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Grand Angle

Maroc : Alertes sur la prospection clandestine dans les sites d’art rupestre

Neuf organisations de protection des sites rupestres au Maroc ont alerté récemment sur des travaux non-autorisés dans les provinces du sud. A Assa Zag et à Tata, les mêmes spécialistes étrangers se rendent sur les lieux depuis des années et à plusieurs reprises, pour leur prospection et leurs études, en infraction avec les procédures administratives.

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Photo d'illustration / DR.
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Depuis quelques jours, neuf associations et centres d’études travaillant sur la protection des sites rupestres ont appelé les ministères de la Culture et de l’Intérieur à intervenir à Assa Zag et à Tata, où un archéologue français (A.R.) mène des recherches, des travaux de prospection et des fouilles sans l’autorisation des services compétents. Dans un communiqué parvenu à Yabiladi, les signataires ont alerté que le concerné agit depuis plusieurs années, sans être inquiété par la justice.

En 2016, l’archéologue a été arrêté pour les mêmes raisons mais relâché sans suites. Il avait été signalé par le ministère de la Culture, mais les procédures sont restées au point mort. Sur la base de ses recherches non-autorisées, il a produit des articles savants, des études et des livres, dont notre rédaction détient copies et où l’auteur reconnaît avoir effectué des prélèvements de pièces. Chercheur en archéologie et président du Centre de recherche Es-Sakia El Hamra pour la protection des antiquités et la valorisation du patrimoine, Mustapha El Hamri rappelle que le concerné avait réalisé sa thèse de doctorat sur le Grand Atlas, en guise de seule recherche pour laquelle il aurait obtenu les autorisations de fouilles nécessaires.

«Par la suite, il a publié un ensemble d’études sur les sites de gravure et sur les anciennes civilisations du Maroc, surtout qu’il est spécialisé dans l’histoire rupestre. Sauf qu’il a toujours travaillé sans autorisation», a déclaré à Yabiladi le chercheur, dont l’organisation est signataire de l’appel.

Des études prônant la thèse séparatiste

«Jusqu’à une certaine époque, la société civile n’était pas assez forte et il n’y avait pas beaucoup de recherches marocaines dans ce domaine, donc ce chercheur profitait du vide pour agir sans contraintes. Mais à travers les décennies, les choses ont changé», a souligné Mustapha El Hamri. Il explique qu’«aujourd’hui, nous sommes dotés d’un Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) à Rabat, d’associations de chercheurs, de branches spécialisées au niveau des facultés, riches d’universitaires de renom, donc la recherche dans les filières du patrimoine et de l’Histoire s’est organisée, du point de vue académique autant que législatif».

«Chaque fouille archéologique, prospection ou prélèvement de pièce à des fins de recherches est soumis à une autorisation que le ministère de la Culture accorde aux chercheurs nationaux comme aux étrangers. Ceci implique que les scientifiques venus d’ailleurs s’associent avec leurs homologues marocains, et que les résultats de leurs études soient partagés avec la partie marocaine. Dans le cas présent, nous ignorons pourquoi cet archéologue fait abstraction de toutes ces procédures.»

Mustapha El Hamri

Consacré aux espaces rupestres d’Es-Sakia El Hamra, un des livres du chercheur incriminé a été consulté par Yabiladi. L’auteur y décrit ses sites de recherche dans le Sahara, dont «une partie est occupée par le Maroc et l’autre sous le contrôle du Polisario, constituant momentanément le territoire de la République arabe sahraouie démocratique» (sic). Ce parti pris interpelle les signataires sur les motivations politiques quant à son engouement pour la recherche dans ces lieux, mais aussi sur les raisons de ses contournements de la loi et sur «la couverture dont il bénéficierait depuis tant d’années». «Cette méthodologie est problématique à plusieurs égards. Du point de vue scientifique d’abord et en tant que chercheurs en archéologie, nous ne nous basons pas sur des frontières politiques existantes ou fictives, mais sur l’étendue géographique de l’espace sujet de l’étude», conteste Mustapha El Hamri.

Selon les signataires de l’appel, le chercheur en question aurait rassemblé plusieurs milliers pièces archéologiques, sur les décennies durant lesquelles il a sillonné différents lieux rupestres du sud du Maroc. «Tout ceci est formellement interdit s’il ne s’engage pas à remettre les pièces à la fin de ses recherches. Il y a quelques années, il ramenait même ses étudiants depuis l’étranger pour faire des stages sur les sites préislamiques, sans s’associer à des partenaires administratifs, institutionnels et académiques marocains comme l’exige la loi», a insisté le président du centre.

Des soupçons de pillage des sites rupestres

Dans ses livres, A.R. décrit aussi toutes ses étapes de recherche, y compris les prélèvements effectués. «Nous soupçonnons que de cette manière, il a contourné plusieurs services et réussi à faire sortir du territoire national un nombre important d’objets archéologiques qu’il collectionne en France, comme il l’écrit d’ailleurs dans ses publications, probablement pour constituer son propre musée», s’inquiète notre interlocuteur.

A la suite de la sortie des neuf signataires, Yabiladi a appris que le Centre national du patrimoine rupestre (CNPR) à Agadir a été notifié du cas de l’archéologue par le biais des services du ministère de la Culture. «Les administrations locales et régionales ont été informées que le chercheur n’a pas d’autorisation et que ses travaux de prospection ne peuvent se faire sans un document officiel», a confirmé le directeur du CNPR à notre rédaction.

«Nous souhaitons que des mesures fermes soient prises et que cela serve d’exemple à tous les autres chercheurs étrangers qui pillent nos sites historiques depuis des années pour enrichir leurs musées en Europe, notamment aux Pays-Bas. Nous appelons d’ailleurs à la restitution de toutes les pièces que cet individu a pu faire sortir et de toutes celles que d’autres archéologues ont emmenées dans leurs pays.»

Mustapha El Hamri

Le spécialiste relève la difficulté que pose par ailleurs le contrôle sur ces sites. A titre d’exemple et dans la région d’Es-Semara, «15 sites seulement sur plus de 89 sont classés et protégés». La plupart de ces espaces se trouvent en plein air et sont faciles d’accès, «ce qui est une arme à double tranchant», selon Mustapha El Hamri. «Autant il est important que ces lieux soient accessibles à tous pour faire connaître de patrimoine, favoriser la recherche scientifique et le tourisme culturel, autant leur préservation passe aussi par la mise en œuvre d’outils pour éviter leur déperdition, qui s’illustre notamment par la destruction ou le prélèvement de pièces sans les restituer».

Article modifié le 23/09/2021 à 19h37

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