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Ces jeunes qui inventent un autre Maroc

«L’action politique chez nos jeunes inspire la peur: elle est synonyme de manque d’intérêt et de discrédit de la classe politique qui se trouve tournée en dérision» écrivent les auteurs de l’enquête de 1995, «Les jeunes et les valeurs religieuses», un livre pas assez remarqué au moment de sa sortie, en 2000.

Dix ans plus tard, le phénomène semble plus grave: le recrutement politique des jeunes, quand il y en a, se fait plutôt dans des rangs intégristes. L’enquête de 1995, d’ailleurs, l’annonçait… Et la «dérision» des jeunes à l’endroit de la politique, bien soulignée par l’enquête, est toujours à l’ordre du jour. Il est bien fini l’élan qui avait porté les jeunes aux lendemains de l’indépendance: la jeunesse des années 90 (a fortiori celle des années 2000!) est très différente de la jeunesse des années 60/70.

· 1961, 1995, 2005…

L’enquête menée par le sociologue André Adam en 1961(1) avait donné les résultats suivants: 70% de jeunes scolarisés à Casablanca et Fès marquaient de «l’intérêt pour la politique». En 1995, 0,8% (bien lire: zéro virgule huit pour cent!) participe à un parti politique. Pour Adam, les proportions de 1961 étaient «faibles» par rapport à celles de la fin du Protectorat et des premières années de l’indépendance… Que dirait-il aujourd’hui?

Les causes de ce profond désintérêt n’ont jamais été décortiquées et analysées par les sociologues, expliquent ces mêmes sociologues. Et pourtant, c’est bien là que se loge le risque de toutes les dérives. Mais il est aisé de comprendre que la détérioration des conditions sociales, du niveau de vie et la montée du chômage auprès d’une majorité soient derrière cette soif de recherche de nouveaux repères…

L’enquête de l’ex-CNJA (Conseil national de la Jeunesse et de l’Avenir), menée auprès de 6.000 jeunes, rejoint complètement les conclusions de Bourquia et ses pairs: un grand malaise rongeait les jeunes de 1993, adultes d’aujourd’hui. Selon ces résultats, le tiers des scolarisés quittent les établissements avant d’avoir un diplôme. C’est beaucoup. Plus de six élèves sur dix n’ont pas profité des services de l’orientation! Et moins de deux jeunes sur dix ont eu l’occasion d’obtenir des informations sur le marché de l’emploi... qu’est-ce, sinon du mépris social?

Sur l’implication dans l’associatif, 4% à peine des jeunes adhèrent à une ou plusieurs associations en 1993. En plus ces jeunes adhérents s’intéressent principalement aux associations à caractère récréatif.
Pourtant, nos investigations, en ce début du XXIe siècle, montrent que «quelque chose de nouveau» apparaît: c’est flou, cela n’a pas de mots encore, pas de concept… mais cela existe, commence à exister, pour le moins.

· H-Kayne, Hoba Hoba Spirit, Casaoui…

Ceux qui montent sur les estrades du Boulevard des jeunes musiciens ou qui se produisent au festival d’Essaouira mettent dans leurs chansons des vocables nouveaux et décrivent des sensations et des maux nouveaux. Les CD de ces groupes, soutenus par notre confrère TelQuel, piratés ou non par les auditeurs, circulent très bien dans l’informel… Informels, les jeunes le sont aussi.

Hoba Hoba Spirit, Casaoui, H-Kayne… sont les porte-parole d’une génération qui n’a pas trouvé de leaders, ni de modèles et qui désire se construire elle-même avec de nouvelles données mondiales.Tant pis pour les «fossiles» politiques et syndicaux et tant pis pour le processus de démocratisation qui en est peut-être retardé.

Il y a aussi une rupture dans l’évolution culturelle: ces jeunes inventent de nouveaux courants musicaux d’ailleurs prisés par les jeunes. Les nouveaux langages (fusion d’arabe, berbère, casaoui, français, anglais!) ne sont compris que par les jeunes…Bonne chance aux recruteurs de bonne volonté, s’il y en a!

Les parents semblent de plus en plus décontenancés et embarrassés par l’écart du canal de communication avec leurs enfants. Lesquels semblent, selon les éléments des enquêtes, en vouloir un peu aux parents d’être «perdus» et de vivre une crise identitaire, d’où une question qui ressort fréquemment depuis quelque temps: qu’est-ce être Marocain?

Mouna KADIRI
Source : L'Economiste

(1) Cité dans «Les jeunes et les valeurs religieuses»

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