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Manifestation tous azimuts des Indigènes de la République

Ils dénoncent les discriminations à l'égard des héritiers des colonisés d'autrefois.

ls mordent ensemble dans une pomme. Ils sont frère et soeur, la quarantaine, débarquent de Roubaix (Nord) en car avec leurs enfants. Hier à Paris, ils manifestaient à l'appel du collectif des Indigènes de la République, pour qui la France «reste un Etat colonial». Même s'ils préféreraient le terme «héritiers» de l'immigration, «indigènes», ça leur va. Cela correspond à leur «expérience de vie» : «Les mots utilisés dans cet appel peuvent paraître choquants, mais on est aussi agressés dans le quotidien», dit Yani, travailleur social de 43 ans. Il raconte les discriminations au faciès, «qu'on dénonçait déjà dans les années 80». Il détaille le blocage de l'ascenseur social. «Généralement, on clôture un entretien par: "De quelle origine vous êtes ?"» Son neveu, Rachid, lycéen en première, évoque aussi cette sensation de «se sentir mis de côté» à l'école ou quand il entre dans une grande surface. Il dit : «Ce sera peut-être mieux pour la génération d'après.»

Masques. 700 selon la police. 3 000 d'après les organisateurs. Cette manifestation, c'est un peu une foire où les participants viennent parler du racisme de la société française, dénoncer les fantasmes qu'il véhicule. Bien résumés dans un panneau : «Ni races inférieures, ni colonisables, ni êtres à civiliser, ni barbares, ni voleurs, ni voileurs, ni violeurs, ni femmes soumises, ni citoyens de seconde zone, ni intégristes.» Mais les symboles sont parfois difficiles à décrypter. Ainsi, ces trois étudiantes lilloises. Elles portent chacune des masques neutres ­ l'un noir, l'autre jaune, le dernier blanc ­ pour signifier l'égalité des races. Des manifestants n'ont pas compris : «Le blanc, c'est le bourreau ?» Du coup, elles ont montré leur visage.

Venus de Bruxelles, Amar et Nadia. C'est surtout à la loi de février 2005, qui veut rétablir dans les programmes scolaires le rôle positif de la colonisation, qu'ils en veulent : «L'image de la France est ternie, dit Amar. On a l'impression que ce pays devient de plus en plus raciste.» Nadia : «Il faut rétablir la vérité historique. S'il n'y a pas de vérité, il n'y a pas de futur.»

Deux ouvriers métallurgistes défilent aux côtés des sans-papiers, d'un groupe de soutien au peuple togolais et des partisans du non à la Constitution européenne. Marez et Mohamed sont proches de la retraite. Ils utilisent le mot «respect». Marez, pour qui «la France, c'est les trois tiers de [sa] vie», est ce citoyen qui est «là depuis des décennies, traité hors de la République et qui a pourtant droit à l'Etat de droit sur tous les points». Mohamed parle du «mépris» rencontré de la part de l'administration: «La manière dont on nous parle, dont on nous regarde.» Il conclut : «On est un peu comme les juifs avant la guerre, montrés du doigt ; au XXIe siècle, maintenant, c'est au tour des Arabes.»

Place rebaptisée. Plus loin dans la manifestation, Siryne, 33 ans, prof de philosophie dans le 93, fait partie du collectif des professeurs «indigènes de la République». Elle évoque «l'ethnicisation» des rapports entre profs et élèves, les dérives discriminatoires, les orientations scolaires en fonction des origines, «même si elles sont inconscientes». «Ce n'est pas un appel au communautarisme, mais un appel à débat», complète Sarah, prof d'histoire d'origine sétifoise. Une femme passe avec un panneau dans le dos. Dessus, il est écrit : «Les massacrés du 8 mai 1945 à Sétif évoqués hier soir pour la première fois en soixante ans à la télé française. Merci aux Indigènes de la République.» Sur le chemin du défilé, rue du 8-Mai-1945, le speaker demande une minute de silence. Des rescapés des massacres de Sétif, très applaudis, prennent la parole, comme Saad Habsi : «Il ne faut plus être derrière, mais être traités d'égal à égal, au lieu d'être soumis.» La place est rebaptisée : «Place Sétif-Guelma. En mémoire de tous les crimes coloniaux.»


Source: Libération

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