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Grand Angle

Maroc : Les ressortissants des pays subsahariens, des «sans droits» dans les provinces du sud ?

Réalisée collectivement par Euromed droits et plusieurs organisations associatives, une analyse sur la situation des personnes étrangères dans le sud du Maroc au cours de la crise sanitaire actuelle évoque les conditions de vie rendues difficiles pour les ressortissants originaires d’Afrique de l’Ouest et Centrale résidant à Laâyoune-Es Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Ed Dahab.

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Photo d'illustration / DR.
Temps de lecture: 4'

Sur la base de données recueillies par Euromed droits avec l’appui de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), la Plateforme des associations et communautés Subsahariennes au Maroc (ASCOMS) et le Réseau marocain des journalistes des migrations (RMJM), une analyse a montré la situation des personnes étrangères vivant au sud du Maroc, telle que vécue entre mars et septembre 2020. Parvenu à Yabiladi, ce document est diffusé plus d’un an après l’observation d’une reprise des départs migratoires vers l’Espagne depuis le sud de l’Atlantique.

Dans ce contexte, la crise sanitaire causée par la pandémie du nouveau coronavirus a accentué les vulnérabilités, faisant souvent barrage à l’accès à des droits élémentaires, selon le document. C’est ainsi que ce dernier fait état d’«une tension accrue dans ces zones proches des îles Canaries» et une «expérimentation de politiques d’enfermement des personnes étrangères», avec des «mesures systématiquement discriminatoires sur la base de la couleur de peau ou de l’origine "ethnique" avérée ou supposée».

Recueillis auprès de personnes migrantes sur place, des témoignages inclus dans cette note confirment les cas de violations, dans un contexte où les mesures d’état d’urgence sanitaire ont renforcé les limites à la liberté de circulation. Cette situation a été très marquée aussi par un renforcement «l’intervention des sécuritaires et de l’administration, sans aucun contrôle judiciaire, en justifiant les opérations sécuritaires relatives aux arrestations et à l’enfermement des personnes non ressortissantes marocaines par le non-respect de l’état d’urgence sanitaire ou la protection contre la Covid-19».

Une intégration rendue encore plus difficile en 2020

Les organisations associatives ont indiqué avoir observé un non-respect des procédures et des mesures préventives de la part des autorités, lors des arrestations et des détentions des étrangers dans les centres d’enfermement «au statu flou», sans conditions minimales d’hygiène et de distanciation physique. «L’enfermement est devenu une pratique régulière de la part des autorités marocaines, ce qui pose la question du statut juridique de ces centres», déplore la note.

«J’ai passé les trois mois du confinement enfermé dans le centre de la jeunesse d’Al Qods, à Laâyoune. J’ai vécu les pires moments de ma vie. J’étais détenu sans motif valable. Pourtant, je travaille à Laâyoune et j’ai un domicile. Mon épouse était enceinte et elle avait besoin de moi, mais les autorités n’ont rien voulu savoir. Toute cette période, j’étais détenu sans qu’on ne nous explique les raisons de cette détention.»

Témoignage de migrants

Aussi, «des personnes non ressortissantes marocaines, particulièrement en situation administrative irrégulière, ont rencontré des difficultés pour obtenir l’autorisation de circulation délivrée par les autorités, ce qui a entravé les déplacements autorisés, notamment pour subvenir à leurs besoins», ce qui les a exposés à des arrestations et a rendu encore plus difficile l’accès à des droits liés à l’emploi, aux services de santé et de la justice.

Après des mois de crise sanitaire, les mesures liées à la lutte contre la propagation de la pandémie ont révélé par ailleurs les limites de réadaptation de la politique migratoire au contexte de la crise sanitaire, particulièrement en termes d’intégration.

«La pandémie de la Covid-19 a confirmé les incohérences et les limites de la politique migratoire du Maroc en général, et de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA) en particulier qui décline la politique migratoire en actions politiques et programmes. En ces temps marqués par une triple crise (sanitaire, sociale et économique), le gouvernement n’a pas tenu ses engagements promus notamment dans le cadre de la SNIA.»

Euromed Droits

La note a évoqué ce volet, d’autant plus que de nombreux migrants ont connu des difficultés depuis mars 2020 à renouveler leurs titres de séjour expirés ou à avoir une carte de séjour. «Depuis la fin de la première opération de régularisation en 2014, l’approche sécuritaire est dominante dans la mise en œuvre des politiques migratoires, particulièrement dans les zones frontalières», a indiqué le document.

Selon les auteurs, «cette approche s’est intensifiée au lendemain de la deuxième opération de régularisation», avec une tendance qui «s’est confirmée lors de l’état d’urgence sanitaire, mettant en péril l’accès à la santé pour tou-te-s et le respect des droits fondamentaux des personnes étrangères se trouvant au Maroc». Cette «situation dramatique» notamment dans le sud du Maroc, «est une illustration de l’absence de mesures concrètes pour prendre en charge ces populations», souligne la même source.

Un tour de vis sécuritaire dans le traitement des questions migratoires

Dans le contexte de la pandémie, la note affirme ainsi que «les autorités marocaines ont intensifié leur lutte contre les migrations irrégulières, contribuant au contrôle des frontières de l’Union européenne (UE), au détriment des droits des personnes étrangères». De ce fait, «cette situation exceptionnelle présentée comme une opération de maintien de l’ordre a donné lieu à certaines situations d’abus de pouvoir et de menace des libertés et des droits humains contrairement, aux principes constitutionnels et aux engagements internationaux du Maroc».

En effet, la même source rappelle le principe de la Constitution marocaine, selon lequel «il ne peut être porté atteinte aux droits et aux libertés quelles que soient les mesures exceptionnelles prises», conformément aux articles 21 et 24 du texte. Ces derniers prévoient un engagement des pouvoirs publics à assurer, en toutes circonstances, «la sécurité des populations et du territoire national dans le respect des libertés et droits fondamentaux garantis à tout-e-s».

De plus, «le droit international relatif aux droits humains autorise la prise des mesures exceptionnelles par les Etats, mais il conditionne le respect des droits et des libertés», comme le prévoit notamment l’article 4 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques.

Selon les témoignages recueillis, la note estime que les arrestations et l’enfermement dans les centre n’entrent «dans aucune procédure», d’autant plus que «les personnes ne sont présentées devant aucun-e juge et ne sont pas informées sur les motifs ni de leur arrestation ni de leur privation de liberté». L’un des justificatifs «donnés officieusement» reste «souvent la violation de l’état d’urgence sanitaire». En pratique ces arrestations «pourraient s’apparenter à des mesures prises hors-crise sanitaire, mais plutôt dans le cadre de procédures pour lutter contre les migrations irrégulières», indique la même source.

Ces mesures sembleraient disproportionnées, selon les auteurs, puisque «le nombre de personnes étrangères atteintes de la Covid-19 est estimé à 150 cas sur les 4 036 cas enregistrés dans les trois régions du Sud».

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