Des représentants de la société civile de l'Algérie, de l'Égypte, de l'Irak, de l'Iran, de la Jordanie, de la Libye, du Nigeria, du Sénégal, de la Tunisie et de la Turquie se sont réunis du 18 au 20 mars, à Tarrytown, dans la banlieue de New York, afin d'élaborer des recommandations relatives à l'enseignement de la démocratie dans les pays musulmans du Moyen-Orient et d'Afrique.
Les participants à la conférence, qui comprenaient également des conseillers et des observateurs allemands, américains et hollandais, soumettront leurs recommandations aux ministres des affaires étrangères de 105 États qui doivent assister à la Troisième Conférence ministérielle de la Communauté des démocraties du 28 au 30 avril, à Santiago (Chili).
La conférence de Pocantico a permis de mettre en évidence les obstacles à l'enseignement de la démocratie, mais aussi les possibilités en la matière, dans les pays musulmans du Moyen-Orient et d'Afrique. Une personnalité éminente de l'opposition en Égypte, M. Saad Ibrahim, a fait part à cette occasion de son optimisme au sujet de la progression de la démocratie au Moyen-Orient en se fondant sur les événements qui avaient eu lieu récemment dans son pays, en Irak, au Liban et en Palestine.
La conférence s'est tenue au centre de réunions Pocantico de la Fondation des frères Rockfeller. Elle a été organisé par le « Council for a Community of Democracies » en collaboration avec le Centre d'étude de l'islam et de la démocratie, de Washington, et de l'« American Forum for Global Education », de New York.
Son financement était assuré par l'Agence des États-Unis pour le développement international grâce, en partie, à une subvention de la direction de la démocratie, des droits de l'homme et du travail du département d'État. La Fondation Friedrich Ebert, qui relève du parti du socialisme démocratique en Allemagne, et le Centre hollandais de participation politique ont également apporté un soutien financier.
(Début du texte)
La conférence de Pocantico sur l'enseignement de la démocratie au Moyen-Orient et dans l'Afrique musulmane
Ces dernières décennies, les habitants de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont peu connu les pratiques démocratiques. De même, la participation des peuples de cette partie du monde à l'élaboration de leur destin et des décisions qui touchent leur vie a été moindre que celle des peuples d'autres parties du monde, et ce malgré les travaux réalisés avec énergie par tant d'organismes de la société civile dans ces pays. Il est clair que le « déficit de liberté » dans cette partie du monde, que des rapports du Programme des Nations unies pour le développement ont mis en évidence, est le résultat de nombreux facteurs, tant internes qu'externes. La lutte en faveur de la liberté et de la démocratie n'a jamais cessé. Toutefois, ces dernières années, la population de ces pays est devenue visiblement plus engagée dans un processus de changement.
Récemment, un observateur de la situation au Moyen-Orient a écrit : « Ce que nous avons vu dans les explosions de démocratie dans les rues de Beyrouth, de Bagdad, du Caire et même de Riyad est quelque chose de réel et d'authentique, qui fait suite à des événements particuliers (...), mais aussi qui exprime une aspiration profonde (...) à un avenir différent, en particulier parmi les jeunes qui savent ce qui passe ailleurs et qui veulent leur propre part du gâteau de la liberté. »
Le présent document traduit les vues des représentants de la société civile qui ont participé du 18 au 20 mars à la conférence de Pocantico sur l'enseignement de la démocratie au Moyen-Orient et dans l'Afrique musulmane. Il constitue un appel à la Communauté des démocraties et à ses États membres qui vont se réunir à Santiago (Chili), du 28 au 30 avril, dans le cadre de la conférence ministérielle de cette communauté.
Nous, les participants à la conférence de Pocantico, demandons collectivement et séparément à tous les États membres de la Communauté des démocraties d'appuyer la démocratisation pacifique dans cette région.
Nous les exhortons à soutenir les efforts des organismes de la société civile et des institutions éducatives de la région en vue d'encourager la compréhension de la démocratie et la diffusion des idées démocratiques, en particulier les droits de l'homme, de manière à permettre aux habitants de ces pays de participer à la prise des décisions qui ont une influence sur leur vie et sur leur avenir.
Nous prenons note que la Communauté des démocraties reconnaît l'importance de l'enseignement de la démocratie, depuis sa fondation lors de la conférence de Varsovie en juin 2000, en tant qu'élément de base pour favoriser, renforcer et consolider la démocratie dans le monde entier. En outre, la promotion de l'enseignement de la démocratie est essentielle à la réalisation des objectifs de la déclaration de Varsovie et du plan d'action de Séoul.
Nous demandons à la Communauté des démocraties d'œuvrer de concert avec les pays donateurs, les fondations et les institutions multilatérales pour mettre en place dans la région les mécanismes qui leur permettraient de contribuer en priorité aux ressources et aux idées afin :
1) d'encourager la diffusion des idées démocratiques, notamment les droits de l'homme, en faisant porter l'attention sur les jeunes dont la mentalité est en cours de formation,
2) de réaliser des travaux de recherche relatifs aux meilleurs moyens d'informer efficacement les citoyens sur les principes et sur les institutions démocratiques adaptés à la culture et aux traditions de chacun des pays de cette partie du monde, sachant que si la démocratie repose sur des principes universels, elle prend de nombreuses formes en fonction de la situation de chaque pays,
3) de consacrer l'attention en particulier sur les travaux de recherche relatifs à la compatibilité entre l'islam et la démocratie,
4) d'encourager les enseignants, les systèmes scolaires, les représentants des médias et les organismes de la société civile à appuyer l'exécution de programmes durables d'enseignement de la démocratie,
5) de faire participer les dignitaires religieux musulmans et les imams aux programmes d'enseignement de la démocratie dans leurs pays, de la même façon que les dignitaires religieux chrétiens ont joué un rôle dans ce domaine en Europe orientale et centrale et en Amérique latine,
6) de s'employer à faire connaître aux adultes, en particulier aux parents, les idées et les principes démocratiques afin d'atteindre les jeunes,
7) de faire en sorte que les leçons tirées de l'introduction de programmes novateurs d'enseignement de la démocratie dans les pays en transition d'Asie, d'Europe, d'Afrique et d'Amérique soient communiquées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord,
8) de chercher à obtenir le soutien de la Communauté des démocraties pour faire de l'enseignement de la démocratie dans la région une priorité pour le Centre de transition vers la démocratie qui devrait être créé à Budapest, en collaboration avec les autres centres dans la région,
9) de faire des études et de se fonder sur l'expérience et les connaissances des pays musulmans démocratiques dans le domaine de l'enseignement de la démocratie pour une éventuelle adaptation à la région,
10) de collaborer avec la société civile, d'élaborer des programmes de cours en vue de promouvoir la citoyenneté et le respect des droits des femmes, des minorités et de la liberté religieuse,
11) de préparer des documents, dans le cadre de ces programmes de cours, pour leur introduction dans le système éducatif de manière à faire progresser les droits des femmes conformément aux conventions et aux traités internationaux relatifs aux droits de la personne,
12) de préparer des documents destinés à être utilisés dans le système éducatif qui mettraient en évidence le passage à la démocratie dans d'autres parties du monde,
13) de rédiger et de publier, en collaboration avec des organismes de la société civile et avec les institutions du secteur de l'éducation de chaque pays, des manuels sur les principes démocratiques et la participation des citoyens à la vie politique qui seront utilisés dans les écoles, ainsi que d'aider des spécialistes locaux avec la publication de documents sur la démocratie conformes à leurs propres traditions,
14) d'examiner les manuels et de chercher à remplacer ceux qui encouragent l'intolérance, la discrimination et les idées antidémocratiques,
15) de traduire et d'adapter à la situation locale des documents pertinents sur la démocratie et les droits de l'homme et rédigés en diverses langues, ainsi que de reproduire et de diffuser des documents déjà prêts à l'usage, afin d'accroître la circulation des idées et de combler ainsi le « déficit des connaissances » du monde arabe tel que le Programme des Nations unies pour le développement l'a décrit,
16) de créer des programmes d'échange susceptibles de permettre à des enseignants de la région d'œuvrer de concert avec ceux des pays démocratiques qui ont élaboré des documents sur l'instruction civique pour leurs systèmes scolaires,
17) d'encourager l'examen et l'usage de pédagogies invitant à la participation des élèves, qui sont susceptibles de transformer la salle de classe et de la démocratiser,
18) d'établir des programmes officiels avec l'aide d'institutions spécialisées de l'ONU, de la Banque mondiale ainsi que d'organisations régionales qui garantiront que l'enseignement de la démocratie est intégré dans le système de chaque pays,
19) d'encourager la création et l'élargissement de réseaux d'enseignants et de militants partisans de l'enseignement de la démocratie dans les mondes arabe et musulman.
Nous exhortons les ministres de la Communauté des démocraties à maintenir leur engagement en faveur de l'enseignement de la démocratie, en tant qu'élément fondamental du mouvement de démocratisation dans le monde ainsi que des principes sur lequel il repose, en appuyant les recommandations qui figurent dans notre appel.
En outre, nous demandons aux gouvernements du Moyen-Orient et de l'Afrique musulmane d'être favorables à un dialogue sur les initiatives relatives à l'enseignement de la démocratie et des droits de l'homme et de former des partenariats avec les pays donateurs et des organismes de la société civile pour faciliter l'enseignement de la démocratie dans leurs pays.
Nous demandons aussi aux États membres de la Communauté des démocraties et aux bailleurs de fonds internationaux d'user de leur influence sur les États du Moyen-Orient et de l'Afrique musulmane en vue de l'application de ces recommandations et de faire dépendre l'octroi d'une aide à ces États, les échanges commerciaux et le transfert des techniques du respect de l'esprit et de la lettre du présent document.
Nous, les participants à la conférence de Pocantico, nous engageons à œuvrer de concert en vue de réaliser les objectifs énoncés ci-dessus et d'aider toutes les parties travaillant à cet effet. signé :acharif moulay abdellah bouskraoui.