Par amour ou par sacrifice, Adnane, Salha et Houssam*, trois réfugiés palestiniens, sont chacun arrivés au Maroc après un parcours difficile entamé depuis la Palestine. Ils font partie des 65 réfugiés palestiniens qui se répartissent dans une quinzaine de villes marocaines.
A Salé, Salha, 23 ans, nous accueille avec un sourire timide. Il nous a fallu prendre le temps de la mettre en confiance pour qu'elle se dévoile. C'est pour se marier que cette Palestinienne est venue au Maroc : «Mon époux a demandé ma main à ma famille, après quoi on a pu mieux faire connaissance. J’ai dû attendre longtemps avant de venir au royaume.» A peine âgée de 21 ans, elle quitte seule Gaza, sa ville natale, pour le Maroc où elle s'installe à Salé en 2014.
La première année est difficile. Salha sort peu de chez elle, intimidée par un pays qu'elle ne connaît pas encore. «Petit à petit, j'ai commencé à sortir avec la famille de mon mari, à aller au souk. C'est à ce moment-là que j'ai appris le dialecte marocain et que j'ai commencé à rencontrer des gens.»
«On me considère désormais comme une Marocaine. Je n'ai senti ni racisme, ni discrimination.»
Trois ans loin de sa famille
Salha a laissé derrière elle la guerre et la misère qui en découle. «Avec les combats, les coupures d'électricité et le blocus, le quotidien est très dur. Les gens vivent avec la peur de la guerre», dit-elle. «Ma mère, mon père et deux de mes sœurs sont restées à Gaza», poursuit-elle dans un sanglot. «Ils me manquent énormément. J'aimerais vraiment qu'ils viennent me voir ou que j'aille leur rendre visite. Ça fait trois ans que je ne les ai pas vus. C’est beaucoup.»
Toutefois, l’espoir demeure. Cette jeune maman souhaite un jour partir avec sa petite famille à Gaza. «Le problème, c’est que mon mari ne peut pas rentrer à Gaza car il n’a pas la nationalité», précise-t-elle. En attendant, la jeune femme suit une formation en couture «pour pouvoir ouvrir un jour ma propre boutique», espère-t-elle.
Adnane, la cinquantaine, a débarqué au Maroc en 2011. «Je n’avais rien quand je suis arrivé. J'ai dû complètement repartir de zéro. J’habitais dans la ville de Gaza, plus précisément à Rafah. Ce qui m’a fait quitter la Palestine, ce sont les conditions insoutenables dans lesquelles je vivais. Je n’avais pas de travail. J’ai neuf enfants, je suis obligé de sortir pour trouver du travail et les faire vivre. J’ai accepté de partir et d’être privé d'eux», soupire Adnane. «Je voulais avoir de bonnes nouvelles de mes enfants. Mon bonheur, c’est de savoir qu'ils mangent à leur faim. Je veux pouvoir tout leur offrir, même si ça signifie que je vais devoir me contenter de leur parler par téléphone.»
Lors de sa première année au Maroc, il est confiné dans la précarité.
«J’ai dormi pendant six mois à la mosquée. J’avais parfois tellement faim que mon ventre me faisait mal. Mais jamais, ô grand jamais, je n’ai tendu la main pour mendier.»
C'est sans compter le dialecte marocain qui, à ses débuts, lui joue des tours. «Je comprenais tout de travers», plaisante Adnane. Il commence ensuite à travailler dans un café et se familiarise petit à petit avec la darija.
«Les gens me prenaient dans leurs bras»
De jour en jour, le quinquagénaire est agréablement surpris par la chaleur des gens et leur accueil. «Les gens me prenaient dans leurs bras. Je ne m’attendais pas à autant d’amour», s’exclame-t-il. «Une fois, j’ai rencontré un homme d’un certain âge. Quand il a su que j'étais palestinien, il m’a embrassé la main», se souvient-il.
Quand il obtient le statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il bénéficie d'une aide financière de 12 000 dirhams de l'Association marocaine d'appui à la promotion de la petite entreprise (AMAPPE), qui collabore avec l’organisme onusien et le gouvernement marocain. «Ça m’a aidé à ouvrir mon entreprise. Grâce à Dieu, j’ai commencé à avoir des commandes et à travailler.» Adnane a en effet ouvert un commerce de panneaux solaires à El Jadida. «J’ai été trahi par mon premier associé, il m’a volé près de 100 000 dollars (près d’un million de dirhams). Mais je n’ai pas baissé les bras, j’ai décidé de recommencer à zéro.»
Depuis, son commerce est prospère, assure Adnane, qui se réjouit d'avoir choisi une niche qui a de l'avenir dans le pays : «En un mois, je peux travailler dix jours. J’ai beaucoup de clients car je choisis des pièces d’origine. C’est un travail fatiguant qui demande du sérieux. Grâce à Dieu, la motivation et la persévérance m’aident. Je travaille avec les Arabes, les expatriés, les agriculteurs et les personnes qui vivent dans des zones enclavées privées d’électricité.» En 2016, il a également reçu une distinction de l'AMAPPE pour l’encourager dans ses projets.
Reste que la ghorba (dépaysement) le submerge. «La plupart de mes enfants font des études, ils ont choisi de rester à Gaza mais j’aimerais qu’ils viennent me rendre visite.» Adnane s’est remarié avec une Marocaine et a eu un fils avec elle. «Mon petit dernier compense le manque de mes enfants en Palestine. C’est mon bonheur au quotidien.»
Houssam, lui, se veut plus discret sur les raisons qui l’ont poussé à venir au Maroc, à Rabat en l'occurrence. Il a souhaité témoigné anonymement, sans donner plus de détails. «Je suis parti sans but précis. J’ai pu arriver au Maroc. Je n’avais pas vraiment le choix», explique cet homme de 38 ans. Père de cinq enfants, il peine à trouver du travail pour subvenir à leurs besoins : «L’aide du HCR n’est pas énorme, d'autant qu'elle tarde parfois à arriver. En tout, on me donne 800 dirhams par personne.»
«Plus on est jeune, plus c’est facile de s’adapter. Quand on est plus vieux, c’est plus compliqué», pense-t-il. «Je me suis sacrifié pour venir jusqu'ici. Je l'ai fait pour pouvoir travailler et faire vivre le reste de ma famille qui est restée en Palestine, à Gaza. J’ai choisi de vivre la ghorba pour eux», lâche le Palestinien.
(*) Certains prénoms ont été modifiés.