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Interview

«Le développement doit être intégré à la sécurité pour relever les défis de l’Afrique» [Interview]

Marie-Laure Akin-Olugbade est vice-présidente par intérim chargée du développement régional, de l’intégration et de la prestation de services du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD). Présente au Maroc pour la première conférence politique continentale de l’Union africaine, elle revient sur les principes de la Déclaration de Tanger, dont la présentation a clôturé cette rencontre autour des piliers «paix, sécurité et développement».

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Photo d'illustration / Ph. Banque africaine de développement
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Vous avez participé à la première conférence politique continentale de l’Union africaine (UA) qui s’est déroulée à Tanger, du 25 au 27 octobre. Cette rencontre, qui a eu pour thème le triptyque «paix, sécurité et développement», s’est terminée avec la présentation de la Déclaration de Tanger. En quoi ce texte est important ?

Cette conférence politique est une innovation majeure, car c’est la première fois que des organisations du continent, qui travaillent chacune de leur côté au développement ou à la sécurité, se réunissent pour travailler ensemble à identifier des moyens et des manières de collaborer plus efficacement. Nous sommes redevables à Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour sa vision du Maroc et de l’Afrique, et pour avoir été un champion du développement et de l’intégration régionale sur le continent. Je remercie aussi à cette occasion le ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger d’avoir accueilli cette réunion.

La Déclaration de Tanger vient formaliser cette nouvelle approche. Nous sommes convaincus que les questions de développement doivent être intégrées aux problématiques de sécurité, afin de répondre de manière plus efficiente aux défis que l’Afrique doit relever. Le nombre des conflits augmente significativement en Afrique et il nous faut agir plus rapidement. Cette capacité à agir vite est essentielle, car c’est elle qui définit l’efficacité de notre soutien.

L’Afrique a particulièrement souffert de la crise liée à la Covid-19. Dans le contexte qui prévaut en Europe, le continent doit faire face aujourd’hui au risque d’une insécurité alimentaire croissante. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Les chocs sanitaires, économiques et sécuritaires qui ont impacté le continent ces dernières années ont été dévastateurs. Du fait de la pandémie, le PIB de l’Afrique a chuté de 2,1% en 2020, soit la plus forte baisse depuis 20 ans. Nous avons perdu 165 milliards de dollars et plus de 30 millions d’emplois. Plus de 26 millions de personnes ont sombré dans l’extrême pauvreté. Maintenant, alors que nous entamons une douloureuse reprise, nous devons faire face à une crise alimentaire. Les prix des céréales et de l’énergie ont explosé. Le manque d’engrais paralyse la production locale et, conjugué à une démographie en hausse, menace l’équilibre de nos systèmes alimentaires. Cette perturbation pourrait faire basculer 1,8 million de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté cette année. Cette situation se double d’une aggravation des situations de conflit. Plus de 250 millions d’Africains sont touchés. Au cours des vingt dernières années, près de 470 000 personnes ont perdu la vie en raison de conflits et de l’insécurité humaine sur le continent.

Marie-Laure Akin-OlugbadeMarie-Laure Akin-Olugbade

Malgré cette réalité, les interventions en matière de sécurité et de développement sont rarement envisagées dans une perspective holistique. Pourtant, la sécurité ne peut être dissociée du développement et doit être prise en compte dans nos interventions et nos choix d’investissement. C’est pourquoi cette conférence arrive à point nommé : elle vient réaffirmer le caractère stratégique du lien entre sécurité et développement. Elle nous aidera à éliminer les chevauchements stratégiques et programmatiques et à mieux intégrer et séquencer nos interventions en matière de sécurité et de développement.

C’est aussi un appel : en dépit des crises, l’Afrique reste le lieu où investir. Les économies africaines sont plus résilientes qu’on ne le pense et nous sommes persuadés qu’elles se sortiront des difficultés actuelles. En tant que premier catalyseur africain du financement du développement pour l’intégration régionale, la Banque africaine de développement joue dans ce cadre un rôle de premier plan.

Quelles sont vos actions pour soutenir la relance économique dans toute l’Afrique ?

Depuis sa création en 1964, la mission de la Banque africaine de développement a toujours été d’accélérer le développement social et économique de l’Afrique. C’est pourquoi nous avons lancé ce que nous appelons les High 5s for Africa : éclairer et alimenter l’Afrique en électricité, nourrir l’Afrique, industrialiser l’Afrique, intégrer l’Afrique et améliorer la qualité de vie des Africains.

Prenons le manque d’électricité. Son approvisionnement régulier, qui est considéré comme acquis dans les pays développés, reste un luxe en Afrique. Thomas Edison a mis au point l’ampoule électrique il y a plus de 140 ans, mais le continent, principalement dans les zones rurales, est toujours dans le noir. Au Maroc, sur la dernière décennie, nous avons contribué à raccorder 7 millions de personnes au réseau électrique. Nous avons aussi permis à environ 8,5 millions de personnes de bénéficier de meilleurs services dans le domaine de la santé. Sur la même période, 3,5 millions de personnes ont en outre profité d’un accès amélioré à l’eau potable et à l’assainissement et 16 millions à des infrastructures de transport.

Depuis que notre partenariat a débuté il y a plus d’un demi-siècle, nous avons mobilisé plus de dix milliards d’euros d’investissements dans des projets et réformes de dernière génération au Maroc. Nous pouvons citer le financement de la construction du complexe portuaire de Nador West Med ou encore celui du projet d’extension et de modernisation de l’aéroport de Rabat-Salé. Nous sommes de plus en plus habiles à intégrer des approches sensibles dans l’aide au développement. Nos stratégies deviennent plus claires et efficaces pour évaluer les besoins locaux, fixer les priorités, allouer les ressources…

Lorsque la crise sanitaire a frappé l’Afrique, nous avons capitalisé sur notre expérience de l’épidémie d’Ebola, afin de fournir un soutien financier souple et un décaissement rapide, tant aux entités publiques qu’aux entreprises privées. En quelques semaines, nous avons lancé une facilité de réponse à la pandémie de plusieurs milliards de dollars. En réponse aux récents développements internationaux, nous avons également déployé une facilité africaine de production alimentaire d’urgence de 1,5 milliard de dollars : elle fournira suffisamment d’engrais pour permettre aux agriculteurs de produire rapidement 38 millions de tonnes de nourriture.

En dépit de ces situations, et en nous projetant vers l’avenir, nous pensons que les crises que nous traversons contiennent les graines d’une ré-imagination à grande échelle des systèmes de développement et de sécurité de l’Afrique. C’est tout le sens de cette conférence. Nous restons ainsi déterminés à travailler avec l’Union africaine (UA), les communautés économiques régionales, les partenaires de développement, les gouvernements et le secteur privé pour mobiliser les ressources nécessaires, relever les défis du développement et de l’intégration régionale en Afrique. Parce qu’il est un partenaire privilégié engagé dans une trajectoire d’émergence et de progrès, le Maroc est en première ligne pour donner l’exemple à l’ensemble du continent.

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