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Interview  

De Tétouan à Bruxelles, Anwar efface les frontières entre les sonorités musicales

Originaire de Tétouan et vivant en Belgique, Anwar a connu un franc succès sur les scènes européennes, dès la sortie de son premier album musical. Son talent à allier sonorités jazzy, funky, bluesy et pop a attiré vers lui les plus grands labels discographiques du monde, avec lesquels il a sorti ses deux premiers albums. L’artiste fait son retour au Maroc pour présenter ses derniers titres.

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Anwar / © Antoine Henault
Temps de lecture: 6'

Ce n’est pas la première fois que vous jouez au Maroc, mais vous êtes ici dans le cadre d’une série de concerts initiés par le Cercle des lauréats de Belgique (CLB). Qu’est-ce que cela vous fait de revenir au pays ?

Cela me fait toujours plaisir de revenir jouer au Maroc. C’est mon pays, mes racines, mes origines. Je suis content de rencontrer des gens ici. En tant qu’artiste belgo-marocain, j’ai beaucoup développé mon travail en Belgique, en France. J’ai fait des concerts un peu partout en Europe, quelques fois aux Etats-Unis, mais très peu au Maroc, alors que c’est mon pays. Je pense que j’ai ma place ici aussi, en tant qu’artiste. J’ai pu acquérir une certaine expérience en Europe et que je peux apporter ici, à travers une autre manière de faire l’art et la musique.

Ce n’est pas la première fois que je joue au Maroc, en effet. J’ai fait quelques petites tournées, par le passé, j’ai été invité par la Fédération de Wallonie-Bruxelles et j’ai chanté dans des bars-restaurants à Casablanca. En revanche, je n’ai jamais encore fait de festival ou de grande scène ici, donc je suis là également pour voir les possibilités dans ce sens. J’ai six dates, à Tanger, Casablanca, Agadir et Rabat, en plus de rencontres moins formelles et des jam sessions. Ce sera peut-être une occasion pour élargir les possibilités de revenir plus souvent.

Vous êtes là d’ailleurs pour présenter votre deuxième album, «Lights». Quel registre musical on y trouve ?

J’ai déjà fait un premier album, «Beautiful Sunrise», avec Sony Music France et le label américain Colombia Records. Il a eu sa petite vie, avec plus de 22 millions d’écoutes sur la plateforme de streaming musical Spotify et beaucoup de retours positifs. Après cela, j’ai été sollicité pour un deuxième album, par le label ThinkZik en distribution chez Universal Music, cette fois-ci. Nous avons travaillé dessus avec des directeurs artistiques français, pour faire un son homogène, folk, bluesy et pop. On entend beaucoup de guitare, de clavier, avec des sonorités des sixties et des seventies. C’est ce que je suis venu présenter notamment, dans le cadre de mes dates de concert au Maroc.

Nous avons déjà sorti un premier single et cinq titres, dans un premier EP qui est sur toutes les plateformes. Dans mon premier album, il y a par ailleurs la chanson «How can I do». Ce morceau n’allait pas y figurer, mais il est devenu un titre phare. Je me souviens l’avoir écrit sur un bout de papier, assis par terre à la gare de train de Casablanca, en attendant de partir à Tétouan. Il était six heures du matin. Inspiré, je suis entré dans un café de la gare pour demander de quoi écrire, on m’avait donné un crayon. Et la chanson est née ainsi et j’avais beaucoup hésité à l’inclure au deuxième album. Finalement, cette ballade totalise près de 15 millions d’écoute à elle seule.

Qu’est-ce qui a façonné vos choix musicaux ?

Nous avons tous des sources d’inspiration musicales à partir de notre environnement familial, pendant l’enfance. Mon père était très porté sur les tubes des années 1960 et 1970, tout ce qui est du registre de Woodstock, Jimi Hendrix, James Brown. Ma mère écoutait plutôt Julio Iglesias, BB King, mais aussi de la musique arabe comme celle de Warda, de temps en temps. Mais jusque-là, je ne connaissais pas du tout la musique marocaine.

Mon premier contact avec la musique locale s’est fait à Tétouan, lorsque j’ai rencontré un gnaoui qui chantait en demandant des pièces de monnaie. C’est pour la première fois que je parle de ce souvenir marquant : j’ai été fasciné par ses percussions et son chant, au point où cela m’a introduit, en quelque sorte, à notre répertoire ancestral, car j’ai commencé à m’y intéresser de plus près, depuis.

J’ai rencontré ensuite plusieurs fins connaisseurs de gnaoua, d’autant que Tétouan, comme tout le nord du Maroc, est connue pour avoir un courant musical gnaoui très spécifique à la région. Nous avons commencé à jouer ensemble. Au début, j’ai été le choriste qui chantait en anglais, au fond, et qui faisait de la fusion avec des groupes locaux.

Quelle est la rencontre artistique déterminante, qui a marqué un tournant dans votre parcours musical ?

La rencontre fondamentale qui a permis de me propulser auprès des labels internationaux a été celle avec l’artiste française Zaz. A la fin de l’un de mes concerts, elle est venue me voir en me félicitant pour ma prestation se demandant comment elle pouvait m’aider à mieux me faire connaître. Elle m’a ensuite proposé de l’accompagner en tournée, pour faire la première partie de ses concerts. Je me suis tout de suite retrouvé dans des salles à grande capacité, de 8 000 à 10 000 places, notamment le Zénith mais aussi des salles mythiques comme L’Olympia ou Le Casino de Paris.

Cela a été décisif pour la suite de mon parcours car à la deuxième date de sa tournée, après avoir joué dans la salle mythique du Casino de Paris, des représentants de Sony Music sont venus me voir, en proposant de faire un premier album et signer un contrat pour en sortir quatre. J’ai pu jouer aussi des premières parties avec Mickey 3D, Jane, Boulevard des airs, Yuri Buenaventura… Je suis très reconnaissant à toutes les personnes qui m’ont introduit dans le milieu artistique professionnel et particulièrement à Zaz.

Après les influences musicales, il y a les inspirations thématiques. Quels sont les sujets qui vous tiennent à cœur au point d’en faire des chansons ?

Ma musique n’est pas virtuose et je ne fais pas de poésie dans les paroles de mes chansons. Loin de philosopher à plusieurs degrés, je choisi un registre simple pour parler des choses de la vie quotidienne. Le moteur de l’univers est l’amour, c’est donc un sujet principal dans beaucoup de mes chansons, sans y relater uniquement mon vécu personnel. Des titres de mon premier album, comme «Lost in Babylon», parlent plutôt de la migration et des rêves d’un lendemain meilleur auquel aspirent les jeunes et au bout desquels certains se confrontent au cauchemar.

Pour écrire et composer mes chansons, je m’inspire de tous les vécus autour de moi et de toutes les personnes que je rencontre dans ma vie. Je suis une sorte de griot, un raconteur d’histoires qui fait des refrains de manière à ce que beaucoup puissent s’y identifier, car je veux que mes chansons soient universelles.

Vous avez vécu entre le Maroc et l’Espagne, avant de vous installer en Belgique. Que retenez-vous de ces phases de votre vie ?

Mes grands-parents en émigré en Belgique, dans les années 1960. J’ai donc grandi là-bas, avec ma mère. Mon grand-père à Tétouan a décidé de se réinstaller au Maroc. Mes parents l’ont suivi aussi et à partir de l’âge de 15 ans, j’ai grandi moi aussi dans le pays, où j’ai dû réapprendre à parler couramment l’arabe et à l’écrire, à me réadapter au système éducatif, à la vie quotidienne d’ici. J’ai découvert aussi mes racines et mes origines autrement. Lorsque je suis revenu de Bruxelles, je parlais un dialecte de Tétouan, que j’ai appris de ma mère, qui l’a elle-même appris de mon grand-père en Belgique. Autant dire que je parlais un arabe local des années 1960, ce qui a souvent créé un déphasage avec les amis qui avaient le même âge que moi.

C’était extraordinaire de retrouver ses origines, de comprendre le parcours et l’histoire de ses grands-parents, de connaître la grande Histoire du Maroc à travers eux, avec toute la diversité culturelle dont notre pays est riche. Grâce à cela, j’ai appris à mieux me connaître et cela m’a donné une grande confiance en moi, en sachant d’où je viens, tout en continuant à apprendre de la vie. Je suis sorti ensuite du cocon familial, j’ai été soutenu par mes parents, j’ai travaillé pour mon père en Espagne. Mon grand-père, alors propriétaire de la seule usine de qoffa (sacs colorés pour le marché) au Maroc, nous a grandement inculqué ce côté auto-entrepreneurial valorisant le travail, le goût de l’effort et du mérite.

Je voyageais parfois avec les chauffeurs et les vendeurs de l’usine de mon grand-père en camion, depuis mon jeune âge, pour livrer les qoffa dans toutes les régions du pays. J’ai appris à négocier, à faire de la comptabilité, à aller vers les gens… A dix-huit ans déjà, tout en étant au baccalauréat Sciences économiques, je savais déjà ce qu’étaient l’industrie et le commerce. En revenant en Belgique avec le rêve de vivre de la musique, j’avais 5,20 euros en poche, donc j’ai commencé à faire des petits boulots.

Dès que je finissais ma journée, je prenais une guitare donnée par mon cousin, depuis longtemps, et j’allais participer à des jam sessions. Je demandais autour de moi pour mieux apprendre à jouer et je répétais chez moi jusqu’à avoir mal aux doigts. De fil en aiguille, j’ai commencé à faire des petits concerts. Je savais que je voulais faire de la musique et malgré les difficultés, je me disais intérieurement que je devais toujours garder la positive attitude.

A partir du moment où l’on est positif, dans tous les aspects de la vie, où on croit et on se dit «je veux arriver à ça», où on se le rappelle tous les jours, cela prendra le temps qu’il faudra mais tout se réalisera. Quoiqu’il nous arrive, ou l’on en tire un apprentissage, ou on avance. Avec le temps, ça devient une mentalité et un état d’esprit qu’on acquiert. Après quoi, toutes les personnes négatives commenceront à sortir de votre vie, car elles ne seront plus compatibles avec vous. Vous ne vous retrouverez qu’avec des gens positifs, dans une forme de cercle vertueux.

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