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Grand Angle

Maroc : Des ONG interpellent sur le travail invisible des enfants

Selon le Haut-Commissariat au plan (HCP), 110 000 enfants parmi les 7 775 000 âgés de 7 à 17 ans (1,4%) au Maroc exercent une activité économique. A l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants, ce 12 juin, l’institution a indiqué que ces chiffres actualisés en 2023 montrent une baisse continue du phénomène. Du côté de la société civile, des ONG soulignent en revanche les formes de travail invisible qui restent encore sous les radars des statistiques.

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Sur 7 775 000 enfants âgés de 7 à 17 ans en 2023 au Maroc, 110 000 (1,4%) exercent une activité économique, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP). Dans une note à l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants, l’institution a fait savoir, ce mercredi, que cette part s’élevait à 2,8% dans le monde rural, où 88 000 enfants sont concernés. Dans les villes, ce taux est de 0,5%, soit 22 000 jeunes. Le chiffre global constitue une baisse de 13,4% par rapport à 2022 et de 55,5% par rapport à 2017, souligne-t-on.

La même source indique que les garçons (85,6%) sont plus concernés que les filles et que les adolescents (de 15 à 17 ans) représentent la plus grande part (91,5%) des enfants au travail, qui sont 79,9% à vivre dans le milieu rural. Seuls 8,6% vont encore à l’école, tandis que 89,1% sont déscolarisés et 2,3% n’y ont jamais été.

63,3% des enfants en activité professionnelle exposés aux travaux dangereux

Parmi les enfants au travail dans les zones rurales, 74,1% exercent dans le secteur agricole et forestier. Dans les villes, 51% sont dans les services et 28,1% dans l’industrie. «Près de six enfants au travail sur dix en milieu rural sont des aides familiales (60,8%) ; en milieu urbain, 56,9% des enfants au travail sont des salariés, 28,6% des apprentis et 14% des aides familiales», fait savoir le HCP.

Par ailleurs, il ressort de la note que les enfants concernés sont encore très exposés aux travaux dangereux (63,3%), par la nature de ces derniers, par leurs conditions nuisant «à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant», ou en étant exercés pour une durée excessive par rapport à l’âge.

«Les enfants exerçant dans le secteur des BTP restent les plus exposés aux dangers, avec une part de 80,8%. Cette proportion est de 79,3% dans le secteur de l’industrie, 77,7% dans les services et de 53% dans l’agriculture, forêt et pêche.»

HCP

Le HCP fait savoir également que la plupart des enfants au travail sont issus de ménages de grande taille. «La proportion des ménages ayant au moins un enfant au travail est de 0,4% pour les ménages de trois personnes, et elle augmente progressivement avec la taille pour atteindre 2,5% parmi les ménages de 6 personnes ou plus», indique la note.

Dans ce sens, l’institution estime que le phénomène est lié notamment aux «caractéristiques socioprofessionnelles du ménage et de son chef en particulier». En effet, «la proportion des ménages dont au moins un enfant est au travail est de 1,2% parmi les ménages dont le chef n’a aucun niveau d’instruction alors qu’elle est insignifiante parmi ceux dont le niveau d’instruction est supérieur».

Le monde rural étant plus concerné que les villes, 41,5% des enfants au travail «sont issus des ménages dirigés par des exploitants agricoles», tandis que 13,6% viennent de ceux gérés par des inactifs. «Le phénomène demeure quasi-inexistant au sein des ménages dirigés par de cadres supérieurs», ajoute le HCP.

D’autres chiffres restent sous les radars

La tendance baissière du travail des enfants ne signifie pas systématiquement que les mineurs sont considérablement moins nombreux à exercer des métiers. En effet, plusieurs activités impliquant cette tranche d’âge ne font pas l’objet d’enquêtes chiffrées approfondies pour en mesurer l’ampleur et l’impact. C’est ce que soutient Abderrahman Bounaim, responsable de communication et de plaidoyer de Bayti. Commentant la situation actuelle auprès de Yabiladi, à l’occasion de cette journée mondiale, l’associatif estime que l’évolution des statistiques ne doit pas faire oublier la gravité des cas réels.

«De nos observations sur le terrain, nous ne pensons pas que le phénomène du travail des enfants soit en baisse. D’ailleurs, l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’UNICEF disent que les enfants travaillent de plus en plus et dans plusieurs pays à travers le monde; le Maroc en fait partie pour plusieurs raisons. Les conséquences socioéconomiques de la pandémie de 2020 sont toujours là, outre les effets de l’augmentation du coût de la vie sur les ménages à revenus limités, ou même sur ceux dits de la classe moyenne.»

Abderrahman Bounaim, association Bayti

«Ajouté à cela, la sécheresse inédite que nous vivons depuis près de sept ans a détendu sur le niveau de vie des familles dans le milieu rural, ce qui a redonné lieu à un phénomène d’exode de plus en plus important. Nous le constatons à travers nos équipes qui travaillent auprès des enfants en situation de rue. Il s’avère qu’un nombre croissant parmi eux exerce une activité professionnelle après avoir quitté la campagne pour la ville», souligne encore l’associatif.

Celui-ci soulève pour autant un point positif concernant la baisse confirmée du travail des filles dans les maisons. «La loi sur les travailleurs domestiques avait prévu une phase transitoire de cinq ans après la promulgation, durant laquelle les filles de 16 à 18 ans travaillaient encore. Cette période s’étant achevée, nous avons effectivement remarqué que le nombre de travailleuses de maison âgées de moins de 18 ans a considérablement chuté», souligne Abderrahman Bounaim.

En revanche, le responsable associatif alerte sur les situations invisibilisées qui impliquent les filles dans différents autres contextes. «Il existe des situations de travail non rémunéré au sein d’une même famille, où une mineure peut être exploitée par des proches. D’autres cas concernent globalement les trafiquants de drogue qui, pour échapper aux soupçons, associent des enfants à la vente de stupéfiants. Dans les activités génératrices de revenu mais illicites, les moins de 18 ans se trouvent aussi dans la prostitution et nous n’en parlons jamais assez», analyse encore Abderrahman Bounaim.

Capitaliser sur l’éducation et la sensibilisation avec les familles

Secrétaire générale de l’association INSAF (Institut national de solidarité avec les femmes en détresse), Amina Khalid souligne pour sa part les dimensions complexes liées au travail des enfants, notamment lorsqu’il s’agit des filles. Dans ce sens, l’ONG a un programme de lutte contre le phénomène. «En premier lieu, il a été destiné aux petites filles que nous avons pu arracher du monde du travail. De 2005 à aujourd’hui, nous avons pu en retirer 600 du travail de maison, pour les réintégrer dans les familles et les scolariser», s’est félicitée la militante, auprès de notre rédaction.

«Aujourd’hui, on se retrouve avec des filles qui passent leur BAC cette année. D’autres sont déjà dans les universités ou suivent des formations professionnelles. Certaines petites filles sont désormais au primaire. Elles ont été sauvées et nous aidons leurs familles (300 DH par mois) pour laisser l’enfant aller à l’école.»

Amina Khalid, association INSAF

Actuellement, l’ONG suit 200 enfants, filles et garçons, dans les régions de Casablanca – Médiouna et Hay Hassani. «Ce sont des enfants victimes de travail forcé dans la déchetterie. Ils bénéficient du même programme de suivi et de soutien scolaire ou encore psychologique, sous forme de prise en charge continue en les faisant garder au sein de leurs familles», souligne Amina Khalid, qui mentionne par ailleurs le phénomène des enfants exploités dans la mendicité, en plus du programme de l’association pour les mères célibataires comptant 13 000 bénéficiaires.

Amina Khalid confirme également la baisse du travail des petites filles dans les maisons. Pour autant, «la question des filles qui abandonnent leur scolarité dans les communes rurales et qui sont forcées au mariage avant l’âge de la majorité, devenant ainsi exploitées à plusieurs niveaux, continue d’interroger notamment sur le travail de maison non-rémunéré, sur l’exploitation sexuelle et dans différentes autres dimensions». «Les chiffres sur le travail des enfants en lui-même sont donc bien là, mais il y a les formes complexes que l’on ne met pas encore en lumière», souligne l’associative.

«Avant, nous avons travaillé sur l’accueil et la prise en charge des filles. Cette année, on s’est occupé aussi des garçons au niveau de la région de Casablanca, rescolarisés, avec un suivi médical et psychologique, en plus du suivi aux familles vulnérables, monoparentales ou qui n’ont pas de papiers administratifs régularisés, sans oublier la sensibilisation aux droits et aux obligations.»

Amina Khalid

Par ailleurs, la militante exprime ses inquiétudes quant aux conséquences des dérèglements climatiques sur le travail des enfants, particulièrement dans les zones les plus touchées par la sécheresse. «Dans la région d’Al Haouz, nous avons le même effectif mais nous n’arrivons plus à gérer toutes les demandes que nous recevons. Le stress hydrique aggrave la situation, mais l’Etat doit faire son travail», constate Amina Khalid.

Pour la secrétaire générale d’INSAF, «l’obligation est de scolariser les enfants, de lutter contre le mariage des petites filles et développer les régions enclavées pour remédier aux conséquences que nous constatons».

Article modifié le 12/06/2024 à 22h30

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