La santé animale et humaine sont intimement liées. C’est ce que clament des chercheurs et des acteurs agricoles, en appelant à repenser le modèle d’élevage industriel dans le monde. Tourné vers la croissance économique plus que la sécurité sanitaire, celui-ci s’illustre en effet en des fermes qui deviennent «un terrain fertile pour les pandémies», alerte Jonathan Safran Foer dans une récente tribune publiée par The Guardian.
Pour l’auteur, «les agents pathogènes ne respectent pas les frontières nationales», de même qu’«ils ne respectent pas non plus les limites des espèces», faisant que le coronavirus se transmet entre les espèces humaine et animale. «La viande que nous mangeons aujourd’hui provient majoritairement d’animaux génétiquement uniformes, immunodéprimés et régulièrement drogués, logés par dizaines de milliers dans des bâtiments ou des cages empilées – quel que soit l’étiquetage de la viande», écrit encore Jonathan Safran Foer en décrivant les facteurs aggravants de cette transmission.
Une problématique mondialisée
Cette tribune, comme les appels d’acteurs du secteur agricole, préconise ainsi un élevage adapté à l’équilibre environnemental comme garantie de la santé des personnes et des animaux consommés. Sociologue, spécialiste en agroécologie et associative, Fettouma Djerrari Benabdenbi partage ce constat au Maroc. «Nous nous nourrissons d’êtres que nous avons nous-mêmes rendus malades en les coupant de leur milieu naturel et en modifiant leur alimentation. Lorsque notre système immunitaire fragilisé ne peut plus produire ses propres défenses, il est logique que de nouvelles pandémies émergent», estime la chercheuse.
«Beaucoup disent que certaines espèces sont ‘responsables’ de la transmission de ces virus, notamment du SARS-CoV-2, alors que c’est l’humain qui est majoritairement la cause, à travers des comportements de consommation qui ne sont pas en phase avec la nature», pointe encore Fettouma Djerrari Benabdenbi en décrivant «un système aberrant».
Selon elle, l’élevage industriel a en effet «prouvé ses limites en favorisant le profit à la santé». Par conséquent, elle préconise des usages plus éthiques, via «des unités de production plus petites qui tiennent compte de l’espace naturel nécessaire aux animaux pour être en contact avec leur environnement», quitte à ralentir les courbes de développement économique mais à les rendre plus durables.
«C’est une nécessité», estime Fettouma Djerrari Benabdenbi. Elle recommande également un retour aux «pratiques paysannes avec des activités multiples, au lieu de mettre en place des exploitations uniques qui impliquent des enjeux non seulement environnementaux mais aussi sanitaires». Dans ce sens, la spécialiste déplore que la priorité soit donnée «à la quantité de production mais pas aux circonstances de ce processus».
«Des êtres ont été perturbés dans leur habitat et dans l’équilibre de la biodiversité que l’humain a décidé d’interrompre pour des intérêts économiques qui s’avèrent dévastateurs, non seulement pour la nature, mais aussi pour notre santé.»
Favoriser les pratiques paysannes dans les villes
Selon Fettouma Djerrari Benabdenbi, ce changement ne doit pas se réduire au territoire rural. En effet, la sociologue appelle à «reproduire la dimension agricole dans les villes, avec des espaces de production partagées, des fermes urbaines, ou encore des agro-parcs rendant possible un élevage dans des conditions naturelles et accessibles». La spécialiste y voit d’ailleurs un moyen de sensibilisation pour les citadins à «l’importance de questionner le rapport à la nature, à l’alimentation et à la consommation».
Au Maroc, il existe d’ailleurs une prise de conscience sur le fait que l’environnement est une problématique saillante et transversale, mais elle reste optionnelle. «Cette dimension est introduite dans plusieurs projets, mais à chaque fois qu’elle risque de freiner une courbe de croissance, elle est évincée et ne sert plus qu’à faire bonne figure à l’étranger», déplore Fettouma Djerrari Benabdenbi.
«La pandémie du coronavirus a montré que nous sommes un élément de cet environnement et non pas ses maîtres. Donc nous gagnerons tous à nous y réadapter et à repenser nos économies, notamment notre agriculture et nos chaînes d’élevage, à travers ce prisme.»
Dans ce sens, la sociologue considère qu’«être un pays encore voie de développement est une chance à saisir, dans le contexte de la pandémie du coronavirus, puisque cela donne une plus large possibilité de se réorganiser pour revaloriser l’agriculture et l’élevage paysan». Toujours est-il, ces observations doivent être suivies d’un accompagnement, un encadrement et une formation.
«L’urgence sanitaire est un moment miroir qui doit nous permettre de réviser nos feuilles de route, en mettant notamment le progrès scientifique au service d’un élevage artisanal et éthique mais non l’inverse», conclut-elle.