interview tournée, montée et prête à la diffusion, Basri reprend ses habitudes (réflexes) d’ex patron des médias. Il appelle plusieurs fois par jour, pour critiquer la bande annonce ou insister sur le nombres de rediffusions. Demander après les échos, savoir si ses messages sont passés.

Le dernier jeu de Basri

L’homme ne l’a d’ailleurs jamais caché. A tous ses interlocuteurs, il dit vouloir s’exprimer et dire son mot. Pour dire quoi finalement ? Trois fois rien. Les producteurs des chaînes qui lui ont tendu le micro sont aujourd’hui déçus. Ils n’ont rien eu d’exclusif. Basri se répète et souvent, les chaînes lui servent de faire-valoir. "Lors des trois interviews, remarque cet analyste politique depuis Dubai, les journalistes n’ont pas pu confronter Basri à des preuves concrètes, n’ont pas filmé des déclarations qui l’accusent de ceci ou cela. Ce qui lui a laissé le champ libre pour défier le monde entier et passer pour celui qui n’a peur de rien ou du fidèle exécuteur qui n’a rien à se reprocher".

S’il a pourtant choisi de s’exprimer sur la télévision aujourd’hui, Basri a ses raisons. Pour notre analyste, la piste la plus probable serait de se protéger des affaires de corruption et de détournement qui menacent toute sa famille. Soit, mais comment ? Via le petit jeu de grâce et de menace qu’il semble affectionner le plus. Dans toutes ses déclarations, Si Driss rappelle (à Mohammed VI en tête) qu’il a été le bras droit de son père, cite Hassan II à tout bout de champ (comme s’il était encore vivant) et évoque les largesses dont lui et sa famille ont bénéficié. Ce qui laisse croire, selon de nombreux observateurs, que l’ex homme fort n’écarte pas un retour en grâce. D’ailleurs, il s’est directement adressé au roi à travers Al Hurra pour lui demander "de faire cesser les attaques dont il était victime depuis un moment". "Sinon, semble-t-il alerter, je vais tout lâcher". Driss Basri dit détenir des secrets et des vérités qui, selon ce qu’il veut faire croire, feront trembler le royaume. A Al Hurra, il a dit savoir qui a tué Ben Barka. Sur Al Jazeera, l’ex premier flic du pays a insisté que ses successeurs ont fait mieux que lui en raflant plus de 5000 islamistes après le 16 mai. Difficile d'accorder de la crédibilité à un ex-homme fort du régime à qui bien des exactions du passé sont reprochées.

Ne le sachant que trop bien, l’homme ressort alors son dernier argument : sa supposée pauvreté. Le "Je n’ai pas de quoi boucler mon mois" lancé sur Al Jazeera restera dans les annales. Le petit peuple, pour qui cela sonne comme une petite revanche ou un châtiment divin, compatit, au fond. Driss Basri a-t-il finalement une stratégie de communication ? Peut être pas. Il en maîtrise par contre quelques ficelles. Avec lui, on est loin du âroubi, naïf et spontané. De celui qui se lâche sans mesurer ses sorties. Jusqu’à présent, il a tout juste trouvé le dosage pour susciter des sentiments moins négatifs (pitié, compassion, etc). Il a également réussi à renouer le contact avec le plus grand nombre. Avec le petit peuple qui ne lit pas la presse. "Il est un fin connaisseur de la psychologie des Marocains. Il a été formé par le Makhzen et a géré de nombreux dossiers sensibles. Il a, en plus, été aux côtés de Hassan II et a beaucoup appris de ses méthodes. Il n’est donc pas tout à fait en dehors du coup". Pas tout à fait, mais presque. Basri est aujourd’hui un animal blessé qui refuse de céder. De rage, il risque de faire des dégâts autour de lui ou… de se mordre la queue.





Zapping. Morceaux choisis

Al Hurra. Première chaîne à l’interviewer. Lors de l’entretien, il s’est, en regardant droit dans la caméra, directement adressé au roi pour lui rappeler "qu’il le sacralisait autant que son père Hassan II". Il l’a ensuite "prié de faire cesser les attaques dont il était victime ainsi que sa famille". Répondant à une dernière question sur l’afffaire Ben Barka, il a répondu : "oui, je sais qui l’a tué, mais je ne le dirai pas". Entre deux réponses, il a laissé comprendre qu’il n’a rien contre l’idée de s’installer aux états-Unis. "Peu importe où je suis. à Versailles, à Paris ou en Virginie".

Al Jazeera. L’interview a été menée par le Marocain Mohamed Al Alami. Première interview où Basri a dû répondre à des accusations précises quant au dossier des droits humains. Niant tout en bloc, il se distinguera par un "je suis un clochard à Paris. Je n’ai même plus de quoi boucler mes mois".

Al Arabiya. C’est Abderrahmane Al Rached, directeur d’Asharq Al Awssat qui, au retour d’un voyage au Maroc, a mis la chaîne sur l’affaire. Basri répétera la même chose lors de son interview. Sauf que cette fois, ses déclarations étaient systématiquement commentées par Mohamed Sebbar du FVJ et Moncef Slimi, journaliste basé à Dubaï.

 
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