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Projet d'alcootest: L'hypocrisie tient lieu de système de gouvernance

"Il faut que le projet de circulaire instaurant l’alcootest au Maroc serve à contrôler la présence ou l’absence d’alcool dans le sang, plutôt que le niveau de présence d’alcool uniquement. Cela serait plus conforme à notre identité islamique".
Cette revendication, lue dans Attajdid du 14 juillet, démontre encore une fois (si besoin était) la redoutable cohérence de nos islamistes : la consommation d’alcool est interdite aux Marocains musulmans ; donc il faut appliquer la loi et réprimer les buveurs, quelle que soit la quantité d’alcool consommée...

Sauf que le dahir de 1967, qui fait autorité en la matière, n’interdit pas la consommation d’alcool, mais "l’ivresse publique" (assoukr al âlani). Si on est dans sa voiture sur une route, on est "en public", pas de doute. Mais quand doit-on être considéré comme "ivre" (sekran) ? Le dahir ne le dit pas. L’alcootest tranchera-t-il ? Hélas non. Une circulaire ne peut en aucun cas abroger un dahir royal. Autrement dit, si un conducteur "testé" a moins d’alcool dans la sang que le seuil autorisé, il ne sera pas en infraction vis-à-vis de la circulaire du ministère des Transports, mais il sera quand même en infraction vis-à-vis du dahir de 67… si l’agent de police décide que c’est le cas, sa marge d’arbitraire en la matière restant totale. Pour sortir de ce cul de sac, il n’y a qu’un seul moyen : préciser. Pondre un texte quelconque ayant valeur légale, stipulant que boire de l’alcool n’est interdit que si le buveur devient – critères précis à l’appui, et l’alcootest en sera un – une menace pour autrui, qu’il soit au volant ou pas. Ce qui voudrait dire, en creux, que boire modérément en public deviendrait légal… y compris pour les musulmans.
C’est là qu’on change de dimension. De technique, la question devient politique. L’état est "musulman", c’est la Constitution qui le dit. à moins d’être juif (ce n’est le cas que de quelques milliers), un Marocain n’a donc pas le droit de boire de l’alcool, ni d’avoir des relations sexuelles hors mariage – ça a valeur de dogme. Un dogme violé plusieurs millions de fois par jour, évidemment. Mais cela ne dérange personne, tant l’hypocrisie, chez nous, tient lieu de système de gouvernance. Et tant pis si ce système ridiculise la loi. Comment respecter une loi, en effet si, à force d’hypocrisie, elle ne se respecte pas elle-même ? Vous me voyez venir, je vais donc aller directement à la (sempiternelle) conclusion : le Maroc doit devenir un état laïc. Il l’est déjà dans les faits, et vu l’hypocrisie ambiante, cela fait de tous les Marocains (ou presque) des hors-la-loi. C’est une anomalie qu’il faudra bien corriger un jour ou l’autre – quitte à changer de cadre politique.

À part ça, vive la prévention routière et bon vent à l’alcootest ! à défaut de nous rendre moins hypocrites, il nous permettra de rester vivants. C’est déjà beaucoup.

Source: Telquel

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