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Jeunes, un tiers de Marocains

Ils ont entre 15 et 29 ans, ils sont le présent. Ils font le futur. Ils sont tout plein de points d’interrogations aussi. Ils sont beaux, intelligents et ils y croient… C’est ce qu’on aurait aimé dire de tous nos jeunes. Si ce n’est qu’il y a en fait très peu d’études sociologiques sur eux.

Ils sont plus de 9 millions ayant entre 15 et 29 ans en 2003. Ils sont le fer de lance du Maroc de demain, et déterminent celui d’aujourd’hui, disent souvent, trop souvent, les partis politiques…alors que ceux-ci n’arrivent même pas à les séduire, sauf ces petits groupuscules qui ont réussi à entraîner 12 d’entre eux à se faire exploser à Casablanca. Que peut-on en dire de plus? Que l’ailleurs emporte les espoirs des plus vulnérables, que l’intégrisme frappe aux portes des plus désespérés?

C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire en 2005, tout en se servant comme base rétrospective des deux-trois enquêtes ou essais qui existent depuis les années 90! Ceux-ci montrent déjà comment a évolué la jeunesse depuis l’indépendance. Les jeunes sont devenus les principaux acteurs de l’exode rural. Entre les années 60 et les années 90, ces générations sont devenues plus conservatrices que leurs parents.

Paradoxalement, à l’ère de l’ouverture et de la fusion multiculturelle, les mutations sociales profondes sont transportées par ces nouvelles générations pour qui le panarabisme, la polygamie, et l’islamisme ont un autre sens que pour leurs aînés…
La dernière enquête sérieuse a été menée en 1995 par un groupe de professeurs-chercheurs (1).

Les résultats ont été publiés en 2000. Elle a touché 865 jeunes à Rabat ayant entre 12 et 30 ans. Elle porte sur les valeurs religieuses. En 1993, et c’est à ce jour la plus importante étude menée sur les jeunes, l’ex-CNJA (Conseil national de la Jeunesse et de l’Avenir) a initié une enquête auprès de 6.000 jeunes.

Mounia Bennani Chraïbi, chercheur en science politique, élève de Rémy Leveau, a consacré quatre ans à l’étude des jeunes au Maroc avant d’éditer son essai «Soumis et rebelles les jeunes au Maroc» (Editions Le Fennec) en 1995, donc un peu ancien. Déjà, à cette époque, le groupe de chercheurs-auteurs de l’enquête sur les valeurs religieuses expliquaient: «paradoxal est le statut de la jeunesse dans le domaine des recherches sociologiques (…). Catégorie sociale dominante, la jeunesse n’en finit pas d’être traitée comme le parent pauvre des études en sciences sociales».

D’autres chercheurs vont plus loin. Le mépris social est une explication donnée à cette absence d’études, mais aussi des conditions de travail du sociologue peu encourageantes.

La décennie a porté en elle un changement frappant: regain d’intégrisme émanant du déploiement des mouvements islamistes depuis les années 70, alors que les jeunes des années 60 préféraient «la fleur aux dents» et la fusion. Pour près de trois quarts des jeunes sondés, l’identité la plus importante pour se définir est celle de musulman, et 15% seulement se considèrent d’abord Marocains!
Ces études ont montré à quel point cette jeunesse se trouve «tiraillée entre l’idéal et le réel». La conclusion semble banale aujourd’hui, parce qu’elle est banalisée. Pourtant elle porte en elle les germes des déroutes obscurantistes.

Cela s’appelle du bricolage, disent les sociologues. Les jeunes s’en sortent en combinant deux systèmes de valeurs pour la famille comme pour la sexualité, par exemple.

A l’époque, la famille demeurait «un rempart contre les crises matérielles et une sécurité», ce qui constitue un élément de continuité. La rupture est dans le retour au conservatisme: en 1960 la majorité (plus de 90%) de jeunes sondés disaient être contre la polygamie et intéressés par la politique. Trente ans plus tard, près de 20% des sondés affirme être pour la polygamie, et 0,8% sont adhérents à une association politique.
Ces jeunes font très peu confiance à l’Etat (2,2%) et 80% n’accordent leur confiance qu’à la famille. Et notons qu’ils sont aujourd’hui adultes et sont actifs dans la vie sociale. Que seront alors demain nos jeunes d’aujourd’hui, enfants de ces adultes?

Mouna KADIRI
Source : L'Economiste

(1) «Les jeunes et les valeurs religieuses», de R. Bourquia, M. El Ayadi, M. El Harras et H. Rachik, Editions Eddif-Codesria, 2000.

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