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Les organisations musulmanes de France en majorité pour le oui

Les organisations musulmanes penchent nettement pour le oui au référendum sur la Constitution européenne, y compris celles d'entre elles qui se situent dans la mouvance fondamentaliste.

L'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche idéologiquement des Frères musulmans, n'a pas arrêté de position officielle. Mais la réponse semble déjà acquise : "Dans les couloirs, c'est oui !", souligne un jeune militant de cette fédération musulmane. Plusieurs personnalités de l'UOIF n'hésitent pas à s'engager publiquement. "Bien sûr que je suis favorable à la Constitution européenne !, lance Amar Lasfar, recteur de la mosquée du quartier de Lille-Sud et figure historique de l'organisation. D'abord, parce que ce texte va permettre à l'Europe d'exister davantage au plan institutionnel. Ensuite, parce que les musulmans ont tout à gagner dans la construction européenne. Nous allons pouvoir tisser davantage de liens avec les ressortissants des autres pays européens."

Le "docteur Abdallah" favorable à la Constitution
Thomas Abdallah Milcent doit rendre public la semaine prochaine, sur le site musulman oumma. com, un texte à valeur de manifeste, qui aura pour titre "Oui, malgré tout" . Ce médecin strasbourgeois converti à l'islam, surnommé "docteur Abdallah" dans les milieux musulmans, s'est rendu célèbre en défendant le droit des jeunes filles à porter le foulard islamique à l'école. Pourtant, ce n'est pas l'argument principal qu'il met en avant pour expliquer son engagement en faveur du oui. "La Constitution européenne ne donne aucun moyen de lutter contre la loi interdisant les signes religieux à l'école. Mais je me détermine en tant que citoyen" , déclare-t-il au Monde.

"L'Europe nous a apporté cinquante ans de paix. J'entends bien les arguments en faveur du non, y compris chez les musulmans. Cependant, je pense que les raisons de voter oui l'emportent." Proche du mouvement islamiste turc Milli Görüs, le docteur Milcent est le fondateur du Comité 15 mars et libertés, qui a mis en place un numéro vert à destination des élèves voilées exclues de l'école et a publié un Livre blanc sur la rentrée scolaire.

M. Lasfar ne répugne pas à faire campagne autour de lui, en prônant le oui dans la communauté musulmane. "Pas en tant que recteur de la mosquée de Lille, en tant que citoyen", nuance-t-il. "De toute façon, nous ne pouvons pas nous associer avec les souverainistes et les racistes qui votent pour le non", tranche-t-il.

Une autre figure importante de l'UOIF, Boubaker El Hadj Amor, prend lui aussi nettement position en faveur de la Constitution. "Pour deux raisons principales, détaille-t-il. D'abord, en termes stratégiques, une Europe unie sera plus forte pour résister au bloc américain. Ensuite, la Constitution européenne va permettre de renforcer les libertés fondamentales." M. El Hadj Amor se déclare favorable au oui "en tant que citoyen et en tant que minorité". "La Constitution devrait mettre en avant les droits et les libertés, souligne-t-il. Nous avons assisté, en France, à une véritable hystérie au moment de l'adoption de la loi contre les signes religieux à l'école. J'espère que le traité permettra d'aborder ces sujets, à l'avenir, avec davantage de sérénité." Le responsable de l'UOIF n'est pas sensible aux arguments du non de gauche : "Qu'on le veuille ou pas, nous aurons une Europe libérale. La Constitution ne changera pas grand-chose de ce point de vue."

Le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, se trouve sur la même ligne que l'UOIF, mais avec des arguments sensiblement différents. "Je vote oui des deux mains. C'est mon attachement au président de la République qui parle ! Ses arguments m'ont beaucoup impressionné. L'Europe est plus nécessaire que jamais. Elle va dans le sens évident du progrès..." Cependant, M. Boubakeur, qui est aussi président du Conseil français du culte musulman (CFCM), insiste sur le fait qu'il s'exprime "à titre personnel". "Je ne souhaite pas que le CFCM donne des consignes de vote. Il est préférable que chaque fédération musulmane garde sa liberté."

PEU CONCERNÉS

Le seul à se prononcer nettement en faveur du non dans la militance islamique est Tariq Ramadan. L'intellectuel suisse a rendu publique, le 22 avril, une tribune intitulée "De la Constitution...". Il y développe longuement son argumentation, qui se situe principalement sur le terrain social. "Nous sommes en présence du texte "constitutif" de l'Europe de la primauté de l'économique et du sécuritaire. (...) Loin des référendums précipités, qui nous affirment que "l'Europe est à ce prix", il faut avoir le courage de répondre que ce soi-disant prix ne pourra justifier que nous vendions nos droits, nos valeurs et nos espoirs pour satisfaire des technocrates, des économistes et des multinationales." L'intellectuel musulman invite donc ses partisans à "dire non à une "Constitution" qui légitime et cautionne en aval les politiques agressives et autorégulées par les seuls critères du rendement et de la productivité jusque dans la sphère scolaire".

Pour autant, M. Ramadan, qui est de nationalité suisse, déclare au Monde qu'il ne participera à aucun meeting en faveur du non. "Je ne m'inscris pas dans le débat français, ma position est plus large." M. Ramadan voit dans la position de l'UOIF "un alignement sur la tendance majoritaire de la droite française". "Je ne pense pas que l'UOIF ait produit une pensée en termes de construction européenne", assène-t-il.

Pour sa part, un militant de l'UOIF analyse ainsi la position de son organisation : "Ce qui est déterminant, c'est que la Constitution consacre la liberté religieuse. Au niveau social, l'UOIF n'attend rien. Elle attend surtout une meilleure prise en compte de l'identité religieuse."

Le débat sur la Constitution avive le clivage, dans la militance islamique, entre, d'une part, un islam de droite, de plus en plus conservateur, auquel se rattache l'UOIF, et, d'autre part, un islam de gauche contestataire, engagé aux côtés des associations altermondialistes, dont le porte-voix serait Tariq Ramadan.

Sur les quelque deux millions de musulmans ayant la nationalité française, peu d'entre eux semblent concernés par le débat. Selon Saïd Branine, responsable du site musulman oumma.com, les positions seraient "à 50-50, comme dans le reste de l'électorat français".

Xavier Ternisien
Source: Le Monde

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